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Le fret international face à la recrudescence des cas de force majeur et du fait du prince





Le 11 Octobre 2022, par Rym Boukhari

On n’imagine pas la mondialisation sans transport maritime qui est depuis des années un vecteur de développement économique incontournable.


Le fret international face à la recrudescence des cas de force majeur et du fait du prince
L’accroissement du commerce international et le déploiement à l’échelle mondiale des chaines de valeurs sont devenus possibles grâce à la containerisation qui a rendu le transport de la marchandise plus facile à embarquer et à débarquer avec une sécurisation optimale du produit transporté.
                                  
Mais comme disait l’écrivain de polars Nury Vittachi « Tout en ce monde est imprévisible . Si j’ai appris une chose de la vie , c’est bien celle-là  » ;
 
Le transport maritime qui bénéficiait au demeurant de la liberté des mers, aux impacts économiques, sociaux et environnementaux considérables, se voit aujourd’hui bousculer par des évènements sécuritaires mettant en péril un équilibre qui nous semblait avoir été trouvé depuis la Deuxième Guerre mondiale.
 
L’impossibilité matérielle de réaliser les accords de transports portant sur des chargements comme sur des déchargements en provenance de certains pays met les parties desdites conventions, affréteurs comme armateurs, dans une situation juridique et économique complexe.
 
Que les autorités d’un port refusent qu’une marchandise soit déchargée ou qu’une cargaison de 800 cartons de bouteilles de whisky en transit dans un port libanais soit saisie par les douanes (CA. Aix-en-Provence, 11 mars 2004, BTL 2004. 703), ce sera toujours la même question qui se posera, à savoir l’exonération de la responsabilité en raison de l’impossibilité d’exécuter le contrat.
 
Cette question est d’autant plus récurrente que généralement les contrats d’affrètement sont signés très en amont de la date de l’exécution prévue, si bien que face à des évènements imprévisibles, certains contrats sont déjà en cours d’exécution et se retrouvent figés parfois en mer, parfois à quai, etc.. , soulevant toujours la même question, cette impossibilité relève-t-elle du « fait du Prince » ou de la « force majeure » ?
 
Si cette interrogation paraît de prime abord purement théorique, dans la pratique elle retrouve cependant tout son sens, que ce soit dans les relations entre le chargeur et le transport, en ce qui concerne de la question de la responsabilité, ou entre l’acquéreur et l’assurance du transporteur maritime, en ce que cette dernière pourrait se retrancher derrière la notion de la « force majeur » souvent règlementée par son propre contrat d’assurance pour ne pas indemniser le sinistré.   
Pour rappel le fait du prince est une notion juridique qui désigne « une action et/ou une décision émanant d’une autorité publique et à laquelle le capitaine du navire ne peut pas se soustraire ». Cette notion soulève donc la double problématique de l’illégalité et/ou de l’illégitimité ;  dès lors, même si l’intérêt pratique et théorique exonératoire de responsabilité du « fait du prince » ne fait aucun doute, elle aura néanmoins tendance à être couramment limitée au fait constituant un événement de force majeure.
 
Par conséquent, la question de la résiliation ou de la suspension desdits contrats pour cause de force majeure se pose naturellement mettant en parallèle voire en opposition une approche de type Common Law d’une part et à une approche romano-germanique (droit continental) d’autre part.
 
Cette dernière encadre la force majeure dans des règles de droit permettant de la soulever dès que l’on est en présence d’un phénomène imprévisible, extérieur à la volonté des parties et insurmontable pour suspendre l’exécution du contrat si l’empêchement est temporaire ou le dissoudre si l’empêchement est définitif.
 
De son côté, le Common Law est un peu plus strict, mais peut-être plus proche finalement de la réalité des marchés économiques et pour cause ; 
 
La force majeure pour le Common Law procède des termes du contrat et ne peut donc pas être mise en œuvre si le contrat ne consacre pas une clause spécifique pour cela ; encadrant strictement le renvoi à celle-ci par la mise en place, comme garde-fou, d’un respect strict des cas énumérés dans ladite clause, les critères du droit romano-germanique (extériorité, imprévisibilité et insurmontabilité) restent dans tous les cas l’essence même de la définition de la force majeure, si bien que ladite liste sera toujours susceptible de censure ou de discussion.
 
Dès lors, même si cette approche se retrouve dans certains contrats, tels que les contrats BIMCO qui listent expressément des cas de force majeure, elle ne pourra en tout état de cause pas être généralisée, de même que la liste prévue à ces contrats ne saurait être exhaustive compte tenu de la complexité de la question.
 
Il est vrai qu’en l’état des règles de droit, la question de l’inexécution des contrats de transport maritime se retrouve bousculée par une nouvelle donne qui n’a de toute évidence pas été prévue par les textes ;
 
À cela la question de l’implication des compagnies d’assurances pose tout aussi des difficultés. Celles-ci qui devaient en principe être les garantes de l’économie du flux maritime se retranchent désormais derrière leurs propres contrats pour se soustraire de leurs obligations contractuelles. Pire encore, face à certaines nouvelles situations, les compagnies d’assurances refusent tout simplement de garantir le fret maritime à destination ou en provenance de certains pays.
 
Ainsi, le vecteur du développement économique et maritime se retrouve ébranler, voir déstabiliser par l’invalidation d’une chaine de contrats qui se retranchent derrière des clauses exonératoires de responsabilité mettant les acteurs du fret maritime international dans une grande difficulté économique.
 
Au demeurant, la limitation de responsabilité du transporteur voire son exonération pose un problème crucial. Le chargeur se verra indemnisé partiellement, au pire, ne recevra aucune indemnité du tout.
 
Dès lors, et afin de limiter ce risque devenant de toute évidence de plus en plus présent dans la réalité du transport maritime de marchandises, il conviendrait peut-être que chaque partie du processus d’acheminement de la marchandise par mer souscrive à une police d’assurance AD Valorem ( qui est souscrite sur la base du prix de réel de la marchandise et qui est totalement séparée du contrat de transport)
 
Mais dans l’absolu, il serait tout aussi opportun de réfléchir à la création d’un fonds de solidarité spécial, voir indépendant, qui pourrait en cas de litige couvrir tout ou une partie des pertes issues des cas de « force majeure » et/ou « du fait du prince ».



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