Journal de l'économie

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Pourquoi faut-il réformer (d'urgence) le système financier et bancaire ?





Le 30 Août 2021, par La rédaction

« La conjuration bancaire », l’ouvrage du fondateur de Proxinvest, première agence française de conseil de vote des actionnaires, est, fidèle au style de l’auteur, un brûlot. Structuré, documenté, implacable, ce livre ne sera pas recommandé par les économistes professionnels qui ont, à peu d’exception, besoin pour survivre de la mamelle alimentaire des grandes banques et assurances.


Pour cet imprécateur, véritable Torquemada du système bancaire actuel, celui-ci est coupable de multiples méfaits et n’est pas digne des privilèges que leur consent la réglementation en France comme dans le reste de l’Occident. 
La thèse de cette « conjuration bancaire », critique sévère et convaincante du régime dit de « banque universelle », n’est pas nouvelle : nombre d’économistes et financiers en ont parlé, notamment lors de la crise de 2008, et certains y adhèrent, souvent « sotto voce ». Ce qui est ici nouveau est l’exhaustivité de l’analyse et la richesse de la démonstration apportée par un praticien connu des marchés financiers.

De quoi nous parle-t-il ? Il faut savoir que jusqu’à la décennie de 1990, il y a environ trente ans, les banques se voyaient partout, et plus sévèrement encore aux États-Unis depuis le Glass-Steagall Act de 1933, interdire toute autre activité autre que la collecte des dépôts des épargnants et l’allocation de crédits aux entreprises et particuliers. Or, depuis, diverses mesures ont en France, en Europe et outre-Atlantique, discrètement et méthodiquement supprimé ces interdits : nos banques d’aujourd’hui, qui bénéficient, comme on a pu le voir avant et après la crise de 2008, de la garantie de sauvetage par l’État, donc par les contribuables, ont obtenu en sus de privilèges fiscaux peu reconnus, le droit de tout faire. Nos banques qui ont gardé l’essentiel des dépôts et des paiements font un peu de crédit, mais beaucoup de gestion d’actifs, de spéculation pour compte propre, de promotion immobilière, d’assurance, de téléphonie ou même de gardiennage…

L’analyse proposée par ce livre est large vise à l’exhaustivité. L’auteur, qui a voulu donner la parole à la défense face à ses accusations, aborde la question de la fonction bancaire dans le monde d’aujourd’hui de multiples points de vue. La plupart des critiques qui méritent aux banquiers leur impopularité générale reposent le plus souvent sur un grief, sur un secteur économique ou sur un type d’abus. Ce livre cite ainsi divers auteurs qui, comme Jean-François Naulot, Jean Peyrelevade, Gaël Giraud ou Jacques Marchandise, ont en commun de reprocher à l’activité de marché des banques son irresponsabilité en raison des risques qu’elle fait courir à la société et des ardoises massives qu’elle a imposées aux contribuables depuis trente ans. La prise de risque et son impact budgétaire sont effectivement l’angle d’attaque le plus classique contre la « banque universelle ».  

Mais Pierre-Henri Leroy diverge sur ce point : il accorde même plus de confiance aux marchés financiers qu’aux banquiers confus qui les encombrent. Le vice central du système est pour lui la perversité des conflits d’intérêts auxquels porte inévitablement la licence universelle de nos banquiers, créant une forte confusion interne et les déviances qui en résultent.
En particulier, le livre observe leur « mégalolatrie », leur dévotion aux intérêts des plus grands groupes, solution aisée de leurs multiples conflits d’intérêts, dévotion étendue par voie de conséquence, aux fonctionnaires régulateurs, en France au Trésor, à l’AMF ou à la Banque Centrale, mais aussi aux parlementaires compétents réputés indépendants. 
On lit alors là un inventaire sans concession des injustices et irrégularités non réprimées d’un marché financier très mal régulé, en France comme ailleurs, entièrement au service des émetteurs et sans regard véritable pour la piétaille des épargnants. 
Et ce livre courageux de faire aussi l’inventaire des multiples délits bancaires et des condamnations en milliards de dollars ou d’euros de ces grandes banques, délits grossiers ne donnant pourtant jamais lieu à condamnation personnelle ou à interdiction des dirigeants de banque coupables ou complices de ces détournements massifs. Parmi ces nombreux exemples se trouve l’affaire Madoff, escroquerie de cinquante milliards, dont le principal complice, on le découvre, n’est autre que la première banque universelle française…
Un autre « scoop » de « La conjuration bancaire » touche à une matière curieusement peu analysée, le «  quantitative easing ». Ces concours monétaires des banques centrales, lancés à partir de 2011, bénéficient depuis la crise financière aux banques privées intéressées auxquelles la BCE a offert crédits bonifiés et rachats d’actifs pour plus de 4000 milliards d’euros, et ceci sans aucun contrôle analytique de cette subvention massive au secteur privé. Alors qu’il s’agit bien de cadeaux de la collectivité des nations de l’Euro, notre Cour des comptes ou nos parlementaires sont restés aux abonnés absents. Sans nier l’utilité de ces mesures, mais surpris par le mutisme et l’absence de contrôle de cette fontaine publique, Pierre-Henri Leroy est sans doute le premier à calculer le coût de ces aides aux banques privées françaises : cinq milliards par an, cinquante milliards depuis 2010… excusez du peu. On le voit, l’auteur ne craint pas d’embrasser large et de se faire peu d’amis à la Bercy.

