Vous parlez de la situation de COVID-19 dans votre ouvrage. Elle a évolué depuis. Aura-t-elle finalement un impact sur la sortie des pays africains du Franc CFA ?
Elle en a déjà eu un puisque la propagation mondiale du Covid-19 a inauguré une période d’instabilité financière qui a provoqué le report de l’adoption de l’éco en remplacement du franc CFA en Afrique de l’Ouest. Cela fait six mois que cette monnaie aurait dû être mise en place, si l’on se réfère au calendrier officialisé en décembre 2019 dernier par le président en exercice de l’UEMOA et le président français. Cela peut durer encore longtemps, compte-tenu des répercussions économiques et sociales de la pandémie.
Il semblerait que les pays de l’UEMOA (Union économique et monétaire ouest-africaine) résistent mieux à la crise économique provoquée par le Coronavirus que d’autre États africains. Comment l’expliquez-vous ?
La crise sanitaire a fait chuter la demande mondiale en pétrole et donc les revenus des pays exportateurs. Dans la zone franc, les pays ouest-africains de l’UEMOA, qui dépendent surtout de matières première agricoles et minières, n’ont pas eu à subir les conséquences de ce brutal choc pétrolier, contrairement aux pays de la CEMAC en Afrique centrale, dont l’or noir constitue encore la rente principale, à l’instar du Nigéria par exemple. Mais contrairement au naira nigérian, qui a dévissé à l’occasion de cette crise, la valeur du franc CFA est resté stable dans les deux zones, permettant aux pays de la zone franc de ne pas être victimes d’une inflation galopante d’origine monétaire, de pouvoir continuer à échanger avec le reste du monde et de ne pas voir se rompre la continuité des investissements.
Pensez-vous que la dévaluation, en tant que solution d’urgence (utilisée en janvier 1994 pour éviter la dépression économique) puisse être envisageable dans le cadre d’une crise financière provoquée par le Coronavirus ?
Tout d’abord, une décision de cette nature requiert deux procédures différentes selon qu’elle est prise en Afrique de l’Ouest ou en Afrique centrale. Pour les membres de la CEMAC, elle nécessite non seulement la volonté unanime des chefs d’État et de gouvernement, mais aussi une concertation préalable du partenaire français et des institutions européennes. Ces conditions n’existent pas dans l’UEMOA où seule l’unanimité est requise. Compte-tenu des répercussions de la crise sur les revenus des pays de la zone franc, l’on peut supposer qu’un ajustement du taux de change pourrait être plus opportun à réaliser en Afrique centrale qu’en Afrique de l’Ouest. Une telle solution avait été envisagée après la baisse drastique des prix du pétrole en 2014-2016, mais les pays de la CEMAC avaient réussi à redresser leur situation financière sans y avoir recours. La situation n’est pas similaire à 1994 où le surendettement grevait à la fois les pays de la CEMAC et de l’UEMOA, à un niveau bien plus élevé qu’aujourd’hui. Pour des économies extraverties – qui repose sur la rente de l’exploitation et de l’export de matières premières brutes – la dévaluation représente une décision extrême : elle permet de réduire la valeur des dettes publiques et privées, ce qui permet de conjurer l’éventualité d’une faillite financière, mais elle représente aussi un coût social faramineux. En effet, compte-tenu de la faible industrialisation des pays de la zone franc, une dévaluation du franc CFA ne peut pas provoquer des gains de compétitivité analogues à ceux recherchés par les autorités des pays développés, lorsqu’elles utilisent ce moyen pour redresser la rentabilité de leurs exportations en bien et services, et pour remplacer par des productions nationales un certain nombre d’importations. En revanche, cette mesure aurait pour conséquence certaine de renchérir le prix de tous les biens et services importés dans la zone franc, lesquels constituent la majorité des biens nécessaires à la vie courante des populations et au fonctionnement des entreprises : c’est une trappe à pauvreté.