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Qu'est-ce qu'un lanceur d'alerte ?





Le 13 Octobre 2021, par Olivier de Maison Rouge

Tandis que le rapport parlementaire GAUVAIN-MARLEIX [1] envisage déjà une prochaine « Loi Sapin 3 » destinée notamment à étoffer le statut de lanceur d’alerte, nous revenons sur cette vigie citoyenne désormais consacrée et sanctuarisée sous les articles 6 et suivants de la loi Sapin 2 du 9 décembre 2016.

Ceci, à titre de rappel, ne serait-ce pour comprendre l’histoire de ce signalement éthique, mais aussi parce que nous voyons – sans doute un peu trop – des lanceurs d’alerte autoproclamés, qui ne répondent pas particulièrement aux dispositions de la Loi.


Qu'est-ce qu'un lanceur d'alerte ?
 
Lanceur d’alerte et éthique des affaires

 
Le lanceur d’alerte est celui qui porte à la connaissance du public des informations qu’il a acquises dans le cadre de sa profession ou de ses fonctions, en se prévalant de règles éthiques. L’expression « lanceur d’alerte », créée en 1996 sous la plume du sociologue Francis Chateauraynaud, a évolué sous l’influence du droit anglo-saxon à travers la notion de « whistleblowing » (« celui qui siffle »).
 
C’est la loi américaine Sarbannes-Oxley de 2002 et ses effets extra-territoriaux qui ont amené à s’interroger sur les lanceurs d’alerte en France [2]. Cette loi avait été adoptée en réaction aux scandales financiers révélés dans les années 2000 lors des affaires Enron et WorldCom. Il a été alors considéré que les salariés et les tiers à l’entreprise devaient pouvoir faire remonter ses défaillances et ainsi participer au contrôle interne des entreprises.
 
L’affaire des Luxleaks, qui a révélé les accords secrets conclus entre le fisc luxembourgeois et des multinationales installées sur son territoire, a conduit à la condamnation des deux protagonistes à de la prison avec sursis. Edward Snowden est depuis 2013 contraint à l’exil après son rôle dans la divulgation de milliers de documents secrets collectés par les services secrets américains et britanniques. Dans un contexte franco-français, l’affaire du Médiator a abouti à la condamnation en première instance du Docteur Irène Frachon après que cette dernière, face à la passivité des agences françaises de pharmacovigilance, ait procédé la publication d’un livre dénonçant les effets secondaires désastreux du médicament.
 
En France, les lanceurs d’alerte étaient précédemment protégés en vertu de six lois adoptées entre 2007 et 2015. La loi n° 2007-1598 du 13 novembre 2007 relative à la lutte contre la corruption, la loi « Bertrand » du 29 décembre 2011 pour les alertes relatives à la sécurité sanitaire des produits de santé, la loi « Blandin » du 16 avril 2013 dans les domaines de la santé publique et de l’environnement, les lois du 11 octobre 2013 s’agissant des conflits d’intérêts et la loi du 6 décembre 2013 relative à la lutte contre la fraude fiscale et la grande délinquance économique et financière
 
Ainsi, des dispositions contenues dans les Codes de procédure pénale, du travail et de la santé publique dressaient les premiers contours d’une protection.
 
Précédemment, la CNIL – sur le fondement de la loi américaine Sarbanes-Oxley du 13 juillet 2002 – offrait la possibilité aux salariés de lui faire connaître de manière anonyme, dès 2005, les infractions aux données personnelles contenues dans les fichiers des sociétés [3].
 
L’Administration fiscale a, pour sa part, dans le cadre du plan « contrôle citoyen », récemment ouvert un espace Internet destiné à recueillir les dénonciations de montages financiers complexes lesquels seraient passibles de sanctions au titre de la théorie de l’abus de droit notamment.
 
Néanmoins, l’absence de dispositif strict et efficace entrainait une inefficacité de la protection.
 
 
Définition du lanceur d’alerte
 
L’article 6 de la loi du 9 décembre 2016 (« Sapin 2 ») définit le lanceur d’alerte comme :
 
« la personne physique qui révèle ou signale, de manière désintéressée et de bonne foi, un crime ou un délit, une violation grave et manifeste d’un engagement international régulièrement ratifié ou approuvé par la France, d’un acte unilatéral d’une organisation internationale pris sur le fondement d’un tel engagement, de la loi ou du règlement, ou une menace ou un préjudice graves pour l’intérêt général, dont elle a eu personnellement connaissance ».
 
