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Notre-Dame de Paris : quand l’exception devient la règle en droit de l’urbanisme





Le 29 Mai 2019, par Frédéric Rosedulcina

Depuis plusieurs années, les gouvernements successifs modifient les règles du droit de l’urbanisme afin notamment d’en améliorer l’efficience. L’exemple du projet de loi spécial Notre-Dame de Paris est une illustration de cette tendance. Aller plus vite serait synonyme d’efficacité à en croire l’adoption de ces lois d’exception. Rien n’est pourtant moins sûr...


Une fois de plus, le gouvernement veut passer outre les règles pour atteindre son projet ambitieux de restauration de Notre-Dame de Paris en cinq ans.  Quelques jours après l’incendie de l’emblématique cathédrale, un projet de loi spécial Notre-Dame de Paris a été présenté mercredi 24 avril en Conseil des ministres.
 
Ce texte a pour objectif de donner « la possibilité au gouvernement de prendre par ordonnance les mesures d’aménagement ou de dérogation nécessaires pour faciliter la réalisation des travaux » de la Cathédrale Notre-Dame de Paris.
« L’idée est que toutes les dispositions législatives qui permettent de faciliter la réalisation des travaux de restauration puissent être prises, y compris, le cas échéant, en dérogeant à un certain nombre de procédures de construction, l’objectif étant, à chaque fois, d’accélérer le chantier », a précisé Sibeth Ndiaye, la porte-parole du gouvernement, lors du compte-rendu du Conseil des ministres.
 
Cette procédure d’exception permettrait au gouvernement de déroger à des obligations en matière de marchés publics et de lois de protection du patrimoine.
 Le texte législatif donne également le droit au gouvernement de créer un établissement public chargé de concevoir et réaliser les travaux de restauration et de conservation de la cathédrale incendiée le 15 avril 2019.
 
Les Françaises et les Français ne semblent pas vouloir se précipiter pour réaliser l’objectif d’une reconstruction en cinq ans, énoncé par le Président de la République, Emmanuel Macron, lors de son intervention télévisée au lendemain de l’incendie de Notre-Dame.
Plusieurs enquêtes d’opinion récentes en témoignent s’il en était besoin.
 Les Français semblent avoir compris que rapidité ne rime pas toujours avec efficacité si même si l’intention de nos décideurs publics est souvent louable.
 
Ces dernières années, le droit de l’urbanisme a souvent été réformé par voie d’ordonnance.
Légiférer ainsi est un moyen pour le gouvernement de mettre en place une mesure immédiatement, sans attendre un passage devant le Parlement.
Pour pouvoir légiférer par ordonnance, le gouvernement doit tout de même avoir l’autorisation préalable de l’Assemblée, comme le prévoit l’article 38 de la Constitution selon lequel « le gouvernement peut, pour l’exécution de son programme, demander au Parlement l’autorisation de prendre par ordonnances, pendant un délai limité, des mesures qui sont normalement du domaine de la loi. »
 
Quel bilan doit-être tiré des lois dites d’exception en matière d’urbanisme ?
 
À titre d’exemple, plus de cinq ans après leur entrée en vigueur, l’ordonnance n° 2013-638 du 18 juillet 2013 relative au contentieux de l’urbanisme (1) et son décret du 1er octobre suivant n’ont pas produit les effets escomptés.
 
Ce texte d’exception du 18 juillet 2013 devait permettre de favoriser les chantiers de construction notamment l’édification de nouveaux logements en sécurisant juridiquement les projets, en luttant contre les recours abusifs ou encore en diminuant les délais de jugement.
 
Pourtant, le rapport rendu public en janvier 2018 (2) par Madame Maugüé, Conseillère d’État, a permis de constater que l’ordonnance du 18 juillet 2013 n’a guère permis de répondre aux objectifs affichés.
 
Ce rapport précise : « en dépit du développement de ces dispositions particulières, on observe malgré tout la permanence de certains problèmes : les recours retardent, voire rendent impossibles les opérations ; ces recours ont un impact sur le coût des constructions (...). Les mesures conçues précisément pour sécuriser les constructeurs afin de rendre le contentieux moins pénalisant pour la réalisation des projets (...) ont eu un effet négligeable. La mission d’inspection des juridictions administratives (MIJA) a procédé à la fin de l’année 2015 à une évaluation des effets sur l’activité contentieuse des dispositions législatives et réglementaires relatives au contentieux de l’urbanisme mises en œuvre en 2013. Cette intéressante étude a fait ressortir qu’après une légère baisse de deux mois, le délai moyen de jugement des recours contre les permis de construire s’était stabilisé à 23 mois en première instance, qu’il était de 16 à 18 mois en appel et de 14 mois en cassation. La durée moyenne des recours contre les autorisations d’occupation des sols reste donc longue, toutes les instances confondues ».
 
Ce dispositif issu de l’ordonnance du 18 juillet 2013 a été complété par des récentes dispositions de la loi dite ELAN (3)
 
Malgré ce constat d’échec, le gouvernement a été habilité par la loi ELAN, dans ses articles 46 et 50, à prendre des ordonnances visant encore à adapter le droit de l’urbanisme. Il dispose ainsi de dix-huit mois (à partir du 23 novembre 2018) pour simplifier la hiérarchie des normes et moderniser certains documents d’urbanisme.

Alors que le droit de l’urbanisme est encore convalescent en dépit des remèdes issus des lois d’exception de ces dernières années, vouloir remettre sur pied par ordonnance la malade Notre-Dame de Paris est très largement discutable.
Aucun enseignement ne semble en effet avoir été tiré des échecs récents en la matière.
Le temps parlementaire n’est pas forcément synonyme d’inaction ou d’inefficacité. Méditons sur ce dicton chinois selon lequel « si tu veux aller vite, va doucement »...
 

Par Maître Frédéric Rosedulcina
Avocat à la Cour – Lex Squared





[1]  JORF n° 0166 du 19 juillet 2013, page 12070
[2]  Propositions pour un contentieux des autorisations d’urbanisme plus rapide et plus efficace. Rapport au ministre de la cohésion des territoires présenté par le groupe de travail présidé par Christine Maugüé, conseillère d’Etat.
[3]  Loi n° 2018-1021 du 23 novembre 2018 portant évolution du logement, de l’aménagement et du numérique. JORF n° 0272 du 24 novembre 2018


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