Journal de l'économie

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Le commerce physique perd de son attractivité





Le 22 Août 2022, par Philippe Cahen

Au lendemain des confinements, un commerce sur cinq avait fermé à Paris. Signal faible du monde d’après ? Un monde sans commerce ? Il n’en est rien… ou presque. Le commerce se réinvente, encore faut-il supprimer ses anciennes références. Le monde a changé, le consommateur change.


Le consommateur est-il plus pauvre ?
 
Le commerce physique pourrait perdre de son attractivité d’abord parce que les consommateurs dépensent moins. Or il n’en est rien (le second semestre 2022 sous inflation peut constater l’inverse).

Sous l’angle du niveau de vie par individu, par unité de consommation ou par génération, la progression est constante depuis au moins une cinquantaine d’années, même si l’épargne a fortement augmenté en 2020, moins en 2021… par diminution de dépenses liées aux confinements successifs, pour rebaisser en 2022.
 
La nature des dépenses a fortement évolué. Avec un sommet à 30 % dans le revenu disponible brut en 2015 (28 % en 2020), les dépenses préengagées augmentent régulièrement (13 % en 1960) : dépenses liées au logement (22/23 %), assurances, télévision et télécommunications (2/3 %). Les transports sont le deuxième poste de dépenses des ménages (+16 %), suivis par l’alimentation (-16 %). L’habillement et les chaussures qui sont une grande source d’achats en magasin ne sont qu’à 5 % (et nos placards sont pleins) mais on dépense 9 % en loisirs et culture et 7 % en restauration et hôtels. (différentes sources Insee pour tous ces chiffres).
 
Ce qui frappe dans ces chiffres, c’est d’une part l’importance des dépenses préengagées (30 %) et l’importance des dépenses de logement, de transports, et plus globalement de services. Le consommateur dépense en services, bien moins en produits. On ne consomme pas en 2022 comme on consommait en 1960.
 
Or le premier hypermarché (Carrefour à Sainte-Geneviève-des-Bois, 2 500 m² en 1963) a ouvert sur une base de consommation par achats de produits. Plus le consommateur achète, plus le commerce doit être grand. Carrefour Villiers-en-Bière a eu jusque 25 000 m² de surface de vente ! Et chaque année, jusqu’au plafond de 2012 avec 6 millions de m², des demandes d’ouvertures de grandes surfaces (+1 000 m²) fleurissaient. En 2012, 4 millions de m² ont engagé leur construction, environ pour ¾ de créations de commerce, ¼ pour transferts et/ou extensions, plus de 80 % en périphérie, moins de 2 % en centre-ville.
 
Les trois erreurs du commerce français
 
Le commerce français a commis trois erreurs principales qui contribuent à sa perte d’attractivité.
 
La première est de s’enivrer du succès de l’hypermarché dans les années 80/90, jusqu’à reproduire le même schéma dans le meuble, le bricolage, le sport, le jardinage, etc., et hors de France, jusqu’en Chine. La deuxième est de ne pas avoir compris l’importance du temps d’achat qui a d’abord fait le succès de l’hypermarché (tout sous le même toit), puis le succès des centres commerciaux (tout autour du même parking… ou presque), enfin du e-commerce (tout sous le même clic).
 
Aujourd’hui, nos grands hyper (Carrefour, Auchan, Cora, Géant Casino) sont mal en point tant ils ne savent plus en quoi le client va les choisir, ce sont des « shrinking firms », des entreprises qui se réduisent depuis une vingtaine d’années. Le format hyper (et grand magasin d’ailleurs) a contraint et restreint les centres commerciaux à ne pas se créer comme un centre-ville, un mélange d’activités et d’espaces. Enfin, ceux qui s’appellent les « distributeurs », généralistes ou spécialisés, ont observé d’un œil moqueur le développement du e-commerce et ont laissé notamment Amazon prendre la place qu’il a (« je cherche un mot sur Google, un ami sur Facebook, un produit sur Amazon ! ») et le développement des discounters comme Gifi, Action ou Stokomani, des économiseurs de temps.
 