La loi instaure ici un régime beaucoup plus protecteur qu’auparavant en venant élargir la notion. La définition englobe désormais toutes les personnes physiques et non plus seulement certains statuts comme le prévoyaient les dispositions législatives jusqu’à présent. L’irresponsabilité totale des lanceurs d’alerte est reprise à l’article 122-9 du Code pénal.
 
Afin d’éviter des conséquences néfastes en matière professionnelle, l’article L. 1132-3-3 du Code du travail, dans sa nouvelle rédaction, prévoit l’impossibilité pour un lanceur d’alerte d’être sanctionné, licencié, faire l’objet de mesures discriminatoires en matière de rémunération, formation, promotion, intéressement, ou être écarté d’une procédure de recrutement ou faire l’objet de toute mesure injustifiée. Le dispositif est étendu à la fonction publique au visa de l’article 6 ter A de la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires, ainsi qu’aux armées au visa de l’article L. 4122-4 du Code de la défense. Le dispositif s’applique également à l’autorité des marchés financiers et à l’autorité de contrôle prudentiel et de résolution par l’adjonction au Code monétaire et financier d’un chapitre IV regroupant les nouveaux articles L. 634-1 à L. 634-4.
 
Les articles 11 et 12 de la loi Sapin II enfoncent le clou en prévoyant également la réintégration des lanceurs d’alerte ayant fait l’objet de mesures particulières et la possibilité de demander réparation devant les juridictions prud’homales.
 
 Trois critères cumulatifs retiennent cependant l’attention :
 
             1/ Le lanceur d’alerte doit être une personne physique. La définition englobe désormais toutes les personnes physiques et non plus seulement certains statuts comme le prévoyaient les dispositions législatives jusqu’à présent. Les personnes morales, telles que les associations, syndicats ou ONG, ne peuvent être qualifiées de lanceurs d’alerte, car ne pouvant avoir « personnellement » connaissance des faits et afin d’éviter toute dilution des responsabilités en cas de condamnation.
 
             2/ Le lanceur d’alerte doit être désintéressé et de bonne foi. Le lanceur d’alerte ne doit en retirer aucun intérêt financier. L’alerte doit être effectuée dans l’intérêt général. Si le lanceur d’alerte obtient une contrepartie, telle qu’une somme d’argent, il ne pourra pas bénéficier du statut protecteur institué par la loi Sapin II. À cet égard, il est également peu certain que la dénonciation par un concurrent soit considérée comme désintéressée.

Le critère de la bonne foi ne semble en revanche pas être inhérent à un régime protecteur applicable au lanceur d’alerte. Un tel critère, teinté de subjectivité, amène à apprécier au cas par cas s’il est respecté. Or, il est possible de considérer que le lanceur d’alerte devrait bénéficier d’une protection dès lors que le fait révélé est de nature à porter atteinte à l’intérêt général, sans avoir à s’interroger sur sa bonne ou mauvaise foi.
 
             3/ Le lanceur d’alerte doit avoir eu personnellement connaissance des faits qui la justifient. Ce critère se présente comme une garantie de fiabilité. Bien que la définition légale ne le prévoit pas expressément, il faut considérer que les faits doivent être portés à la connaissance du lanceur d’alerte dans un cadre professionnel.
 
 
La procédure de signalement
 
Afin d’éviter au maximum l’apparition de scandales médiatiques en tout genre, la loi Sapin 2 encadre la procédure de signalement et prévoit plusieurs étapes préalables à la révélation publique.
 
