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Pierre-Alexis de Vauplane : « Demain la souveraineté »





Le 9 Septembre 2022, par Bertrand Coty interview

Pierre-Alexis de Vauplane est partner chez Ring Capital, l’un des principaux fonds français de capital d’investissement spécialisé dans le numérique. Depuis dix ans, il a participé au financement et à l’accompagnement de plus d’une quinzaine de sociétés.


Pierre-Alexis de Vauplane
Pierre-Alexis de Vauplane
Pierre-Alexis de Vauplane, vous développez dans votre dernier livre publié chez Hermann, « Demain la souveraineté », une approche de la souveraineté en relation avec les entreprises du numérique. En quoi les GAFAM ont-elles changé la donne ?
 
Depuis 70 ans, la souveraineté a subi deux bouleversements majeurs. 
 
Le premier bouleversement a été celui de la mondialisation. Il a créé des relations d’interdépendances entre États et a rendu nécessaire une taille critique pour peser dans l’ordre économique et politique mondial. C’est ainsi que, face aux quasi-empires continentaux que sont les Américains, les Russes et les Chinois, les nations européennes ont dû s’allier et partager l’exercice de leur souveraineté dans certains domaines. Ce concept de partage fut une rupture historique, en particulier pour la France qui a toujours entretenu le mythe d’une souveraineté dont l’État avait jusqu’alors, seul, le monopole absolu. La construction européenne s’est bâtie sur ce principe et c’est cette rupture qui a entraîné les conflits politiques que l’on vit depuis trente ans avec d’un côté les souverainistes et les fédéralistes de l’autre. 
 
Le second bouleversement que nous vivons actuellement est initié par le numérique. L’économie numérique, notamment par les effets de réseau qu’elle amplifie, a fait émerger des entreprises dont la puissance économique, technologique et financière dépasse celle des anciennes générations. Même aujourd’hui, après l’éclatement de la bulle boursière dans la Tech, sur les dix premières capitalisations boursières, quatre sont issues de l’économie numérique (Apple, Tesla, Google et Tencent). Cette nouvelle génération d’entreprises a ajouté à cette puissance un désir de concurrencer les États dans leurs prérogatives historiques comme la monnaie ou la justice. Éric Schmidt, alors patron de Google, disait par exemple que « les États sont inefficients, nous sommes efficaces, nous avons vocation à les remplacer ». 
 
Pourriez-vous redéfinir un concept de souveraineté européenne à la lumière de ce constat ?
 
La souveraineté européenne est encore un concept discuté. À ce concept je préfère parler de souverainetés nationales partagées, car pour reprendre la formule du philosophe Pierre Manent, « si l’Europe avait une souveraineté, elle aurait des organes de gouvernement commun, des forces militaires à sa disposition, une diplomatie commune » (Europe 1, janvier 2022). 
 
Alors que la mondialisation impose aux États un partage de l’exercice de leur souveraineté avec d’autres États, le numérique impose, en plus, le partage avec des acteurs privés. Le partage permet à chaque nation de conserver sa souveraineté là où une souveraineté européenne induit un don ou une dilution de la souveraineté des nations dans un autre ensemble. Un ensemble dont les peuples ont exprimé à plusieurs reprises, et qu’on le veuille ou non, un certain désamour.
 
Comment le défendre face à la puissance induite par les entreprises du numérique  ?
 
La meilleure défense c’est l’attaque !
 
Face aux géants américains et chinois, il faut arrêter de vouloir réglementer à tout prix. Il faut aussi et surtout innover. Il faut que les Américains et Chinois trouvent en face d’eux, sur le sol européen, des puissants géants français et européens. Face à la puissance des géants du numérique étrangers, il faut financer et accompagner l’émergence de ces géants européens. Doctolib ou Ledger font partie de ces géants capables de contester leurs rivaux américains et chinois. Il faudrait en créer des dizaines d’autres.
 
La stratégie défensive que l’on a mise en place ces dernières années n’est pas bonne. Elle est aussi efficace qu’une muraille de sable face à la marée montante : elle s’érode face aux assauts répétés des géants du numérique. Le meilleur exemple est le RGPD, le règlement européen qui était censé protéger les données numériques des Européens. Depuis son application en 2018, rien n’a changé : nos données numériques sont encore à plus de 70 % chez Google et Microsoft et les services de renseignement américains peuvent y accéder quand ils le souhaitent.
 
Quelle est votre vision prospective sur l’évolution de ces questions  ?
 
Dans ses Mémoires, Metternich écrivait que « Le droit sans la puissance est une chimère, et la puissance sans le droit est un abus. La souveraineté se trouve là où les deux conditions sont réunies. » Aujourd’hui les pays européens n’appliquent qu’une partie des conseils de Metternich. Et tant qu’ils ne verront la souveraineté uniquement sous le prisme du droit et de la réglementation, les perspectives ne seront pas réjouissantes : l’Europe continuera de se faire coloniser numériquement par les géants américains et chinois. 
 
Il ne suffit pas de grand-chose pour inverser le rapport de forces et mettre fin à cette colonisation numérique. Je reste profondément optimiste. La souveraineté est une conquête permanente et si nous avons perdu plusieurs batailles comme celle du cloud, chaque jour de nouveaux horizons technologiques s’ouvrent et sont autant de possibilités de création de nouveaux géants. La technologie quantique fait partie de ces prochains champs de bataille qu’il faut investir massivement. Nous avons les compétences techniques et les moyens financiers pour battre les Américains et les Chinois. Avons-nous la volonté ?




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