Le chiffre d’affaires du e-commerce serait en 2021 de 14,1 % du commerce de détail selon la FEVAD (qui ne donne pas le détail de la composition de l’indice, et compte la SNCF…). Si les hard-discounters alimentaires ont représenté jusque 14 % de la part de l’alimentation, il est logique que les hypers et supers perdent une surface équivalente en alimentaire. Si le e-commerce approche les 15 %, il est logique que le commerce perde une surface équivalente.
 
À cela s’ajoutent le commerce circulaire (vente de produits d’occasion : Back Market, Vinted, Leboncoin, Vestiaire Collective, …) et le commerce par réseaux sociaux (Instagram, TikTok, Facebook,…) qui concernent la moitié de la population y ayant acheté ou vendue au moins une fois, et 4/5 des 18-34 ans. Et depuis le 1er janvier 2022 les invendus non alimentaires ne doivent plus être jetés (3 % du chiffre d’affaires des entreprises) et cherchent donc des débouchés commerciaux.
 
Finalement, le commerce c’est quoi ?

Pour revenir au premier point – le budget des ménages, incontestablement le niveau de vie augmente. Mais les dépenses ont changé. Et les 40 % de dépenses en logement et transport ne se font pas en « commerce » au sens physique du terme. Le commerce est compris comme une boutique. L’acte de commerce concerne aussi bien l’achat ou la vente de produits que de services.

Si l’agence immobilière, le concessionnaire automobile sont des entreprises de services, pour le consommateur, ils répondent au terme générique de commerce comme le coiffeur, l’onglerie, la dark kitchen et uber Eat, 3e enseigne de restauration pour les consommateurs !. Il n’est donc pas certain que le nombre global de points de vente baisse. Les créations de nouveaux concepts sont nombreuses.

Le budget des ménages montre l’importance prise par les dépenses de loisirs et culture (9 %), restaurant et hôtels (7 %) qui sont parmi les 3 h 40 quotidiennes (par Français, sommeil et vacances comprises, 2010) consacrées aux loisirs (hors télé) et la sociabilité. Le portrait social de la France (INSEE, 243 pages), ne donne malheureusement pas de détail sur le temps passé, le temps ou la durée d’achats en commerce ou ailleurs, les loisirs et le sport, etc. Tout converge cependant pour dire que le Français a de plus en plus d’activités très diverses, et chacune prend sa place, et souvent au détriment du commerce (fréquemment une activité de loisirs, finalement).

Le client visite 3 centres de commerce régulièrement et non plus 4. Les centres commerciaux chiffrent annuellement la baisse de fréquentation au moins depuis 2015 entre 1 et 2 % par an.

Comment achète le consommateur ?

Tout d’abord il achète ses achats quotidiens en fonction du temps disponible, un temps calé sur ses propres déplacements (travail, enfants, santé…) pour se rendre dans les points de vente. Mais surtout, il est devenu un expert d’internet, le plus souvent par son téléphone mobile. Il a ses trucs, ses astuces, ses amis, ses sources pour mieux choisir, mieux acheter, mieux choisir sa série, son chauffage à charbon, ou son restaurant.

Selon sa disponibilité, il achètera par internet (par exemple ses chaussures le dimanche en fin d’après-midi), ou se déplacera en magasin, en commerce, pour mieux choisir, toucher, comparer, sentir… Il aura donc fait une sélection de points de vente à partir de son point d’achat, son mobile.

Donc oui, finalement, il fréquente moins de points de vente. Et lorsqu’il est dans le point de vente, le commerçant qui n’a pas compris qui est le roi ne pourra que se mordre les doigts. S’il a le temps, le consommateur se rend dans un espace capteur de temps : comment occuper au mieux son temps.

C’est la réflexion actuelle des grands magasins avec leurs multiples points de restauration, c’est la réflexion des centres-villes avec la multiplication d’événements festifs et culturels. C’est aussi la réflexion des musées et bibliothèques : comment donner envie à la famille de venir et revenir.
Dans de nombreux cas, le consommateur d’aujourd’hui maitrise encore mieux son temps avec son mobile, le télétravail, la télémédecine, le e-commerce… Il choisit alors entre économiser du temps ou dépenser du temps.

Le téléphone au fond de sa poche devient une arme de décision rapide !

Je repars en plongée…
 
Philippe Cahen
Conférencier prospectiviste
Dernier livre : « Méthode & Pratiques de la prospective par les signaux faibles », éd. Kawa

 


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