L’article 8 prévoit ainsi :
 
« Le signalement d’une l’alerte est porté à la connaissance du supérieur hiérarchique, direct ou indirect, de l’employeur ou d’un référent désigné par celui-ci. En l’absence de diligences de la personne destinataire de l’alerte […] à vérifier, dans un délai raisonnable, la recevabilité du signalement, celui-ci est adressé à l’autorité judiciaire, à l’autorité administrative ou aux ordres professionnels. En dernier ressort, à défaut de traitement par l’un des organismes mentionnés […] dans un délai de trois mois, le signalement peut être rendu public. »
 
La loi privilégie une tentative de règlement interne des alertes. Pour cela, la loi prévoit l’obligation pour les personnes publiques ou privées d’au moins 50 salariés, les administrations de l’État, les communes de plus de 10 000 habitants , les départements, les régions, de mettre en place des procédures appropriées de recueil de ces signalements. Ces procédures doivent en outre garantir une stricte confidentialité de l’identité des auteurs du signalement et des personnes visées par ceux-ci.
 
L’article prévoit la possibilité, en cas de danger grave imminent ou en présence d’un risque de dommages irréversibles, de porter le signalement directement à la connaissance des autorités administrative et judiciaire ou aux ordres professionnels ainsi que de rendre le signalement public.
 
 
 
Les faits objet de l’alerte
 
Le champ des faits susceptibles de faire l’objet d’une alerte est considérablement élargi par la loi du 9 décembre 2016.
 
             1/ Si le signalement d’un crime ou d’un délit était déjà visé par les textes [4] , comme dans une certaine mesure la méconnaissance de la loi ou du règlement, la loi Sapin 2 permet également de signaler :
             2/ une violation grave et manifeste d’un engagement international régulièrement ratifié ou approuvé par la France, d’un acte unilatéral d’une organisation internationale pris sur le fondement d’un tel engagement ;
             3/ou encore une menace ou un préjudice graves pour l’intérêt général.
 
La notion d’intérêt général pourra renvoyer à l’ordre public ou à l’intérêt public, tout en pouvant s’interpréter plus largement. Cette terminologie devrait permettre à des lanceurs d’alerte d’y répondre assez facilement.
 
En réalité, toute infraction, pas seulement les lois et délits de droit français, ainsi que les violations des chartes éthiques internes aux sociétés [5], devraient être de nature à offrir la protection visée par la loi afin d’inciter les lanceurs d’alerte à dénoncer des faits répréhensibles, constitutifs d’une menace ou d’un préjudice graves.
 
En revanche, les faits couverts par le secret de la défense nationale, le secret médical ou le secret des relations entre un avocat et son client sont exclus du régime de l’alerte. Le secret des affaires pour sa part n’est cependant pas visé au titre des exceptions (cf. article L. 151-8 2° de Code de commerce).
 
En parallèle, la loi Sapin II impose à toute société répondant aux critères de l’article 17 de mettre en place un dispositif d’alerte interne destiné à permettre le recueil des signalements émanant d’employés et relatifs à l’existence de conduites ou de situations contraires au code de conduite de la société susceptibles de caractériser des faits de corruption ou de trafic d’influence.

La loi n° 2017-399 du 27 mars 2017 relative au devoir de vigilance des sociétés mères et des entreprises donneuses d’ordre instaure également l’obligation, pour toute société qui emploie au moins cinq mille salariés en son sein et dans ses filiales dont le siège social est fixé sur le territoire français, ou au moins dix mille salariés sur le territoire français ou à l’étranger, la mise en place de dispositifs de recueil d’alertes pour les violations de leur code de conduite.


 Par Olivier de MAISON ROUGE
Avocat – Docteur en droit
Dernier ouvrage paru « Survivre à la guerre économique. Manuel de résilience », VA Editions, 2020
 
[1] Rapport d’information déposé le 7 juillet 2021 sur l’évaluation de l’impact de la loi n° 2016-1691 du 9 décembre 2016 relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique, dite « loi Sapin 2 »
[2] La loi s’applique aux filiales françaises de sociétés cotées aux États-Unis et aux sociétés françaises qui y sont directement cotées
[3] Délibération CNIL n° 2014-042 du 30 janvier 2014 modifiant l’autorisation unique n° 2005-305 du 8 décembre 2005.
[4] Excluant du champ les contraventions
[5] Les entreprises du domaine bancaire et financier étaient déjà assujetties à l’obligation d’instaurer un dispositif de recueil des signalements émanant des salariés relatifs à la violation du code de conduite. De nombreuses entreprises cotées en bourse avaient anticipé cette obligation et ont mis en place des chartes éthiques, codes de conduite ou codes de bonne gouvernance en leur sein.


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