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Médias : Le juge administratif et le pluralisme de l’information





Le 20 Février 2024, par Frédéric Rose-Dulcina

Par un arrêt de principe du 13 février 2024, le Conseil d’Etat (CE) a précisé la notion de pluralisme de l’information et les obligations incombant à l’Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique (ARCOM) quant au respect de ce principe par les chaînes de télévision (CE, 13 février 2024, n°463162, publié au recueil Lebon).


Ce n’est pas la première fois que les Juges du Palais-Royal sont amenés à trancher une question relative au pluralisme de l’information, notamment d’un média télé. Par le passé, le Conseil d’État a en effet déjà considéré que si une chaîne de télévision a le droit de définir une ligne éditoriale, cela ne l’autorise pas à présenter de manière univoque une question prêtant pourtant à controverse (CE, 22 novembre 2019, n°422790, mentionné au Lebon). De même, par un arrêt en date du 13 janvier 2023, le Conseil d’Etat a jugé que le respect des obligations en matière d'expression pluraliste des courants d'opinion à la télévision s’apprécie en tenant compte des heures de diffusion des émissions (CE, 13 janvier 2023, n°462663, mentionné au Lebon).
 
Ce dernier arrêt du 13 janvier 2023 concernait déjà la chaîne de télévision CNEWS (diffusée sur le canal 16), comme dans la décision de justice ici commentée. Dans cette affaire, l’association Reporters sans frontières (RSF) avait demandé au Conseil Supérieur de l’Audiovisuel (CSA), devenu depuis l’ARCOM, d’adresser une mise en demeure à l’éditeur du service de télévision CNEWS sur le fondement de l’article 42 de la loi du 30 septembre 1986 relative à la liberté de communication, de se conformer à ses obligations relatives à sa qualité de “service consacré à l’information” prévue par sa convention d’autorisation ainsi qu’aux principes d’honnêteté de l’information, de pluralisme et d’indépendance de l’information. Sa demande ayant été rejetée, RSF a alors demandé au Conseil d’Etat d’annuler ce refus et vient d'obtenir gain de cause dans le cadre d'une décision du 13 février 2024 particulièrement bien motivée.
 
Pour le Conseil d’Etat, il découle de l’article 10 de Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales “une obligation pour les Etats parties à la convention de mettre en place un cadre juridique et administratif propre à garantir le pluralisme des médias, qui doit s’entendre tant du pluralisme externe entre les différents médias d’information que du pluralisme interne qui vise, au sein de chaque média d’information, à assurer une expression pluraliste des courants de pensée et d’opinion, l’accès du public devant ainsi être garanti à des informations impartiales et exactes et à une pluralité d’opinions et de commentaires”. À cet égard, les dispositions législatives des articles 1er, 3-1, et 13 de la loi du 30 septembre 1986 et de de l'article 2 bis de la loi du 29 juillet 1881 doivent être appréciées au regard tant des principes qu’elles établissent que des pouvoirs qu’elles confèrent à l’ARCOM pour fixer des obligations à chaque éditeur de service dans la convention qu’elle conclut avec lui, pour lui adresser, en cas de manquement, une mise en demeure permettant de préciser les contours de ces obligations, puis pour lui infliger une sanction pouvant aller jusqu’au retrait de l’autorisation d’émettre.  Ici, aucune illégalité de ce point de vue n'a été relevée par le CE.
 
S’agissant du respect des obligations en matière de pluralisme de l’information, les Juges du Palais-Royal précisent “qu’il résulte des dispositions de l’article 1er de la loi du 30 septembre 1986 et de celles des articles 3-1 et 13 de la même loi […] que l’ARCOM a pour mission de garantir le respect de l’expression pluraliste des courants de pensée et d'opinion dans les programmes audiovisuels, notamment dans les programmes consacrés à l’information. Il lui appartient à cet effet d’apprécier le respect par les éditeurs de service de cette exigence, dans l’exercice de leur liberté éditoriale, en prenant en compte, dans l’ensemble de leur programmation, la diversité des courants de pensée et d’opinion exprimés par l’ensemble des participants aux programmes diffusés”.
 
À l’appui de sa demande tendant à ce que l’éditeur de la chaîne CNEWS soit mis en demeure de se conformer à ses obligations en matière de pluralisme de l’information, RSF, tout en critiquant les conditions de décompte du temps de parole d’Eric Zemmour au mois de septembre 2021, faisait valoir que la chaîne n’assurait pas une diversité suffisante des points de vue exprimés à l’antenne, notamment à l’occasion des débats sur des questions prêtant à controverse. Pour refuser de mettre en demeure l’éditeur de ce service de se conformer à ses obligations en matière de pluralisme, l’ARCOM s’est bornée à apprécier le respect du pluralisme au seul regard du temps d’antenne accordé aux personnalités politiques. En s’en tenant ainsi à la seule prise en compte du temps d’antenne accordé aux personnalités politiques pour l’appréciation des obligations du service en matière de pluralisme de l’information, l’ARCOM a fait une inexacte application des dispositions de la loi du 30 septembre 1986. Telle est la position du Conseil d’Etat.
 
En ce qui concerne le respect de l’indépendance de l’information, le Conseil d’Etat considère “qu’eu égard à leur nature, les obligations d’un éditeur de service en matière d’indépendance de l’information sont au nombre de celles dont la méconnaissance peut être constatée par l’ARCOM non seulement au regard d’un programme donné, mais également au regard de l’ensemble de ses conditions de fonctionnement et des caractéristiques de sa programmation”. Dans sa demande adressée au CSA, l’association requérante faisait notamment état d’immixtions dans la programmation de la chaîne par son principal actionnaire, immixtions contraires aux exigences d’indépendance. Or, comme il a été dit précédemment, pour rejeter la demande qui lui était adressée sur ce point par l’association requérante, l’autorité de régulation a relevé qu’elle ne pouvait intervenir que si la matérialité d’un manquement était établie au cours d’une séquence identifiée, elle a donc fait une inexacte application des dispositions de la loi du 30 septembre 1986. En conséquence, RSF était fondée à demander l’annulation de la décision attaquée en tant qu’elle rejette sa demande de mettre en demeure l’éditeur du service CNEWS de se conformer à ses obligations en matière de pluralisme et d’indépendance de l’information.
 
Cette décision du Conseil d’Etat est salutaire en tant qu'elle fixe un cadre juridique clair et attendu sur cette question du respect du principe de pluralisme de l'information par les chaînes de télévision. D'autres décisions sont à attendre puisque - comme le CE l’a précisé dans sa décision du 13 février 2024 - la requête de l’association RSF doit désormais être réexaminée en tant qu’elle porte sur la demande de mettre en demeure l’éditeur du service CNEWS de se conformer à ses obligations en matière de pluralisme et d’indépendance de l’information. L’ARCOM devra procéder à ce réexamen et prendre une nouvelle décision dans un délai de six mois à compter de la notification de la décision du CE.
 
La suite du feuilleton CNEWS au prochain épisode…
 
Frédéric ROSE-DULCINA
Spécialiste en droit public et en RSE
DEA Droit public des affaires
DESS Droit de la construction et de l'urbanisme
LEX SQUARED AVOCATS
 
 


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