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Pollution de l'air : "Le droit de vivre dans un environnement sain"





Le 4 Octobre 2019, par Frédéric Rosa-Dulcina

-A plusieurs reprises, depuis quelques mois, certains tribunaux administratifs [1] ont épinglé la carence fautive de l’État en matière de qualité de l’air. La prochaine étape semble devoir être la condamnation de l'Etat à de lourdes indemnités pour réparer les préjudices subis par les plaignants.


Pollution de l'air : "Le droit de vivre dans un environnement sain"
Depuis dix ans, la France a fait l’objet de mises en demeure et avis de la Commission européenne pour les particules fines et le dioxyde d’azote. Au point que Bruxelles l’a renvoyée devant la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) en mai 2018 pour non-respect des normes de qualité de l’air. Au point encore que le Conseil d’État [2], dans une décision très commentée, ait enjoint le 12 juillet 2017 à l’exécutif de prendre des « mesures rapides pour mettre fin à ces dépassements réguliers ». Certains commentateurs considéraient alors que cette dernière décision allait contribuer à ce que les objectifs fixés en droit de l'environnement n'impliquent pas une simple obligation de moyen à la charge des Etats mais bien une obligation de résultat.
 
Certains juges du fond ont récemment entendu prendre le relais des décisions du Conseil d'Etat et de la Commission européenne.
 
Ainsi, le 26 septembre 2019, le Tribunal administratif de LYON a considéré que "l'exposition persistante, et difficilement compressible, reconnue par le plan de protection, d’une partie significative de la population à des concentrations en particules fines et dioxyde d’azote supérieures aux valeurs limites mais également la répétition, depuis plusieurs années, et sur des périodes parfois importantes, de dépassements des valeurs limites de ces polluants, montrent que ce plan et les moyens dont il prévoit la mise en œuvre sont insuffisants pour empêcher une méconnaissance de ces valeurs limites sur une durée la plus courte possible". Cette situation caractérise une faute de l’Etat dans l’exécution des obligations résultant pour lui des dispositions précitées du code de l’environnement, telles qu’elles transposent les articles 13 et 23 de la directive européenne du 21 mai 2008 [3]

Si la juridiction lyonnaise a, certes, reconnu une faute de l’Etat pour les insuffisances du plan de protection de l’atmosphère de l’agglomération lyonnaise, elle a toutefois estimé que l’atteinte au droit de vivre dans un environnement sain eu égard aux risques écologiques inhérents à la vie en ville n’était pas suffisamment grave pour constituer une violation de l’article 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme [4].
 
Pour sa part, dans plusieurs décisions en date du 4 juillet 2019, le Tribunal administratif de Paris a jugé que "le dépassement des valeurs limites de concentrations en particules fines et en dioxyde d’azote constitue, pour les zones concernées, une méconnaissance des dispositions des articles L. 221-1 et R. 221-1 du code de l’environnement, qui transposent sur ce point les exigences prévues par l’article 13 de la directive européenne du 21 mai 2008 précitée". De même, "eu égard à la persistance des dépassements observés depuis plusieurs années en Ile-de-France, les plans relatifs à la qualité de l’air et leurs conditions de mise en œuvre doivent être regardés comme insuffisants au regard des obligations rappelées ci-dessus, dès lors qu’ils n’ont pas permis que la période de dépassement des valeurs limites soit la plus courte possible".
 
Ces décisions faisaient suite à un jugement du Tribunal de Montreuil qui avait considéré, quelques semaines auparavant, que "si le dépassement des valeurs limites ne peut constituer, à lui seul, une carence fautive de l’Etat en matière de lutte contre la pollution atmosphérique au sens des dispositions précitées du code de l’environnement, l’insuffisance des mesures prises pour y remédier est en revanche constitutive d’une telle carence". 
 
Si l'étau se reserre autour de l'Etat sur la question de la pollution atmosphérique, il faut toutefois admettre que ce dernier n'a pas encore été condamné au versement de sommes au titre des préjudices subis par les plaignants.
 
En effet, dans toutes ces affaires, les plaignants à l’origine des décisions imputaient leur maladie respiratoire à la pollution. Ils réclamaient respectivement 160 000, 140 000, 83 000,  120 000  et 65 000 euros de dommages-intérêts. Leurs demandes d'indemnisation ont été rejetées malgré la reconnaissance fautive de l'Etat dans ce domaine. Les juges n'ont jamais reconnu le lien de causalité entre la maladie des demandeurs et la faute de l'Etat considérant que le dossier ne permettait pas " d’établir l’incidence du dépassement des seuils sur son état de santé" ou encore que "les documents versés au dossier n’établissent pas le lien entre l’asthme et l’insuffisance des mesures prises".
 
Dans ces instances, l'avocat des demandeurs entendaient interjeter appel de l'ensemble de ces décisions. Des condamnations financières de l'Etat en appel ne sont donc pas impossibles. Des expertises complémentaires pourraient ainsi prouver que la santé des victimes s’est aggravée à cause des cycles de pollution répétés.
 
Plusieurs dizaines d'autres recours déposés à Lyon, Paris, Lille ou Grenoble sont encore actuellement en cours d'instruction. Il y a fort à parier que l'Etat suivra de près l'évolution de cette jurisprudence naissante tant les risques financiers sont colossaux quand on sait qu'avec 48 000 morts par an en France, la pollution de l’air tue plus que l’alcool...
 

Frédéric Rosa-Dulcina

 
  1. TA Lyon, 26 septembre 2019, n°1800362 ; TA Paris, 4 juillet 2019, n°1810251, n°1814405, n°1709333 ; TA Montreuil, 25 juin 2019, n°1802202
  2. CE, 12 juillet 2017, n°394254, publié au Lebon
  3. Directive 2008/50/CE du 21 mai 2008 concernant la qualité de l'air ambiant et un air pur pour l'Europe, JOUE n°L152 du 11 juin 2008
  4. Selon cet article, "Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance".


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