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Philippe Charlez : "Les 10 Commandements de la Transition Energétique"





Le 3 Avril 2023, par Bertrand Coty interview


Philippe Charlez, vous publiez aux éditions VA, Les 10 Commandements de la Transition Energétique.
Comment analysez-vous la prise de conscience des citoyens européens quant à un nécessaire changement de comportement ?

À une époque où le déclinisme est de plus en plus mis en avant comme solution au réchauffement climatique, je reste un supporter inconditionnel du développement humain fruit de la liberté de penser et du progrès technologique. La pandémie du COVID 19 et les confinements associés ont clairement prouvé qu’un effort démesuré de décroissance (-7 % en 2020) n’avait qu’un effet marginal sur la réduction de Gaz à Effet de Serre (-5 % en 2020). Utiliser le levier de la décroissance pour résoudre l’équation climatique reviendrait à plonger l’humanité dans la pauvreté absolue en réduisant notamment l’espérance de vie de plus de dix ans. 50 ans d’effort de développement réduits à néant. Compte tenu du degré d’incertitude des modèles climatiques, pas question pour moi d’abandonner la société de croissance et son « démon capitaliste ».
 
S’il est indispensable de continuer à produire de la richesse, en revanche il est aussi impératif d’optimiser notre consommation d’énergie. Optimiser pour continuer de croître et non réduire et accepter de décroitre tel est l’objectif que je poursuis dans mon ouvrage.
 
Bien que les Européens (consommation comprise entre 40 MWh/hab et 50 MWh/hab) sont beaucoup moins « énergétivores » que les Américains (80 MWh) ou certaines monarchies du Golfe comme les UAE (120 MWh), nombre de nos comportements restent peu soucieux de notre consommation énergétique surtout dans l’habitat et les transports. En dehors de petits écogestes, il existe de nombreux leviers pour optimiser notre consommation d’énergie. Ainsi, tous les leviers existent pour réduire de moitié la consommation des voitures thermiques (vitesse, poids, pneumatiques, qualité des routes, aérodynamisme).
 
Pourtant nous refusons les plus efficaces (limitation de vitesse à 110 km/h sur autoroute = 30 % de consommation en moins) et nous encourageons les véhicules les moins performants (croissance significative du peu aérodynamiques SUV et réduction de la proportion de berlines). Toujours en matière de transports, le remplissage des voitures est moindre qu’il y a vingt ans. Quant au fret routier qui consomme pourtant huit fois plus d’énergie par tonne marchandise que le fret ferroviaire sa part a été multipliée par 2,5 au cours des deux dernières décennies quand celle du train baissait de 30 %. Le bâtiment n’est pas en reste. Alors qu’il n’est occupé qu’entre 20 % et 40 % du temps, le Tertiaire (aussi bien public que privé) est énergétisé plus de 80 % du temps. Éclairage permanent, terrasses et piscines municipales surchauffées, chauffage non régulé, informatique jamais éteinte les économies d’énergie y sont gargantuesques. L’Europe consomme aujourd’hui un kWh pour produire un euro de PIB. Cette valeur pourrait aisément se réduire à 0,7 voire 0,6 au cours des trente prochaines années.
 
Vous mettez en avant la nécessité de poursuivre la production d’électricité par le nucléaire notamment. Cette option après les risques de coupures de courant cet hiver ne semble plus vraiment faire débat. Où en sommes-nous sur ce sujet polémique ?
 
La transition énergétique vise à décarboner la société. Elle reposera sur le « grand remplacement » d’équipements thermiques (voitures thermiques, chaudières au fioul et au gaz) par des équipements électriques (voitures électriques ou à hydrogène vert fabriqué à partir d’électricité, pompes à chaleur).
 
Cette électrification s’imposera également dans l’industrie avec notamment le remplacement du charbon par de l’hydrogène en sidérurgie et l’utilisation de fours à arc électrique en cimenterie. En France, la consommation d’électricité devrait doubler d’ici 2050 passant de 450 TWh à plus de 800 TWh. La question centrale est d’où viendra cette électricité ? Cinq sources principales sont possibles : charbon, gaz, hydroélectricité, nucléaire et énergies renouvelables (solaire et éolien pour l’essentiel).
 
