Journal de l'économie

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Penser est une lutte avec la langue (L Wittgenstein)





Le 25 Mars 2021, par Nicolas Lerègle

Les avocats partagent avec les prêtres la particularité d’être investi d’un secret qui fait partie de leurs attributs professionnels indiscutables. On peut leur parler, se confesser, s’épancher, s’incriminer, avouer, se plaindre, morigéner… tout ce qui est dit à son avocat restera entre lui et vous. Ce secret professionnel qui rassure et qui justifie aussi l’existence même de la profession d’avocat et la relation si particulière qui peut dès lors se nouer entre le conseil et son client on pouvait le penser unique, singulier, immuable et inviolable. La dernière proposition de notre Garde des Sceaux (et encore récemment avocat) vient semer un doute, ce secret professionnel serait-il comme la Covid doté de variants qui nous dessineraient le tableau d’un secret mouvant au gré des circonstances.


Penser est une lutte avec la langue (L Wittgenstein)
Au secret professionnel tel que nous le connaissons pourrait venir se greffer un secret de la défense. Et comme dans le même temps on évoque de plus en plus un avocat en entreprise – donc plausiblement salarié – qui lui aussi disposerait de son secret professionnel, mais dans un cadre plus hiérarchisé de double loyauté… on se dit qu’à force de triturer le secret à la fin celui-ci risque de ne plus rester tel qu’il est.

Le secret de la défense suppose déjà que l’avocat n’attaque pas, pour autant la meilleure défense n’est-elle pas l’attaque, mais alors quel secret s’appliquerait-il ? Celui de la défense ou le professionnel classique et où se situerait la ligne de partage.

Le secret de la défense revêt de surcroît une connotation « pénale » qui ne concerne pas tous les avocats qui pour beaucoup mixent leur secret professionnel et le secret des affaires de leurs clients, qui lui-même peut être remis en question par des journalistes par exemple protégés par le secret des sources qui leur est garanti. Aurions-nous donc là un nouveau secret qui viendrait ne concerner que les avocats pénalistes, qui ne le sont pas tous les jours, ou les affaires dites pénales sachant que parfois ce pénal n’est qu’un volet spécifique d’un dossier.

Tout cela commence à devenir bien compliqué, à force de vouloir clarifier et simplifier – assurément de bonne foi ou pour contrebalancer d’autres positions – on en vient à créer des imbroglios intellectuels qui ne sont pas sans caractériser « l’esprit français ». À un système simple quasiment intelligible par tout le monde on décide de couper les cheveux en quatre en étant persuadé que cela va le rendre plus simple encore. Oui « Penser est une lutte avec la langue » devrait être gravée sur tous les bureaux de nos ministres y compris ceux qui faisaient de la parole leur outil de travail.

Toucher au secret professionnel, même au prétexte de l’améliorer, en le démultipliant n’est pas anodin et ne peut que fragiliser ce qui est un pilier non pas d’une profession, mais d’une société démocratique et des justiciables qu’en sont tous les citoyens sujets de droit.
Le secret professionnel peut en effet être un paravent qui pourrait être utilisé non pour protéger, mais pour dissimuler, mais il en est ainsi de la défense des intérêts d’un client que cela soit en matière pénale ou dans les domaines du droit des affaires. Maintenant les dérives d’usage de certains ne doivent pas entrainer une réflexion, qui sous couvert d’efficacité ou d’amélioration, s’avérerait pénalisante pour tous et, indirectement, saperait les fondements de la raison d’être d’une profession.

Soyons lucide, dans le contexte actuel, non pas sanitaire, mais des conséquences de cette crise dans l’opinion publique, à savoir : prolifération des thèses  « complotistes », déficit de confiance du politique, diffusion des hypothèses saugrenues, craintes apocalyptiques relayées à foison, poussées des extrémismes politiques qui sont autant de nuées transformant toute idée gouvernementale en atteinte aux libertés ou tout changement d’orientation en preuve d’incompétence.

Dans ce contexte, et si l’on est sensible à la notion de démocratie, l’État de droit est un rempart dont on ne peut pas se passer. Or, le secret professionnel est un chemin de ronde de cet État de droit. Il permet d’en surveiller les accès et les points de faiblesse, de contrer des tentations arbitraires et des pulsions de remise en cause. Il assure la défense de tout à chacun dans les meilleures conditions et dans le respect des lois.

Instiller le sentiment que l’on puisse y toucher, lui donner plusieurs apparences ne peut qu’induire la conviction qu’il est friable et à géométrie variable, que certains seront mieux défendus que d’autres. Il serait difficile d’indiquer plus clairement le sentiment que ce secret dédoublé reviendrait à créer une justice à deux vitesses. Aujourd’hui il n’y aurait pas de meilleure façon d’en convaincre toute une frange de nos concitoyens qui se sentent exclus du système et qui, dès l’année prochaine, pourraient se jeter par dépit, désespoir ou désillusion dans les bras de  partis résolument opposés au pacte social de la Vème République, que l’on est toujours prompte à vilipender, mais qui fonctionne depuis 60 ans.
La théorie du chaos postule qu’un battement d’aile de papillon en Europe pourrait entrainer un tremblement de terre en Asie. Une telle proposition est un battement d’ailes, elle apparait comme légère et sans grande conséquence et pourtant elle peut, par l’écho et l’instrumentalisation politique qui pourrait lui être donnée, au-delà du caractère inexplicable qu’elle revêtira, entrainer des conséquences profondes, durables et peut-être dommageables pour notre État de droit.

Assurément cela ne doit pas être l’intention du Garde des Sceaux qui étant devenu un politique cherche à laisser une marque de son passage. « Il faut laisser des traces de son passage et non des preuves, car seules les traces font rêver » écrivait René Char, peut-être s’inspirer de cette phrase et ne pas chercher à maladroitement tracer une voie périlleuse. Ou comme notre Garde, avant d’être politique, était avocat lui rappeler, respectueusement, les propos de Grégoire de Nazianze, théologien du IVe siècle « Ne restons pas ce que nous sommes, mais devenons qui nous étions ».
 


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