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Secret des affaires et sanction pénale





Le 23 Septembre 2021, par Olivier de Maison Rouge

Au titre des enjeux soulevés par la transposition de la directive du 8 juin 2016 (devenu article L. 151-1 et suivants du Code de commerce), le sujet de la sanction pénale de l’atteinte au secret des affaires a été une question débattue.
La sanction pénale ne trouvait pas nécessairement à s’imposer : l’harmonisation minimale requise par la directive s’en tenait à une réparation civile (sans même imposer de dommages et intérêts punitifs). Le législateur français a donc exclu par principe la protection pénale du secret des affaires, ce qui n’évacue pas totalement la sanction pénale pour autant, sous le coup d’autres infractions.


Secret des affaires et sanction pénale
Des parlementaires partagés sur la sanction pénale de l’atteinte au secret des affaires
 

Les atermoiements des élus sur la question de la répression pénale témoignent de cette hésitation : alors que la proposition de loi (PPL) initiale du député Gauvain n’en prévoyait pas, le Sénat avait inséré (1), au sein du Code pénal, une nouvelle section intitulée :

« Du détournement d’une information économique protégée »

dont l’article 314-4-1 proposé aurait incriminé (2):

« Le fait d’obtenir, d’utiliser ou de divulguer de façon illicite une information protégée au titre du secret des affaires (…), en contournant sciemment les mesures de protection mises en place par son détenteur légitime, afin d’en retirer un avantage de nature exclusivement économique ».

 

Finalement, à l’issue des travaux de la commission mixte paritaire (CMP) du 24 mai 2018, l’incrimination disparut de la PPL.

Ainsi, toute sanction pénale est exclue du champ du secret des affaires, intégré exclusivement au secret des affaires. Même en matière de responsabilité civile, l’atteinte au secret des affaires ne relève pas de la responsabilité de droit commun (article 1240 du Code civil) mais de comportements spécifiques, en application de l’article L. 151-4 et suivants du Code de commerce :

L’obtention, utilisation ou la divulgation illicites d’un secret des affaires.
 

Faut-il en déduire que les secrets des affaires ne sauraient être pénalement protégés ?
 

 

Le secret des affaires est-il pénalement protégé ?
 

La problématique mérite d’être davantage mise en perspective et nuancée.
 

En réalité, la question n’est pas celle de l’existence d’une protection pénale des secrets d’affaires. En effet, il y a bien longtemps que ceux-ci en bénéficient, au moins indirectement (on connaît à cet égard les difficultés d’application du vol (3) - article 311 du Code pénal).

En droit pénal commun, la pratique judiciaire a révélé la possible application des textes relatifs au vol (4) et à l’abus de confiance (5) (article 314 du Code pénal) – notamment – tandis que la législation a évolué (2014) pour créer le fameux chapitre relatif aux « atteintes aux systèmes de traitement automatisé de données » (6) et notamment les infractions de reproduction et/pou extraction frauduleuse de données, désormais un fondement de la cybersécurité (article 323-3 du Code pénal).

 

En droit pénal spécial, plusieurs textes complètent le dispositif, incriminant par exemple la violation du secret de fabrication (7). Ainsi la tendance vers une pénalisation est bien là – encore qu’elle ne soit pas univoque : il n’est pas neutre que la loi « Sapin 2 » ait créé un nouveau fait justificatif en matière pénale pour les lanceurs d’alerte(8).

 
 

Il n’est pas question de revenir ici sur la place symbolique qu’aurait occupée la sanction pénale, destinée à afficher l’importance de la nouvelle réglementation, alors que nul ne conteste la nécessité de protéger les secrets d’affaires : comme le soulignait le Conseil d’État – pourtant opposé à toute pénalisation supplémentaire :

« en l’état des relations économiques internationales, les attaques contre les secrets d’affaires sont de plus en plus fréquentes et font peser des risques sérieux sur les entreprises et, dans certains cas, sur l’économie nationale » (9).

 

Pour en rester sur le plan de la technique, il est pourtant possible de penser qu’une nouvelle incrimination aurait été inutile et source de confusion.
 

Inutile - ou plutôt peu inefficace - car, nous l’avons rappelé ci-dessus, la plupart des atteintes au secret des affaires sont déjà couvertes pas la répression pénale. Pour combler les rares lacunes, ne serait-il pas plus simple de procéder à un renforcement du droit existant, par exemple en étendant la dématérialisation du vol ?
 

Source de confusion : car prévoir des sanctions pénales n’est pas neutre. Au-delà de leur gravité, celles-ci ne sauraient être adossées qu’à des comportements précisément décrits, sous peine de ne pas répondre aux exigences constitutionnelle et européenne de légalité matérielle, et de rendre impossible la tâche des juges pénaux d’interpréter strictement les textes.
Or, la définition proposée du « secret des affaires » aurait introduit une qualification supplémentaire de la qualification de l’information, que n’exige pas par exemple l’atteinte aux données (peu importe leur qualification « confidentielle »). Aussi, comment la répression nouvelle se serait-elle articulée avec l’ancienne ?


Par Olivier de MAISON ROUGE
Avocat – Docteur en droit
Dernier ouvrage paru « Survivre à la guerre économique. Manuel de résilience  », VA Editions, 2020
 


[1] Texte adopté le 18 avril 2018, art. 1er quater.
[2] Les peines alors prévues étaient de trois années d’emprisonnement et de 375.000 euros d’amende.
[3] Sur quoi, V. not. O. de Maison Rouge, La longue reconnaissance juridique du vol de données, Sécurité Globale.
[4] V. en dernier lieu : Crim. 24 janvier 2018, n° 16-86597.
[5] V. par ex. : Crim. 22 mars 2017, n° 15-85929.
[6] Art. 323-1 et suivants du Code pénal.
[7] Art. L. 1227-1 du Code du travail ; art. L. 621-1 CPI.
[8] Art. 122-9 du Code pénal (créé par L. n° 2016-1691, 9 déc. 2016).
[9] CE, avis n° 384.892 du 31 mars 2011.


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