L’ouvrage, qui n’est pas court, c’est son seul défaut’ ne fait pas l’économie de l’histoire économique et nous apporte de multiples anecdotes… Venant de l’industrie à la banque, passé aux États-Unis et en Allemagne, l’auteur a comparé la sociologie et les points communs des banquiers d’un pays à l’autre. Son expérience de l’analyse « proxy », le conseil de vote aux actionnaires, un métier rare, est la plus riche. Sa société Proxinvest, créée en 1995 et cédée en 2020, a été témoin de l’impuissance des épargnants et investisseurs face aux émetteurs rendus tout puissants par la servilité acquise des banques et des commissaires aux comptes. En France comme ailleurs, non seulement les très généreuses rémunérations bancaires étonnent, mais l’enrichissement indécent de dirigeants sans scrupules semble aujourd’hui admis. 
Encore des amis pour Pierre-Henri Leroy, qui, par exemple, dénonçait publiquement, avant tout le monde, dès 2015 le comportement irrégulier du patron de Renault-Nissan Carlos Ghosn, et soupçonne manifestement depuis l’arrestation au Japon fin 2019 les administrateurs et auditeurs du groupe automobile de complicité de détournements de fonds.

En résumé, conclusion de cette analyse, la « banque universelle » n’est pas seulement irresponsable sur ses activités de marché : elle est avant tout un modèle d’inefficacité et un moteur d’inégalité économique et sociale, un défaut de fonctionnement du capitalisme.
Que faire donc ? Que propose l’auteur ?
Ayant exposé la vacuité de la réforme Moscovici qui accoucha en 2011 d’un faux ersatz de réforme bancaire vite oublié, l’auteur affirme que revenir aux antiques règles de séparation des métiers n’implique pas pour la banque un retour à l’âge de la pierre. Très favorable à l’activité de marchés pour son efficacité économique, il considère qu’il convient de garder aux banques la meilleure place pour les marchés de taux, de crédit et de devises. Mais la légitime garantie de l’État et des contribuables et l’exclusivité de la collecte des dépôts du public doivent avoir pour contrepartie une totale exclusion, une interdiction d’agir, sur les autres marchés. Les marchés d’actions, comme ceux des bien réels, la spéculation sur l’énergie, céréales ou même l’immobilier ne méritent pas la garantie de l’État : ils seront ouverts aux banquiers d’affaires non garantis, eux interdits de collecte de dépôts. Enfin, l’assurance et l’immobilier seront réservés à des professionnels régulés et non plus protégés par le contribuable.

Pierre-Henri Leroy soutient qu’une telle transition est parfaitement réalisable et aisée et n’a nul besoin d’être nécessairement entreprise à l’échelle européenne. Chaque pays a, selon lui, gardé suffisamment d’autonomie législative pour opter pour un système financier plus efficace et plus juste. Dans son intérêt et celui de ses citoyens. 

Encore, et c’est l’obstacle majeur, faudrait que les politiques le comprennent et sachent l’imposer en dépit des lobbies et intérêts installés.
L’expérience de banquier d’affaires du jeune Emmanuel Macron lui avait rapidement soufflé de suggérer au candidat François Hollande une telle réforme, qui fut très vite remisée au magasin des accessoires de la campagne : « Mon ennemi c’est la finance ».

Il faudra peut-être une prochaine crise bancaire pour donner raison à Pierre-Henri Leroy.



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