La première et plus importante issue du conflit ukrainien est un remodelage géopolitique du système international et une discontinuité des relations globales entre les deux sous-systèmes, européen et atlantique d’une part, européen et asiatique d’autre part. L’Europe y perd son rôle historique de puissance d’équilibre entre l’Amérique et la Russie et un grand vide de puissances instaure dans la partie occidentale du continent, non compensé par l’ampleur du réarmement allemand (100 milliards d’euros). L’instabilité du sous-système européen est aggravée par l’absence de perspective stratégique, par le particularisme de ses conduites diplomatiques et par la difficile recherche d’un Leadership commun. Cette instabilité vient de loin. Pour l’aspect historique elle vient de 1945 et de l’instauration de la tutelle américaine, pour l’aspect politique, de l’écroulement de l’Union soviétique et pour l’aspect moral, de la fin des ambitions intellectuelles de vouloir compter dans le monde, en y ajoutant l’épuisement du rêve d’unité continentale. Le conflit ukrainien apporte la preuve de l’incapacité de l’Union européenne à promouvoir la paix entre l’Est et l’Ouest et à assurer une architecture européenne de sécurité « égale et indivisible ». De surcroit il intervient comme modèle de rupture dans les relations de coopération internationale au sein d’un système triadique (États-Unis, Russie et Chine) et préfigure en Asie – Pacifique une relation d’interdépendance stratégique et d’affrontement militaire, à cause de l’ouverture possible, par la Chine, d’une crise identitaire concernant le « statu quo » de Taiwan. Dans cette hypothèse, qui ouvrirait les portes de la géopolitique planétaire vers le Pacifique et l’Australie, changerait immédiatement l’issue du conflit entre Moscou et l’Occident, ainsi que les calculs de l’Ouest sur le rôle de la Russie, en Europe, en Asie centrale et en Asie Pacifique. Dans une perspective d’affrontement global des puissances majeures de la planète, l’Europe, l’OTAN, l’Union européenne, l’Allemagne et les pays d’Europe centrale et de proximité, y compris l’Ukraine, privés de « volonté générale » et donc d’un chef politique et spirituel, auraient une importance moindre. En revanche la Russie, menacée vis-à-vis de la Chine par sa double vulnérabilité en Sibérie Orientale, territoriale et démographique, pourrait se dissocier d’une alliance anti-hégémonique trop serrée (Russie-Chine-Iran), marquant l’opposition planétaire entre le Hearthland et le Rimland.
Le conflit ukrainien changerait de nature et d’enjeu et l’instabilité du sous-système européen s’étendrait à l’Afrique, au Moyen-Orient et à l’Asie du Sud-Est, aggravée par l’autonomie politique de la Grande-Bretagne, engagée dans le Pacifique, au sein de l’Aukus (alliance militaire antichinoise entre USA, Australie, Grande- Bretagne du 15 sept 2021). Ainsi et du point de vue historique, le remodelage global du système international, comme issue possible du conflit ukrainien, pose le problème de l’hégémonie politique et civilisationnelle de l’Occident comme nœud capital de notre époque. Tout calcul stratégique sur le système international de demain inscrit désormais le problème de l’hégémonie et de l’unité décisive d’un ordre mondial quelconque, au cœur de la question du pouvoir dans notre conjoncture historique.
Conflit limité ou affrontement planétaire ?
Le conflit ukrainien demeurera-t-il un conflit limité ou deviendra-t-il le prélude d’un affrontement général ? Jouera-t-il le rôle de la Serbie en 1914 ou celui de l’Espagne vis-à-vis de la guerre de 1939-45 ?
Trois indicateurs excluent l’hypothèse d’un conflit limité (voir les déclarations américaines d’aide et de soutien militaire indéterminés à l’Ukraine et le message d’unité et de soutien de la part de la troïka européenne Macron, Scholz, Draghi, à Kiev du 16 juin dernier, puis de l’Alliance atlantique du 27 juin à Madrid. Par ailleurs, une extension sans limites des conflits régionaux et une politique d’alignement et de resserrement des alliances militaires, occidentales, euroasiatiques et orientales, donnent plausibilité à l’hypothèse d’un conflit mondial, en particulier à celle d’un conflit entre pôles insulaires et pôles continentaux, ce qui crée une incertitude complémentaire sur les scénarios de belligérance multipolaire dans un contexte mondial de bipolarisme sous-jacent (Chine-USA).
