Journal de l'économie

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Retraites, et si l’on parlait travail !





Le 2 Février 2023, par Francis Coulon

Y aura-t-il une « réforme des retraites Macron » ? Sera-t-elle efficace ou amoindrie par certaines concessions pour éviter les conflits sociaux ? Sera-t-elle suffisante pour garantir la pérennité des pensions ? Sera-t-elle perçue comme juste ? L’avenir le dira. Mais ce qui apparaît le plus clairement et a été remarqué par de nombreux économistes, c’est que parler des retraites, c’est aussi parler du travail et cela adresse de nombreux sujets périphériques : le travail des femmes, les carrières hachées, les jeunes peu diplômés aux carrières longues, la pénibilité. Dans ce registre, la fin de carrière des séniors est un élément clé : nous savons que le taux d’emploi des 24-49 ans chute de 20 % pour la tranche 50-64 ans, mais cette chute s’accélère, car après 60 ans, le taux d’emploi n’est que de 35,5 % versus 81,8 % pour les 24-49 ans. Repousser l’âge de départ à la retraite sans revoir la gestion des séniors serait faire passer des centaines de milliers de personnes de la case retraite à la case chômage.


Francis Coulon
Francis Coulon
Nous avons une bonne photographie de l’activité des séniors avec le rapport d’avril 2022 de la DARES, cet organisme public accompagnant le ministère du Travail. La question qui demeure, c’est pourquoi et quoi faire pour éviter la « trappe à chômage des séniors » ?
 
Une des raisons est le manque d’attractivité des séniors : ils coutent cher et leur productivité serait moindre. Mais tous les pays sont confrontés à ce sujet et cela n’explique pas pourquoi le taux d’emploi des 55-64 ans serait en France en 2020 de 53,8 % contre 59,6 % pour l’Union européenne, alors que la Suède, le Japon et l’Allemagne sont à plus de 70 %. Au-delà de soixante ans, il y a proportionnellement deux fois plus de travailleurs au Japon et en Suède qu’en France. Souvent, les séniors perdent leur travail à la suite de la « destruction créatrice » décrite par Schumpeter et il leur est plus difficile que les autres de retrouver du travail. En résumé, le taux d’emploi des séniors est particulièrement faible en France parce que personne ne s’est vraiment soucié de ce problème.
 
Cela n’a pas complètement échappé au gouvernement, qui imagine des mesures coercitives, comme par exemple publier pour chaque entreprise un index du taux d’emploi des séniors.
 
En tant que libéral, je ne suis pas favorable à des mesures autoritaires, voire punitives, pour régler les problèmes. Permettez-moi de reprendre les propos de John Stuart Mill, le grand philosophe utilitariste anglais, datant de 1848, mais qui gardent leur pertinence aujourd’hui : « Le laisser-faire doit être la règle générale : toutes les fois qu’on s’en écarte, à moins que ce ne soit absolument nécessaire pour faire quelque chose de grand et de bon, on fait mal très certainement ».
 
Je pense que l’incitation est une meilleure approche. Je crois que la flexibilité est le meilleur levier pour progresser dans ce domaine. Chaque fois que l’on enlève des blocages, des rigidités, on progresse. Pourquoi ne pas se référer au modèle danois de flexi-sécurité, qui donne plus de facilités aux entreprises pour licencier, mais en contrepartie accompagne mieux les chômeurs ? Le Danemark qui pratique la flexi-sécurité a moins de chômeurs que nous (5,1 % versus 7,9 % en 2021) et un taux d’emploi des séniors supérieur de 35 % à celui de la France.
 
Quelques pistes d’améliorations :
En premier lieu, mieux utiliser et développer ce qui existe, notamment le cumul emploi-retraite, la retraite progressive pour les plus de 60 ans, le CDD sénior et quelques autres mesures. Résultats positifs et on note une légère amélioration du taux d’emploi des séniors, mais insuffisants, car ces mesures ne sont pas à la hauteur des problèmes.
 
