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Le contrôle de l’implantation des centres commerciaux : aucune atteinte disproportionnée portée à la liberté d’entreprendre !





Le 15 Avril 2020, par Frédéric Rose-Dulcina

La loi n° 2018-1021 du 23 novembre 2018 parue au JO n°0272 du 24 novembre 2018 dite « ELAN » a modifié la législation sur l’urbanisme commercial par une diversité de mesures visant notamment à redynamiser et préserver les centres-villes en modifiant notamment l’article L. 752-6 du Code de commerce. Selon les Sages de la rue de Montpensier, cette disposition ne méconnaît pas le principe constitutionnel de liberté d’entreprendre.


Image Pixabay
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Dans un article paru le 23 décembre 2019 [1], nous évoquions dans ces mêmes colonnes le fait que la loi ELAN du 23 novembre 2018 a réintroduit une approche économique de l’impact des projets avec notamment l’obligation de produire pour chaque demande d’autorisation d’exploitation commerciale une étude d’impact évaluant les effets du projet sur l'animation et le développement économique des centres-villes et sur l'emploi.
 
Ainsi, en vue d'améliorer l'information des commissions départementales d'aménagement commercial (CDAC) sur le commerce local et sur l'insertion des projets d'aménagements commerciaux dans l'environnement économique, le législateur a mis à la charge des porteurs de projets l'obligation de joindre au dossier de demande une analyse de l'impact de l'aménagement envisagé sur le commerce local.
 
Est ainsi paru au Journal officiel du 18 avril 2019 un décret d'application destiné notamment à préciser, le contenu des demandes d'autorisation commerciale à l'issue de la réforme, c'est ce décret qui avait fait l'objet d'un recours pour excès de pouvoir devant le Conseil d'Etat par le Conseil national des centres commerciaux (CNCC).
 
Pour le CNCC, ces dispositions, qui limiteraient l’implantation des grandes surfaces commerciales en périphérie des communes, n’auraient pas pour finalité l’aménagement du territoire (l’un des objectifs assignés aux implantations commerciales par la législation de l’urbanisme commercial) mais un «objectif purement économique de protection des commerçants des centres-villes». En outre, «ces dispositions porteraient une atteinte disproportionnée à la liberté d'entreprendre, dès lors que le territoire sur lequel les effets du projet doivent être appréciés serait trop large et que les critères retenus favoriseraient les opérateurs économiques déjà implantés au détriment des nouveaux entrants ».
 
Dans leur décision du 13 décembre 2019 [2] , les Juges du Palais Royal avaient estimé que ces interrogations ont un caractère sérieux et avaient donc renvoyé au Conseil constitutionnel une question prioritaire de constitutionnalité.
 
Le Conseil constitutionnel, par une décision n°2019-830 du 12 mars 2020, a écarté l’ensemble des griefs avancés par le CNCC.
 
Il rappelle tout d’abord, comme nous l’avions anticipé dans notre article du 23 décembre 2019, que le législateur peut apporter à la liberté d'entreprendre des limitations liées à des exigences constitutionnelles ou justifiées par l'intérêt général, dès lors qu'il n'en résulte pas d'atteinte disproportionnée au regard de l'objectif poursuivi.
En adoptant l’article L. 752-6 du Code de commerce litigieux, le législateur a « entendu renforcer le contrôle des commissions d'aménagement commercial sur la répartition territoriale des surfaces commerciales, afin de favoriser un meilleur aménagement du territoire et, en particulier, de lutter contre le déclin des centres-villes ». Il a donc bien poursuivi un objectif d'intérêt général.

S’agissant des critères d’évaluation (contribution du projet à la préservation ou à la revitalisation du tissu commercial du centre-ville de la commune) que les CDAC doivent prendre en compte au titre de l’aménagement du territoire pour accorder ou refuser l’autorisation d’exploitation commerciale, le Conseil constitutionnel précise que ces dispositions « se bornent à prévoir un critère supplémentaire pour l'appréciation globale des effets du projet sur l'aménagement du territoire, et notamment sur le rééquilibrage des agglomérations par le développement des activités en centre-ville. En particulier, elles ne subordonnent pas la délivrance de l'autorisation à l'absence de toute incidence négative sur le tissu commercial des centres-villes ».
 
De la même manière, le paragraphe IV de l’article L. 752-6, relatif à l’existence d’une friche en centre-ville ou en périphérie, a également pour seul objet d’instituer un critère supplémentaire permettant d’évaluer si, compte tenu des autres critères, le projet compromet la réalisation des objectifs énoncés par la loi. En effet, selon le Conseil constitutionnel, «ces dispositions n’ont ainsi pas pour effet d’interdire toute délivrance d’une autorisation au seul motif qu’une telle friche existerait. Elles permettent en outre au demandeur de faire valoir les raisons, liées par exemple à la surface du commerce en cause, pour lesquelles les friches existantes ne permettent pas l’accueil de son projet».

Quant à l'analyse d'impact que doit fournir le pétitionnaire, il ne s’agirait pas d’un critère d’évaluation supplémentaire, les nouvelles règles issues de la loi ELAN tendraient simplement «à faciliter l'appréciation, par la commission d'aménagement commercial, des effets du projet sur l'animation et le développement économique des centres-villes et sur l'emploi ».

Au vu de l’ensemble de ces éléments, les Sages de la rue de Montpensier arrivent à la conclusion que l’atteinte portée à la liberté d’entreprendre par les dispositions contestées n’est pas disproportionnée au regard de l’objectif d’intérêt général poursuivi. Les dispositions contestées par le CNCC doivent en conséquence être déclarées conformes à la Constitution.
 
Si cette décision du Conseil constitutionnel peut être approuvée d’un strict point de vue juridique, elle est néanmoins le témoin de la difficile cohabitation entre les centres commerciaux et les commerces de centre-ville, et ce 47 ans après la parution de la loi dite «Royer» qui a été la première à réglementer l’urbanisme commercial (loi n°73-1193 du 27 décembre 1973 d’orientation du commerce et de l’artisanat) .
 
Ce texte avait déjà pour objectif de permettre un développement équilibré des différentes formes de commerce et de protéger le petit commerce d’une croissance désordonnée des nouvelles formes de distribution...
 
 
LEX SQUARED AVOCATS
FREDERIC ROSE-DULCINA
 
 
[1] «Le contrôle de l’implantation des centres commerciaux : et la liberté d’entreprendre dans tout ça ?», JDE 23 décembre 2019, Frédéric ROSE-DULCINA
[2] CE, 13 décembre 2019, n°431724


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