En effet, nous allons vers une réorganisation planétaire de l`ordre du monde.
À ce propos, le théâtre européen élargi (en y incluant les crises en chaîne qui vont des zones contestées des pays baltes au Bélarus et à l’Ukraine, jusqu’au Golfe et à l’Iran, en passant par la Syrie et le conflit israélo-palestinien) peut devenir soudainement l’activateur d’un conflit interétatique de haute intensité.
H. Kissinger, Z. Brzezinski, G. Kennan
Vue d’Amérique et à propos de la Russie, Henry Kissinger, s`exprimant au Forum de Davos, le 26 mai dernier, prône l’idée que – la Russie ne doit pas être vaincue – et il préconise une entente russo-américaine, car vouloir infliger une défaite sur le terrain à Moscou (la non-humiliation de Macron), veut dire pousser l’Occident à un choc frontal contre la Russie. Un compromis politique serait donc nécessaire et l’Ukraine devrait entamer des négociations selon Kissinger – cédant du terrain contre la paix – et revenant au « statu quo ante », avant que le camp occidental ne se fissure et des émeutes et réactions n’apparaissent.
En ce sens, il s’oppose à l’unilatéralisme radical de Brzezinski qui visait à poursuivre l’isolement de la Russie et à maintenir la vassalité de l’Europe, par une cooptation subalterne. Kissinger ne fait pas de concessions à la définition d’une troisième voie, européiste ou gaulliste, qui n’a jamais trouvé sa place dans la diplomatie américaine. Or, au niveau des nouvelles incertitudes nées de la crise ukrainienne, l’Europe rencontrera des difficultés à établir une connexion entre la diplomatie multilatéraliste qu`elle a pratiquée jusqu’ici et la diplomatie multipolaire, qui est le dénominateur incontesté de la scène internationale.
Un argument de poids sur l’erreur historique de toute stratégie d’isolement de la Russie dans les années 1990 fut exposé par l’ancien ambassadeur américain à Moscou, George Kennan selon lequel le harcèlement de Moscou aurait alimenté un nationalisme aigu et un esprit de revanche, que l’Europe avait connu au XIXe et au XXe siècles. Dans le document russe sur la sécurité de juillet 2021, les intérêts de Moscou sont présentés avec un durcissement remarqué par rapport à la stratégie en vigueur depuis 2015 et cela sur tous les aspects de l’analyse. Quant aux considérations de fond sur les tendances en cours dans le système international, la confrontation avec l’Occident est appelée à durer. La décomposition de ce jugement implique plusieurs répercussions. Selon une perception de fond du Kremlin, des pays inamicaux (les États-Unis et ses alliés occidentaux) viseraient un affaiblissement de la Russie, sous toutes ses formes, économique, stratégique, technologique et scientifique. Leur but demeure une déstabilisation du régime actuel, jugé autocratique et, par conséquent une confrontation permanente avec lui. L’Occident y est considéré comme affaibli et sur le déclin, d’où son caractère agressif et belliqueux (le piège de Thucydide de Allison, car, si à court terme l’adhésion de l’Ukraine à l’OTAN semble exclue, l’intégration de l’OTAN dans les affaires de l’Ukraine est en cours de réalisation sournoise depuis 2014, sous forme de coopération militaire bilatérale, britannique, américaine, turque et française.
