Journal de l'économie

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Le choc ukrainien signe-t-il la fin de Bretton Woods ?





Le 31 Mars 2022, par Agnès Boschet

Le choc ukrainien rebat les cartes sur les marchés financiers et modifie les pratiques de gestion des réserves de change.
Jusqu’où la position prise par la Russie va-t-elle modifier les alliances et contribuer à la dédolarisation de certaines parties du monde ?
Agnès Boschet, coauteure de « Chine digitale, dragon hacker de puissance (VA Éditions).


La nature a horreur du vide ! De blocus en blocus, l’Occident a poussé la Russie vers l’est avec un effet inverse favorisant son développement interne : ses ressources naturelles, ses systèmes numériques, un recentrage sur son agriculture, un renforcement de ses réserves d’or. 

Les sanctions prises à l’égard de la Russie dans le cadre de la crise ukrainienne précipitent les changements dans les rapports de force entre les nations. Le pivot vers l’Asie vient percuter de plein fouet les circuits financiers internationaux et le système SWIFT « Society for Worldwide Interbank Financial Telecommunication ». Depuis sa création en 1973 à Bruxelles, la contribution des États-Unis au commerce international a été divisé par deux. En réaction à l‘influence américaine, Moscou pousse aujourd’hui ses partenaires des BRICS à échanger en devises nationales. 

En se tournant vers la Chine, la Russie a emprunté le même chemin que Pékin pour mettre fin aux liens monétaires avec le bloc ouest arrimé au dollar. Plusieurs banques russes ont rejoint le système chinois de paiements internationaux CIPS « Cross-Border Interbank Payment System », créé en 2015 afin de faciliter les opérations entre les deux pays. Les relations commerciales de Pékin et de Moscou sont désormais régies à 17,5 % par le yuan contre 3,1 % en 2014. La banque centrale russe (BCR) a créé son propre réseau SFPS de transferts financiers en 2014 en réponse aux menaces des États-Unis de déconnecter le pays de SWIFT après l’invasion de la Crimée. En 2020, SFPS représentait 20% des opérations interbancaires en Russie et se développait au sein de l’Union économique Eurasiatique. 

Développé par la Chine en 2015, le système de paiement CIPS (administré par la Banque Populaire de Chine, BPC) est principalement utilisé pour régler les crédits internationaux en yuan et les échanges liés à la "Belt and Road". Le CIPS permet aux banques mondiales d'effectuer des transactions transfrontalières directement en yuan sur le territoire national, plutôt que par l'intermédiaire de banques de compensation dans des centres offshore. Même si le CIPS est encore dépendant de SWIFT pour la messagerie financière transfrontalière, son usage va croissant et vise l’indépendance. 

Le système chinois a traité environ 80 000 milliards de yuans (12 680 milliards de dollars) en 2021, soit une augmentation de 75 % en glissement annuel, tandis que fin janvier, la société qui gère la plateforme a déclaré qu'environ 1 280 institutions financières dans 103 pays et régions s'étaient connectées au système. Cela représente 30 banques au Japon, 23 en Russie et 31 dans des pays africains qui reçoivent des fonds en yuan dans le cadre de projets d'infrastructure relevant de l'initiative "Belt and Road". En Europe, HSBC, Citigroup et BNP Paribas ont rejoint l’initiative. 

Depuis 2018, la Banque Centrale de Russie s’est débarrassée de ses dollars américains (de 100 à 10 milliards $ de bons du Trésor US) pour convertir 44 milliards de dollars en yuan, acheter de l’or et vendre son pétrole en yuan en Asie. Et bien que ses relations politiques avec l’UE soient plutôt mauvaises, elle fait la part belle à l’euro qui représentait 40% de ses échanges avant la crise ukrainienne. 

Le contexte nous donne l’occasion de revenir sur les enjeux de puissance attachés à l’énergie, en rappelant que les liens du dollar américain avec le pétrole ont été cruciaux pour aider à soutenir la demande de la monnaie dans le monde. Depuis le premier choc pétrolier, nul pays n’a défié les États-Unis ; les pressions internationales entre blocs auront-elles définitivement raison de Bretton Woods ? Toujours est-il que la rencontre de Jérusalem du 25 mars 2022, signe la rapidité avec laquelle le réalignement des puissances pétrolières du Moyen-Orient s’accélère quand les Israéliens, inquiets d’une crise globale, s’apprêtent à renforcer leur position de médiateurs au sein des nouvelles réalités crées par la guerre en Ukraine. 

Depuis 1974, les Saoudiens négocient le pétrole exclusivement en dollars pour donner suite à un accord avec l’administration Nixon qui comprenait des garanties de sécurité pour le royaumeLes pourparlers avec la Chine sur les contrats pétroliers au prix du yuan se sont accélérés début 2022 car les Saoudiens sont de plus en plus mécontents des engagements pris par les États-Unis en matière de sécurité (Yémen, Iran). L’Arabie Saoudite a déjà annoncé qu’elle était prête à vendre son pétrole à la Chine en yuans. La Chine quant à elle, poursuit sa stratégie d’adossement du yuan à l’or pour renforcer sa position économique et monétaire dans le monde en espérant faire du yuan une monnaie de réserve. 

Avec la crise ukrainienne, nous assistons à un changement de cap sur les marchés financiers et à un changement des pratiques de gestion des réserves de change. L’Europe est aux abonnés absents, incapable de réagir face à la stratégie de Moscou qui veut lui imposer l’achat de son gaz en rouble et la pression américaine pour maintenir l’Allemagne dans la dépendance de son GNL (gaz naturel liquéfié). La stratégie européenne de courte vue déboulonne la confiance et l’euro en a pris un coup. 


Agnès Boschet, coauteure de : « Chine digitale, dragon hacker de puissance » (VA Éditions), Business development, Intelligence stratégique, Management du risque cyber 




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