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Les pompiers peuvent-ils se défendre ?





Le 6 Septembre 2018, par Landry RICHARD

Usage des armes de force intermédiaire chez les pompiers

Mardi 04 septembre 2018, les pompiers de Paris interviennent dans le Val-de-Marne à Villeneuve-Saint-Georges pour un homme en « crise de démence ». Un classique pour les pompiers bien souvent confrontés à ces « malaises à domicile » où l’état psychologique de la victime nécessite que les secours la protègent d’elle-même.
Appelés peu après 18 heures dans un pavillon de la rue René-Cassin c’est une mère de famille qui avait prévenu le Samu, expliquant que son fils, en rupture de traitement, faisait une crise de démence.

Les pompiers ont été attaqués au couteau. Un pompier de 27 ans est mort et un autre de 34 ans a été grièvement blessé.

Lorsque les pompiers se présentent sur place, cela se passe normalement au début. Le déséquilibré serait sorti du pavillon avec eux avant d’expliquer qu’il avait oublié quelque chose. C’est alors que les deux militaires ont été attaqués par l’homme qui en avait profité pour se saisir de deux couteaux (et non d’une hache comme cela a été dit dans un premier temps).
Après les avoir poignardés à plusieurs reprises, le jeune homme de 31 ans a été maîtrisé. Les deux jeunes pompiers ont été transportés en hélicoptère à l’hôpital Percy, à Clamart (Hauts-de-Seine), dans un état d’urgence absolue. L’un d’eux a succombé à ses blessures dans la soirée.


1. Les pompiers ne sont pas préparés à faire face à ce genre de situation

La formation initiale de base des sapeurs-pompiers ne prévoit à aucun moment la gestion d’une agression physique. Jamais les pompiers ne sont alertés sur le comportement à adopter devant un psychotique ou un névrosé, comment se positionner devant un psychopathe en crise. Même s’il existe quelques initiations marginales sur la question des psychopathologies, aucune prise d’attention n’est portée sur la dangerosité potentiel de tourner le dos à un schizophrène ou à un dément en pleine crise, le calme apparent d’un individu pour lequel les secours ont été appelés n’étant jamais gage de sûreté.
 
Pour reprendre les travaux de Bernard MEUNIER, ancien négociateur du GIGN ; le schizophrène semble atteint de l’aliénation mentale par excellence, dans le sens où elle est une atteinte polymorphe de l’ensemble des systèmes et des fonctions psychiques. Elle a pour caractéristique les idées délirantes de persécution ou des hallucinations ayant un contenu de persécution ou de grandeur. Coupé du réel, il est quasiment impossible d’entrer en contact avec lui lorsqu’il a une hallucination à laquelle il croit. Ceux qui sont affectés par la folie des grandeurs, sont persuadés qu’ils possèdent des qualités spéciales ou qu’ils ont une mission à exécuter dans leur vie. Ils peuvent être persuadés de percevoir des ordres de quelqu’un de bien précis, ordres qu’ils doivent absolument exécuter. Ils peuvent donc commettre des actes criminels, violents en toute lucidité sans toutefois pouvoir maîtriser cette impulsion.

Cette dernière peut intervenir alors qu’ils sont en train de sourire comme de pleurer, sans raison apparente, sans motivation. C’est une simple réponse à une hallucination, une idée délirante. Certains schizophrènes ont une grande exaltation intellectuelle ou artistique. Il y aura la présence soit :
 
– D’une idée délirante bizarre, avec un contenu absurde n’ayant aucune base réelle possible comme le vol de la pensée,
– D’une idée délirante mégalomaniaque, religieuse, nihiliste,
– D’une idée délirante de persécution ou de jalousie.

Des hallucinations auditives donc, ou plus simplement une incohérence de la pensée avec un discours pauvre est illogique. Les relations de travail et sociales en général, se sont dégradées ainsi que les soins corporels.

Nombre de terroristes, véritables idéologues d’une religion qui n’est que la leur, ou idéalistes passionnés, correspondent à cette pathologie avec en plus un délire de revendication.

Sur mon secteur d’intervention, nous avions pour habitude d’intervenir dans l’appartement d’un ancien militaire, ayant servi en Bosnie. Il appelait souvent les secours disant qu’il allait mettre fin à ses jours par pendaison ce qui déclenchait systématiquement l’intervention des pompiers. À chaque fois, il attendait les pompiers dans son canapé en fumant une cigarette. Il cherchait du regard le plus jeune, le plus impressionnable et lui disait : « Quand je regarde ta carotide ça me donne envie de la trancher avec un couteau… » froid, livide.
Quoi faire à ce moment-là ? La mission est de porter secours, de sauver la vie. Il est dangereux pour lui-même alors quelle est la part de risque que j’accepte de prendre pour empêcher son geste ? Un colosse de presque deux mètres pour cent dix kilos, ancien militaire… Bien souvent les équipages faisaient le choix de sortir de l’appartement en attendant la police.