Sécurité et souveraineté
La grande majorité des analystes expriment la conviction que le système international actuel opère une transition vers une alternative hégémonique et ils identifient les facteurs de ce changement, porteur de guerres de haute intensité et de possible transgression du tabou nucléaire, dans une série de besoins insatisfaits et principalement dans l’exigence de sécurité, repérable dans les conflits gelés et dans les zones d’influence disputées (en Europe, dans les pays baltes, en Biélorussie et en Ukraine et, en Asie centrale, au Kazakhstan, au Kirghizistan, en Afghanistan et dans d’autres points de crise parsemés). L’énumération de ces besoins va de l’instabilité politique interne et de ses problèmes irrésolus, mais soumis à l’intervention de puissances extérieures, à l’usure des systèmes politiques démocratiques, gangrenés en Eurasie, par l’inefficacité ou par la corruption et en Afrique, par le sous-développement, l’absence d’infrastructures modernes, la santé publique et une démographie sans contrôle. Cependant, le trait prédominant et grave demeure l’absence, au niveau du système, d’un leadership mondial établi, capable d’imposer et de faire respecter les règles créées par lui-même. Or, sans la capacité d’imposer la stabilité et de s’engager pour la défendre et sans pouvoir compter sur la relation symbiotique entre l’hégémonie déclinante (USA) et l’hégémonie montante (Chine), comme ce fut le cas entre la Grande-Bretagne et les États-Unis, Hégémon ne peut exercer une prépondérance de pouvoir, par la diplomatie, l’économie ou la persuasion. Pour qu’il garde une suprématie inégalée, il lui faut préserver au moins un aspect essentiel du pouvoir international (armée, organisation militaire, avancées technologiques, ou autres). Or, selon Modelski, les guerres majeures relèvent essentiellement de décisions systémiques. Elles doivent tenir compte de l’échiquier mondial, de la constellation diplomatique et du jeu des alliances, mais aussi de l’intensité et de la durée d’un engagement militaire éventuel. Quant à l’Ukraine, elles doivent se méfier des mauvais calculs et des pulsions irréfléchies et revanchardes de certains acteurs (Zelensky en tête). Un signe d’affaiblissement de la puissance hégémonique est constitué en outre par la considération, réelle ou symbolique, que l’acteur dominant n’est plus bénéfique ou déterminant pour les grandes puissances, ainsi que pour la communauté internationale. La manifestation la plus évidente de ce retournement du poids international de l’Amérique repose sur la perte de leadership, l’égarement de son drapeau de champion de la liberté et de la démocratie et la soumission de ses alliés les plus proches aux décisions qui les concernent (Union européenne). C’est le signe d’une régionalisation contre-productive de la sécurité et de la distinction entre théâtres d’action futurs.
Le « déclin d’Hégémon ». Alternance hégémonique ou « révolution systémique » ?
La question qui émerge du débat sur le rôle des États-Unis dans la conjoncture actuelle est de savoir si la « stabilité hégémonique » (R. Gilpin), qui a été assurée pendant soixante-dix ans par l’Amérique, est en train de disparaître, entraînant le déclin d’Hégémon et de la civilisation occidentale, ou si nous sommes confrontés à une alternative hégémonique et à un monde post-impérial. La transition de la fin de la guerre froide au système unipolaire à intégration hiérarchique incomplète s’est précisée comme une évolution vers un pouvoir partagé et un leadership relatif, adressé à l’Europe par l’Amérique, au moment de l’effondrement de l’Union soviétique. Or l’interrogation qui s’accompagne à ce déclin des États-Unis et à la transition vers un système multipolaire articulé, est également centrale et peut être formulée ainsi : « Quelle forme prendra-t-elle cette transition ? » La forme, déjà connue, d’une série de conflits en chaîne, selon le modèle de Raymond Aron, calqué sur le XXe siècle, ou la forme plus profonde, d’un changement de la civilisation, de l’idée de société et de la figure de l’homme, selon le modèle des « révolutions systémiques », de Stausz-Hupé, embrassant l’univers des relations sociopolitiques du monde occidental et couvrant les grandes aires de civilisation connues ? Or, il apparaît évident que cette transition ne marquera pas un accord sur des principes de légitimité ou les assises du pouvoir, pouvant assurer la stabilité du monde, comme au Congrès de Vienne en 1815, mais la concordance fatale d’un partage du monde ou de la guerre pour sa prééminence impériale, comme dans la guerre du Péloponnèse de Thucydide ; concordance inexorable, inhérente à la dimension homogène ou hétérogène de l’histoire humaine. Les tensions agonales entretenues par les États-Unis et l’OTAN en Ukraine, en soutien du bellicisme de Zelensky et du but déclaré de ce dernier de remettre en cause l’autonomie des provinces séparatistes de Donetsk et Loughansk, dans la tentative d’unifier un pays historiquement divisé entre deux pôles d’influence, l’Europe et la Russie. Ces tensions sont susceptibles de provoquer une escalade aux incertitudes multiples. Les répercussions conflictuelles de cette aventure n’épargneront pas l’Europe, subalterne et impuissante et suivront un clivage d’instabilités, de crises ouvertes et de conflits gelés, qui iront des pays baltes à la mer Noire et du Caucase à la Turquie et à la Syrie. Ces tensions remettront à l’ordre du jour un affrontement dont l’aspect principal n’est plus celui de 2014, « partition européenne ou partition du pays », mais la confirmation d’une forme permanente d’instabilité régionale.
