Journal de l'économie

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Retraite ou Bérézina ?





Le 10 Mars 2023, par Nicolas Lerègle

Cette question ne se pose pas en droit, mais en pratique. La réforme actuelle attise les mouvements sociaux. Le droit de grève existe, il est reconnu et doit permettre à des salariés de faire état d’une situation pénalisante pour eux, d’une revendication spécifique ou générale, de même que le droit de manifester il ne saurait être question de le remettre en cause.


Image Wikimedia
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Toutefois il convient de noter que, depuis plusieurs années, le droit de grève peut, parfois, se transformer en droit de tout remettre en cause et en particulier les libertés de ceux qui ne souhaitent pas ou ne peuvent pas l’exercer. La stratégie exprimée récemment par certains hommes politiques ou dirigeants syndicaux de « mettre la France à l’arrêt » ne semble pas être conciliable avec l’exercice d’un droit de grève qui, jusqu’à preuve du contraire, n’est pas un droit de nuisance généralisé.
 
Les mêmes qui, aujourd’hui, demandent de tout bloquer et donc de nuire gravement à l’économie nationale sont les mêmes qui, dans quelque temps, demanderont aux entreprises de faire un geste vers leurs salariés. Ce sont, un peu et à leur insu, les descendants des Diafoirus et Purgon de Molière, qui à force de saignées et de clystères tuaient plus surement le malade qu’ils ne le guérissaient. Reconnaissons, à leur décharge, que les entreprises françaises, pendant de très longues périodes, n’ont pas su montrer leurs facettes sociales les plus reluisantes. Mais elles ont su, dans leur grande majorité, changer alors que d’autres, leaders politiques, sont restés figés sur un logiciel de pensée crypto-marxiste aussi stupide et daté que délétère.
 
Dans ce contexte il est donc légitime de s’intéresser, plus que cela n’a été fait, sur la légitimité du droit de grève ou la nécessité de l’encadrer. Après tout la réponse à ceux qui assument une posture de destruction d’un ordre établi qui, sans être parfait, assure aux Français une enviable qualité de vie, de soins, d’éducation, de travail, etc., il ne serait pas illogique de modifier les règles du jeu revendicatif afin d’éviter une faillite systémique dont personne ne sortirait vainqueur.
 
Les tentatives d’instaurer un service minimum il y a près de 15 ans n’ont pas apporté les bénéfices promis. Les sondages qui évoquent un large soutien des Français à des mouvements qui leur rappellent les bénéfices de la marche à pied ne valent que pour ce que les sondages valent, à savoir pas grand-chose. Le soutien aux grévistes dans la file d’attente d’une pompe à essence ne dépasse pas le couperet de la panne sèche et de l’impossibilité qui en résulte d’aller au travail, à l’école, chez le médecin, etc.
« La liberté des uns s’arrête où commence celle des autres » est un adage plein de bon sens et qui mérite d’être rappelé de temps à autre.
 
Le droit de grève aussi inaltérable qu’il soit n’est pas la porte ouverte à un non-droit sociétal niant les fondements du fonctionnement d’une société démocratique. La démocratie c’est bien de cela dont il s’agit. C’est, jusqu’à preuve du contraire, le fondement de notre pacte social. Elle suppose que les élus le soient par le peuple souverain, que les décisions qu’ils prennent soient dans l’intérêt général et que, bien entendu, celles-ci soient réversibles au gré des élections et d’éventuels changements d’orientation politique. Aux vitupérations du moment, il faut d’ailleurs admettre que dans le temps, des mesures critiquées par les uns aient été conservées par ceux-là même lorsqu’ils n’étaient plus dans l’opposition ; que n’avons-nous pas entendu sur la CSG, l’ISG ou les 35 heures pour constater avec le temps que la disparition annoncée a laissé la place à un maintien assorti de modifications à la marge.
 
Cette loi sur la retraite est, comme tout texte, modifiable, demain, au gré d’une majorité et d’une volonté démocratiquement votée. Elle ne peut pas l’être, mieux elle ne doit pas l’être, par des grèves aussi suivies qu’elles puissent l’être. Bien évidemment il existe des exemples a contrario, lois Devaquet ou Savary par exemple, mais aussi à l’inverse la loi sur le mariage gay ou l’abolition de la peine de mort qui ont été votées contre la majorité de l’opinion publique et qui n’ont pas été remises en cause par les majorités successives suivantes.
Manifester est une chose, faire grève en est une autre, semer le désordre en est assurément une troisième.
 
Quand on découvre que quelques dizaines de salariés bloquant les raffineries peuvent paralyser le pays, on ne peut qu’être surpris, surtout que les personnels concernés ne sont pas les moins payés. Quand certains personnels décident de couper le courant à des abonnés au gré de leurs opinions et envies on ne peut qu’être outré. La grève ne serait-elle pas une chose trop sérieuse pour être confiée aux individualités sans contrôle ?
 
Rappelons aussi que depuis quelques mois nous sommes en « économie de guerre ». Bien sûr nous n’entendons pas les explosions ni ne voyons autrement qu’à la télévision les combats, mais il serait vain de nier que cette guerre distante de quelques centaines de kilomètres ne nous concerne pas. Inflation, tensions énergétiques, multiplication des cyberattaques, crainte de débordements à d’autres pays (Moldavie, Géorgie…), hausse des budgets militaires, etc. autant de signes qui témoignent que cela nous concerne et que notre écosystème doit s’adapter à un contexte qui risque de s’installer dans la durée.
 
Dans ce contexte est-ce le bon moment pour laisser s’épanouir le désordre et les blocages ? Transports, distribution énergétique, santé…sont des secteurs trop sensibles pour voir leur fonctionnement entravé librement ou en tout cas trop facilement.
 
Depuis 1995 rien n’a changé, au nom d’un idéal figé on manifeste par conservatisme, sans admettre que le monde a changé.
 
La réforme 2023 des retraites a bénéficié d’une communication gouvernementale brouillonne, maladroite, imprécise pour ne pas dire incompréhensible, à contre-courant, et autistes vis-à-vis de certains enjeux et ressentis sociétaux.
 
Toutefois que faut-il mieux, travailler, pour le plus grand nombre d’entre nous, au moins jusqu’à 64 ans ou suivre les conseils du professeur (université de Yale) Yusuke Narita qui suggère, pour régler les problèmes liés au vieillissement de la population (Japonaise) et les coûts engendrés par celui-ci – dont les retraites et les déficits des systèmes de santé – d’opter pour le « suicide de masse des vieux » ? On hésite entre un goût prononcé pour les films « la balade de Narayama » ou « Soleil Vert » et la nostalgie du Japon Impériale des années 30/40. Dieu merci en France nous n’en sommes pas là.
 
La réforme des retraites passera certainement, rien n’interdit que dans 4 ans, une nouvelle assemblée la mette à bas du fait d’une opposition d’aujourd’hui devenue majorité demain, à ce moment, Mélenchon qui a 72 ans aura-t-il pris alors sa retraite ?
 



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