En fait, il faut un changement de paradigme. Il faut que l’activité des séniors devienne une des priorités des ressources humaines dans les entreprises. Les DRH ont plutôt fait preuve de jeunisme et s’intéressent surtout aux 24-40 ans, avec les pépinières, l’identification des hauts potentiels, la gestion des carrières de cette population.
Pourquoi ne pas nommer dans les grandes entreprises un responsable de la filière sénior ? Une idée, fondée sur la démarche d’évaluation, serait d’imposer aux entreprises de réaliser un bilan pour tous les cinquantenaires, qui aurait pour but d’identifier la fin de parcours professionnel, son évolution, son accompagnement, la formation nécessaire.
En tant que libéral, je suis favorable à une intervention limitée de l’État, mais la contrepartie est que l’entreprise ne de doit pas fuir devant ses responsabilités. De même, le MEDEF ne doit pas reprocher au gouvernement son interventionnisme et ne rien faire. Le « minimum syndical » serait de diffuser de « bonnes pratiques ».
 
Comme le dit John Stuart Mill, l’État n’a pas pour mission de se substituer aux entreprises, mais peut les accompagner : par exemple en jouant sur les cotisations sociales, en facilitant la création d’entreprises et l’auto-entrepreneuriat pour les séniors.
 
Au Japon ce problème a été pris au sérieux : il a été institué « un concours pour la promotion de l’emploi des séniors » ; les postes de travail ont été réaménagés ; des lignes de production ont été modifiées pour lutter contre la pénibilité ; une diminution du temps de travail pour les séniors a été réalisée ; mais tout ceci en laissant une grande initiative aux entreprises. Au Japon, les entreprises aiment être de bons élèves et suivent les orientations favorables au bien commun, sans que l’on soit obligé de les contraindre.
 
La fin de carrière devrait éviter les ruptures brutales, elle gagnerait à être plus progressive pour éviter la réaction de rejet des mesures d’âge que nous connaissons aujourd’hui. Les syndicats de salariés pourraient travailler sur ces sujets, ce serait plus utile que d’organiser des grèves. Il faut progresser également sur le sujet de la pénibilité, mais en le traitant au niveau des branches professionnelles, mais aussi au niveau individuel en anticipant les problèmes. Il n'est pas admissible que l’on s’aperçoive qu’à 60 ans un salarié ne peut plus tenir un travail exigeant sur le plan physique.
 
L’idée clé reste la flexibilité. Les pays qui ont le plus fort taux d’activité des séniors font preuve de souplesse. Ils ont un âge limite de départ à 67 ans, mais en fait gèrent une plage 60-67 ans avec un barème lié à l’âge. Au Japon, l’âge de départ à la retraite conditionnel est de 60 ans, mais on encourage les salariés à travailler jusqu’à 70 ans et l’âge moyen de sortie du travail est de 67,4 ans.
La réforme telle qu’elle est proposée en France rencontre l’hostilité de deux Français sur trois, car je crois qu’elle est perçue comme trop rigide, trop bureaucratique et chacun souhaite gérer sa transition de vie au travail / retraite selon son cas personnel et ses choix de vie.
 
La réforme des retraites a ouvert une boite de Pandore et le sujet de l’activité des séniors en est sorti. Nous n’avons pas d’autre choix que le traiter.

Un exemple d’adaptation des séniors
La Transatlantique en solitaire est une épreuve éprouvante, et pourtant Phil Weld gagne la course en 1980 à 66 ans. Explication : Phil Weld a beaucoup travaillé sur l’ergonomie de son bateau, notamment par la mise en place de focs et de génois à enrouleur qui sont beaucoup plus facile à utiliser en cas de vents forts et de tempêtes. L’adaptation du « poste de travail » a permis à un sénior de battre en 17 jours et 23 heures une centaine de trentenaires et de quaternaires.


Francis Coulon, après trente ans passés au sein des groupes DANONE et LVMH, est conseil en management et en fusion-acquisition. Passionné par la philosophie et l’économie, il va prochainement publier un ouvrage d’Économie politique dont la spécificité est de se fonder sur la philosophie anglo-saxonne, encore méconnue en France : empirisme, utilitarisme, libéralisme.




1.Posté par Valberg le 22/04/2023 21:19 | Alerter
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La tendance à l'augmentation de la durée de la vie professionnelle (réforme des retraites notamment) impose de reconsidérer les aménagements du poste, de l'organisation et de l'environnement de travail des seniors... : https://www.officiel-prevention.com/dossier/protections-collectives-organisation-ergonomie/ergonomie-au-poste-de-travail/la-prevention-des-risques-professionnels-des-seniors

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