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1.Hearthland, « le pivot géographique de l’histoire », 1904, Halford MacKinder
2.Rimland, la bordure maritime de l’Eurasie, ou « inner crescent », concept géostratégique de Nicholas Johan Spykmann
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1.Hearthland, « le pivot géographique de l’histoire », 1904, Halford MacKinder
2.Rimland, la bordure maritime de l’Eurasie, ou « inner crescent », concept géostratégique de Nicholas Johan Spykmann
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Distribution des alliances et choix systémiques
Par conséquent la distribution des alliances s’effectue en fonction d’un choix systémique et d’une géopolitique planétaire, qui discrimine entre puissances du Hearthland et puissances du Rimland, puissances du « statu quo » et puissances révisionnistes, pions géostratégiques (Arménie et Azerbaïdjan, pays baltes) et pays pivots (Iran, Turquie), opérant par bonds et croisements, entre arcs de crise et axes de rapprochement. Dans l’échiquier du grand Moyen-Orient, l’axe chiite Téhéran-Bagdad-Damas-Beyrouth, débouchant sur la Méditerranée, a été le premier à intéresser la Russie et, par ricochet, la Chine, les États-Unis et Israël. La redistribution des alliances qui en découlent oriente l’identification de « l’ennemi désigné » de l’Occident dans le pouvoir de Moscou (Sommet de l’OTAN du 27 juin à Madrid), au moyen d’une triple campagne, d’isolement, de sanctions et de propagande et par une flagrante inversion des responsabilités. Or, pas d’ennemi, pas de violence ! Du point de vue historique, l’aggravation de la sécurité européenne consacre l’échec des politiques de voisinage de l’UE (PEV) et les instabilités des pays issus de l’écroulement de l’URSS, ou de « l’étranger proche » (Bélarus, Caucase, Asie centrale). Elle dévoile la subordination de l’UE aux États-Unis et à l’OTAN, échappant aux demandes de sécurité des peuples et à l’oubli des vulnérabilités géopolitiques des États, qui reviennent aujourd’hui à l’idée gaullienne d’une défense de l’Europe, par l’Europe et dans l’intérêt de l’Europe. Au niveau du système international, la vassalité européenne a deux sources principales, la protection nucléaire de l’Amérique et la stabilité régionale assurée par celle-ci tout au long de la bipolarité. Ainsi la culture de défense hégémonique, qui porte les États-Unis à une projection de puissance dangereuse, frôle la provocation, en Europe (Pays baltes, Pologne, Bélarus et Ukraine…), au Grand Moyen Orient (Syrie, Turquie, Iran et Irak) et en Asie (Taïwan et région de l’Indo-Pacifique). En ce sens, les tensions et le conflit potentiel vis-à-vis de la Russie, par Ukraine interposée, font partie d’une tentative occidentale de désarticulation de la continuité géopolitique de l’Europe vers l’Asie (Brzezinski) et de la Chine vers la région de l’Indo-Pacifique.
Fracturation, vassalité et hégémonie disputée dans l’échiquier planétaire
Cette fracturation du monde comporte de multiples facteurs d’incertitude et de multiples formes de vassalité entre les divers pays, et principalement, en Europe, entre les pays d’obédience et d’influence atlantique stricte (GB, Pays nordiques, Hollande, Belgique, Pays baltes et Pologne) et les pays du doute et de la résistance (France, Italie, Allemagne, etc.) vis-à-vis du Leader de bloc. Dans l’échiquier planétaire, la région des Balkans, de la mer Noire, de la Caspienne, du plateau turc, du Golfe, de l’Iran, de l’Inde, d’Indonésie, du Japon et d’Australie fait partie des zones à hégémonie disputée et demeure sujette à l’influence grandissante de la realpolitik chinoise (Hong-kong et Taïwan), ce qui justifie l’interrogation sur les buts du réarmement chinois, mais aussi américain et allemand. Pariant, sans vraiment y croire sur la « victoire » de Kiev face à Moscou, l’Amérique entend clairement de faire saigner la Russie, en éloignant le plus possible la perspective d’un compromis et d’une sortie de crise. Par ailleurs la vassalité de l’Europe centrale vis-à-vis de l’Amérique deviendra une nécessité politique et militaire, afin de décourager implicitement l’Allemagne, puissance régionale ou puissance globale, bientôt réarmée, de vouloir unifier demain le continent, en jouant la carte d’une nouvelle entente stratégique avec Moscou, une réédition à risque de l’Ostpolitik. Au-delà de cet horizon, l’équilibre entre les rivalités européennes se prolongera en une recherche constante des équilibres de pouvoir entre l’Europe occidentale et le reste du monde, constitué des puissances montantes du Golfe, de l’Eurasie et de l’Indo-Pacifique.
