Journal de l'économie

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Réforme des retraites : les pieds dans le tapis d’une France du passé





Le 27 Mars 2023, par Philippe Cahen

Comme un signal faible, la France sociale s’est construite avec un rétroviseur, l’œil fixé sur le passé. Alors elle est surprise par la mondialisation par les nouvelles technologies, par le futur… et elle se prend les pieds dans le tapis qu’elle finance par la dette.


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Changeons de tapis et faisons de la prospective.

La course entre le temps libre et la retraite

En 1945, par ordonnance, la retraite est passée à 65 ans. En 1982, par ordonnance, la retraite est passée à 60 ans. La grande différence est qu’entre 1945 et 1982, la France de la reconstruction avait une économie franco-française et qu’en 1982 l’économie était européenne. Donc d’une concurrence nationale, elle est passée à une concurrence européenne.
Les yeux dans le rétroviseur et satisfaite du pouvoir d’achat de ses nationaux (« mai 68 », contre la société de consommation, est oublié voire au pouvoir), la France crée le ministère du Temps Libre et instaure 5 semaines de congés payés.

« Les yeux dans le rétroviseur », la France est à contrepied du monde extérieur, car la concurrence européenne a secoué des pans entiers de son économie (sidérurgie, textile) et la chute du Mur de Berlin (1989) puis l’entrée de la Chine dans l’OMC (2001) ont accru la concurrence internationale.

Le poids de l’État en France a fait perdre toute souplesse de réactivité économique et s’est renforcé au lieu de s’alléger. Or les « 35 heures » (2000) ont encore rigidifié le social français. Aucune évaluation n’a été faite de l’impact des 35 heures alors que par exemple, le stress et l’absentéisme se sont développés. D’autant que cette époque a correspondu au développement de l’ordinateur personnel et d’Internet, au début du téléphone mobile. Les 35 heures sont à contrepied de l’évolution du travail.
D’autres pans de l’économie se sont effondrés pour ces raisons et d’autres : l’agriculture, la pharmacie, les industries mécaniques…, d’autres encore ont déplacé leurs sites de production loin de la France comme l’automobile, et des services publics comme l’enseignement, la santé… se sont effondrés (même Mme Aubry, « ministre des 35 heures », a reconnu que les 35 heures à l’hôpital étaient un non-sens).

La France, un pays du tertiaire avec ses conséquences

L’enseignement s’est construit avec deux semaines de vacances chaque six semaines. Si le rythme des vacances a été motivé par bien des « experts », aucune évaluation n’a été faite. En revanche, les classements internationaux (OCDE) notent année après année un effondrement du classement de la France tant à l’école qu’au collège (voir étude TIMMS de 2020).
La France est devenue un pays de temps libre, de vacances, de week-end tant pour ses nationaux que pour les étrangers. Or le tourisme est une économie où l’emploi est à l’essentiel (90 % ?) sans compétences particulières, le sommet de la pyramide est très étroit. En fait, la France est devenue un pays de services (banque, assurance…) dont l’activité est pour l’essentiel hors de France comme pour de nombreux industriels (Michelin, TotalEnergies, CMA-CGM…) et bien sûr le luxe, les fameux KOHL (Kering, L’Oréal, Hermès, LVMH).

Avec un taux d’industrie (13,3 % de l’emploi) l’un des plus bas d’Europe, et une économie de services (76,1 % de l’emploi), la pyramide des salaires ressort écrasée – la redistribution corrige les revenus des ménages et font de la France un pays où l’indice GINI est le plus favorable - avec un SMIC mensuel net de 1 357,07 € au 1er janvier 2023 et un salaire médian net de 1 850 €/mois (2 587 €/mois de salaire moyen net). Il ressort par nature l’idée d’une échelle sociale impossible. Or l’industrie, contrairement aux idées reçues, a un salaire moyen plus élevé que la moyenne, car il est plus spécialisé.

Un travail mal payé et mal réparti

Non seulement l’échelle sociale se bloque, mais la démographie n’est pas encourageante. Certes, la France est passée de 40 millions d’habitants en 1945 à 68 millions en 2023, de 40 % de sa vie au travail à 11 à 15 %, de 4 cotisants à 1,7 pour un retraité. La France vieillit et manque d’actifs, des centaines de milliers d’emplois sont aujourd’hui non pourvus. Le travail est devenu un moment court de la vie tout en restant essentiel, car identifiant et créant une reconnaissance sociale.

En France donc, on évalue et on chiffre le travail, la retraite, les coûts de santé, etc. Mais on n’évalue pas le temps libre, les vacances, etc. Pourtant au final, le Français en moyenne travaille peu comparé aux autres pays, mais travaille beaucoup (et d’ailleurs très bien) et densément lorsqu’il est actif. Le taux de chômage est au plus bas depuis 2008, mais avait atteint des sommets européens.

Lorsque l’on envisage de passer la retraite de 62 ans à 65 ans, puis 64 ans, alors que l’ensemble de l’Europe est plutôt à 67 ans, voire 69 ans ou plus, le temps de travail et de vacances est considéré comme sacré, comme un avantage social définitivement acquis. Alors tout se bloque. Tout est hors sol.

Fin de retraite ou faim de retraite ?

Si l’on considère que chaque personne a en soi un potentiel de production, de création, de transmission, alors si le temps d’activité de cette personne est plus long, elle contribue a créer plus de richesses. Chacun peut produire plus de richesses dans l’année ou augmenter ses années de travail. Si l’industrie crée de meilleurs salaires, alors il faut créer les moyens de développer l’industrie en France par exemple en taxant le carbone importé, en taxant le recyclage des produits.

Il faut aussi positiver le travail des retraités par exemple en transférant la cotisation chômage qu’ils versent (27 % des charges) à la 5e branche de la sécurité sociale non encore abondée : la caisse de dépendance/autonomie. Il faut encourager le bénévolat des actifs sous forme de points de retraite. Etc.

Réformer les retraites est normal. C’est donc incessant avec le système par répartition sauf si l’on accepte un principe à adaptation permanente comme l’âge moyen de vie des individus et la masse salariale globale. Mais il faut aussi reconnaitre que le monde de 2023 n’est pas celui de 1982 ou de 1945 et que toute réforme doit se faire en envisageant le monde de 2033, par exemple.

Dire que l’on va mourir si l’on travaille après 62 ans est une ineptie – Les plus de 65 ans comme les 18-25 ans sont de gros clients des compagnies aériennes. Certes, il faut adapter l’emploi au fur et à mesure des difficultés physiques, voire psychologiques, de la personne. Mais aujourd’hui, tout le monde (gouvernement, syndicats, politiques) s’est pris les pieds dans le tapis. Il faut supprimer le rétroviseur et voir demain. Les autres pays le font.

Si l’on veut être un parc de loisirs, alors continuons comme aujourd’hui. C’est un projet sympathique, mais réducteur et non enthousiasmant.


Je repars en plongée…
 
Philippe Cahen
Conférencier prospectiviste

Dernier livre : « Méthode & Pratiques de la prospective par les signaux faibles », éd. Kawa

 


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