Rejetant le charbon très émetteur de CO2 et observant qu’il n’y a plus d’extension possible pour l’hydroélectricité, la montée en puissance des ENR s’appuiera sur le gaz et le nucléaire.  Les choix politiques de ces dix dernières années se lisent en filigrane des chiffres européens. Depuis 2014 tandis que les consommations d’électricité charbonnière (-60 %) et nucléaire (-10 %) se contractaient, les consommations renouvelables (+70 %) et gazières (+54 %) explosaient. Fortement influencée par l’utopique stratégie du 100 % renouvelables de l’Energiewende allemand, l’Europe a donc implicitement choisi « le gaz comme meilleur ami des renouvelables ». Parallèlement, en ne construisant pratiquement plus de centrales depuis 20 ans, le Vieux Continent a mis à mal sa filière nucléaire. Tout en saluant le virage à 180° d’Emmanuel Macron à Belfort le 13 février 2022, j’observe que pour reconstituer ce pôle d’excellence il faudra de nombreuses années. L’objectif de 14 EPR d’ici 2050 apparaît bien ambitieux : il signifie la construction d’un EPR…tous les deux ans. Qui peut y croire ?
 
La croissance de la consommation gazière apparaît donc inéluctable au cours des 15 prochaines années pour satisfaire la demande électrique. Voulu ou non, ce choix pose le problème de la sécurité énergétique ainsi que des risques prix. Il faut en effet se rappeler que le nucléaire est une électricité de prix fixes (le prix des installations pèse pour 95 % du prix du MWh et l’Uranium pour 5 %) alors que pour le gaz c’est le contraire. En misant sur le gaz, on accepte donc implicitement une forte volatilité des prix de l’électricité.
 
Vous évoquez également un reliquat d’énergie fossile inévitable dans le mix énergétique. Pouvez-vous nous préciser votre pensée ?
 
Entre 1970 et 2022, la part d’énergies fossiles (pétrole + gaz + charbon) dans le mix mondial est passée de 92 % à 82 % soit une réduction de 10 % en plus de 50 ans. En 2022 la consommation de charbon dans le monde a atteint des sommets. Comment croire qu’elle pourrait se réduire à zéro en trente ans d’autant que les pays émergents (80 % de la population mondiale) consomment 75 % du charbon et 60 % du pétrole et tandis que la croissance démographique continue d’y être soutenue.
 
Les scénarios 2050 les plus optimistes parlent de 40 % de fossiles en 2050 (presque plus de charbon, moins de pétrole, mais beaucoup de gaz comme expliqué ci-dessus) tandis que l’extrapolation des politiques actuelles converge autour d’un mix 65 % fossiles [1]. Pour arriver à 40 %, il faudrait observer au cours des années qui viennent une inflexion majeure des politiques publiques surtout dans les pays émergents ce qui ne semble pas le cas.  En utilisant le mot « reliquat » dans mon commandement, j’ai moi-même été plus qu’optimiste. Un investissement massif dans le nucléaire (et encore) au cours des 20 dernières années aurait pu changer les choses. Tel n’a pas été le cas. C’est trop tard aujourd’hui !
 
Qu’attendre de la coopération notamment des États européens et des citoyens, alors que la fixation du prix de l’énergie en Europe fait débat ?
 
S’articulant principalement autour de l’électricité et du gaz, le mix énergétique du futur renforcera implicitement le besoin de coopération à l’échelle régionale. En effet, contrairement au pétrole, au charbon ou au nucléaire aisément transportables (à la condition d’avoir un accès maritime), le gaz et l’électricité sont intimement liés au territoire via les infrastructures gazières (réseau de gazoducs) et les réseaux électriques.
 
Cette option rend donc caduc l’espoir d’une gestion purement nationale de l’énergie comme tel pouvait être le cas dans les années 1970 et 1980 quand le gaz était peu présent et les réseaux électriques peu connectés. L’Europe doit donc renforcer sa coopération énergétique : ce n’est pas seulement une nécessité politique c’est surtout une nécessité technique. Ainsi, l’arrêt de nombre de nos réacteurs nucléaires en 2022 a induit une forte croissance des importations d’électricité. Si le Gaz Naturel Liquéfié permet de décorréler les échanges, les volumes aujourd’hui en jeu ne permettent pas de s’affranchir des échanges par gazoduc loin de là.
 
Malheureusement les politiques fonctionnent toujours par « agendas inversés ». Ils se donnent des objectifs (i.e. l’arrêt de la vente de voitures thermiques neuves en 2035 !) sans se poser la question de la faisabilité technique, du financement et des conséquences sociétales.
 
L’échec du grand marché européen de l’électricité en est un exemple patent. Libéraliser le marché d’une commodité qui ne se stocke pas en y rajoutant des ENR non pilotables subventionnés ne pouvait conduire à terme qu’à une catastrophe annoncée. L’industrie européenne et les petits commerçants en payent aujourd’hui le prix fort. Il grand est temps que l’Europe prenne conscience que l’énergie n’est pas une variable d’ajustement politique, mais un projet structurant nécessaire à la survie économique et sociétale du Vieux Continent.
 
[1] BP energy outlook 2023

 




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