Un des outils à développer d’urgence chez les pompiers a été proposé par Christophe Caupenne, ancien Commandant de police, qui a été chef du « pool négociation » du RAID pendant onze ans. Dans son ouvrage « Négociateur au RAID » (Le cherche midi, 2010), il présente son échelle d’évaluation de la dangerosité permettant de se centrer sur l’individu, sur l’adversaire.
Véritable outil pratico-pratique, je le présente ici en reprenant les mots de son auteur, applicable pour les policiers, les pompiers et les gendarmes facilement avec son aimable autorisation :
 
Pour pouvoir évaluer correctement et rapidement la dangerosité d’une situation, il a fallu mettre au point un outil d’analyse parfaitement adapté aux missions des services du RAID (prenant en compte uniquement les indices majeurs) et simple d’emploi (rapide et ne nécessitant pas de support).

Christophe CAUPENNE a donc mis au point une échelle d’évaluation de la dangerosité, basée sur cinq domaines d’observation. Elle s’attache à analyser rapidement les paramètres suivants, constitutifs d’autant de secteurs potentiels de menaces et appartenant tous aux principaux éléments qui interagissent dans la crise :

1. L’acte
2. Le contexte
3. L’environnement
4. Les acteurs
5. Les personnels intervenants

Chaque secteur est successivement passé en revue à fin d’évaluer quels sont les indices de dangerosité présents dans la situation et d’aider à poser un diagnostic « objectif » des risques, tiré d’éléments factuels, donc indiscutables (non soumis à l’interprétation de tel ou tel courant de pensée, ou d’enseignement).
 
Des biais peuvent également mettre les équipages en danger :
– la routine collective : on croit savoir ce qu’est telle ou telle intervention, donc on y va avec un présupposé qui va nous conduire au drame (par exemple l’intervention pour le différend familial, toujours chez le même couple… Les agents se disent : c’est bon, on les connaît ! Ce n’est jamais grave. Sauf que cette fois-ci, l’homme a acheté un fusil et qu’il s’est alcoolisé… Et il va tirer sur le premier qui tente d’entrer chez lui).
 
Improvisation : on s’imagine que le format de notre équipe sera suffisant pour gérer ce genre d’intervention et on part également du principe que « l’on verra bien sur place ce que l’on trouve. On se dit que l’on s’adaptera ! »
 
– L’absence de coordination : on part du principe que tout le monde connaît son job. Donc, « À quoi bon ressasser les consignes de sécurité et se répartir les rôles, comme le feraient les débutants ? C’est prendre les copains pour des incapables… »

– l’isolement : l’équipe s’isole, par excès de confiance, ou inexpérience (sans percevoir le risque) dans une zone où elle ne pourra pas obtenir de secours, ni de renforts immédiats.

– le succès : c’est un ennemi pernicieux, car il donne confiance, provoque des automatismes « d’évidences » qui abaissent le niveau de vigilance des agents : « on est en équipe, que tout se passera bien… Comme d’habitude ! On est dix, il est seul ! On est protégés par nos équipements, on ne craint rien... »

Les risques peuvent aussi être liés directement à vous.
– L’appréhension et le stress : il est possible que vous dysfonctionniez lors d’une opération, sous l’effet du stress ou de l’appréhension, alors que, en règle générale, vous faites partie des « valeurs sûres » de votre équipe. Nous sommes tous différents d’une intervention sur l’autre, en fonction de paramètres personnels ou professionnels. La peur est un sentiment qui ne se commande pas. C’est une « sécurité physiologique » qui nous a permis de survivre, à travers les âges, en nous obligeant à différer la confrontation directe danger, ou à créer des moyens d’agir différemment qu’en effectuant des face-à-face périlleux. Il n’en reste pas moins que cet état provoque des attitudes paradoxales qui peuvent inhiber nos réactions.
– la sous-estimation du risque : c’est l’une des erreurs les plus stupides qu’aient à connaître les jeunes agents sans expérience. C’est l’image de la « fleur au fusil » : on préjuge que tout se passera bien… On ne prend pas en compte tous les signaux d’alerte ; on ne stoppe pas l’action pour réclamer des renforts, etc.

– la surévaluation de vos capacités ou de celles de vos équipes : je prendrai pour exemple la remarque du préfet Christian Prouteau, fondateur du GIGN, qui évoquait dans son ouvrage « Mémoires d’État  » (Michel Lafon, juillet 1998) : « À force de côtoyer le danger, j’avais fini par croire que je l’avais apprivoisé. » Toutes les grandes unités d’intervention ont payé, un jour ou l’autre, un lourd tribut à ce dysfonctionnement opérationnel.

Suite de cet article le 7 septembre 2018 :
Est-ce la mission des sapeurs-pompiers que de devoir intervenir sur une personne agitée aliénée à domicile ?


Landry RICHARD, sapeur-pompier depuis plus de 20 ans, spécialiste NRBC, réserviste de la Gendarmerie Nationale est expert de l’optimisation des potentiels. Il accompagne des sportifs de haut-niveau et des dirigeants dans le développement des performances individuelles et collectives et dans la gestion des situations de crises.
Après être intervenu au Népal en 2015 et en Équateur en 2016 suite aux tremblements de terre, il intègre le MBA spécialisé Management de la Sécurité de la Gendarmerie Nationale pour se spécialiser dans les questions de la sûreté et le développement de la performance des équipes d’intervention spécialisées.

Il est l'auteur de "DANS LA TETE DE CEUX QUI NOUS PROTEGENT, Comment des hommes ordinaires font ensemble des choses extraordinaires " chez VA Editions
 
 



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