Christopher Clark et les alliances antagonistes ; Stanley Hoffman et les systèmes instables.
En effet la crise ukrainienne a remis à l’ordre du jour la réflexion sur la morphologie des systèmes, stables, instables ou révolutionnaires et, en particulier la politique des alliances qui ont fait grands les empires et inéluctables les guerres. Les débats actuels sur l’élargissement du pacte de l’Atlantique Nord, nous renvoient à l’histoire des diverses alliances militaires, du moins à celles du XXe siècle et à leurs enseignements. Avant 1914, l’Allemagne, puissance hégémonique sur le continent européen, se sentait encerclée par l’Entente entre la France et l’empire des Tsars et plus tard par la Grande-Bretagne, qui craignait le développement de la flotte allemande de haute mer. Analysant la structure des alliances antagonistes dans la phase antérieure à la Première Guerre mondiale, l’historien australien Christopher Clark dans son ouvrage « Les somnambules » montre que les alliances militaires qui se font face glissent insensiblement vers une guerre, même si les responsables des deux coalitions ne le souhaitent pas explicitement. Comme l’Empire allemand avant 1914, la Fédération de Russie a pu se sentir encerclée par l’OTAN et a choisi de passer d’un mode défensif à un mode offensif et préventif, au nom de ses intérêts de sécurité et de la conception incontestable de la « sécurité égale et indivisible » pour tous les membres de la communauté internationale. Une sécurité égale qui était justifiée, avant la première guerre mondiale par une équivalence morale entre les ennemis, comme l’a bien montré Carl Schmitt. Dans l’analyse des traits significatifs des systèmes stables ou instables, Stanley Hoffmann montre avec pertinence que la détérioration des systèmes instables est caractérisée par une guerre générale. Chacun remarquera la similitude de situations semblables, car, dans un système instable comme le nôtre, il existe une incompatibilité civilisationnelle et stratégique entre les acteurs principaux, qui interdit tout accord portant sur la stabilité ou sur un retour à la stabilité (avis inverse de celui de Henry Kissinger).
Conclusions générales
Que ce soit par l’analyse mondiale des rapports de force, la « Balance of Power », par la morphologie réaliste du système, par la capacité de manœuvre et d’initiative, par l’évolution des alignements et des alliances militaires, par les résultats des combats sur le terrain, ou par des considérations très générales sur les grands cycles historiques et sur le déclin des hégémonies et des empires, la finalité de la guerre (Zweck), en sa signification clausewitzienne, ne se satisfait pas de modération et est poussée aux extrêmes par la spiralisation de la violence. L’ensemble de ces éléments implique plusieurs issues, dont la principale est le remodelage global du système et la différenciation de celui-ci en plusieurs centres de décision politique et civilisationnels (multipolarisme). La valeur permanente de certains concepts, comme ceux de sécurité et de souveraineté et la revendication sanglante d’enjeux existentiels, aboutissent souvent à des formes d’instabilités et de chaos, caractérisant des périodes de transition, que nous appréhendons sous forme de déclin, qui se déroule dans le système ou de « révolution systémique », qui affectent le système comme tel.
Telle est, me semble-t-il, la vue d’ensemble de la conjoncture que nous vivons, sur laquelle pèse la grande horloge du temps, celle qui mesure la durée de notre civilisation, la plus élevée des formes connues dans l’histoire de l’humanité. Cette grande Horloge nous assurera-t-elle encore du temps et d’une durée, pour surmonter le doute de l’homme, l’insociabilité de la société et l’absence d’absolus d’une civilisation, nés du coucher du soleil sur les plages occidentales du monde ?