Journal de l'économie

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Singapour : l’irrésistible ascension





Le 22 Juillet 2019, par Ana Pouvreau

“Think Globalization, think Asia-Pacific”, nous martelait, à chaque cours, un de nos professeurs de géostratégie à l’Université de Boston. C’était en 1990 et l’Union soviétique existait encore. En contemplant la baie de Singapour de la fenêtre de ma chambre à l’hôtel Mandarin Oriental, où tout n’est que luxe, calme et raffinement, je viens de comprendre, près de trois décennies plus tard, la pleine signification de ce que cet enseignant visionnaire, un ancien officier de l’US Army, avait en tête.


Devant moi, au fond de l’étendue d’eau de Marina Bay, se dresse le Central Business District (CBD), le nouveau quartier financier de la Cité-État. En quelques années seulement, il a surgi des polders gagnés sur l’eau et abrite aujourd’hui la Bourse de Singapour - le Singapore Exchange - ainsi que les plus hauts gratte-ciel de la ville, sièges de nombreuses multinationales et d’une multitude d’institutions financières. Le Tanjong Pagar Centre, dont je distingue l’imposante silhouette, culmine à presque 300 mètres.

Sur ma gauche, à un kilomètre à vol d’oiseau, le complexe Marina Bay Sands lui aussi surgi de l’onde grâce au miracle de la poldérisation, est formé de trois hôtels (2560 chambres) reliés par une piscine à débordement de 150 mètres de longueur au sein d’un parc de 1,2 hectare perché sur le toit à 200 mètres de hauteur [1]. Inauguré en 2010, avec son casino et son musée des arts et sciences, il a coûté 5 milliards € et on évoque actuellement la possibilité de lui rajouter une quatrième tour. Il s’agit du chef-d’œuvre monumental de l’architecte israélo-canadien, Moshe Safdie, qui vient une nouvelle fois de s’illustrer, au printemps 2019, avec l’inauguration de « Jewel » au sein de Changi Airport, l’aéroport de Singapour [2], construit lui aussi sur des remblais issus de l’arasement des collines. Le polder de Marina Bay inclut les « Gardens by the Bay », un parc végétalisé de 101 hectares, qui a accueilli plus de 34 millions de visiteurs depuis son ouverture en 2005.

 

Entre la période succédant à l’indépendance du pays en 1965 et l’année 2019, la ville a gagné 134 km2 de superficie, en passant de 587 kmà 721 km2,  grâce à un travail acharné soutenu par l’interventionnisme omniprésent de l’État singapourien. Le spécialiste Olivier Sévin a attribué cette volonté à la mise en œuvre d’une stratégie globale de développement. Une des motivations essentielles tient à la nécessité pour Singapour de s’adapter en permanence aux réalités de l’économie globalisée et, ce faisant, de devancer sur le plan de l’esthétisme et du futurisme, les grandes métropoles de la planète, dans une course effrénée. C’est pourquoi, selon lui, « la multiplication des équipements est moins destinée à satisfaire les besoins de la population locale qu’à attirer les responsables des multinationales, dont les cadres sont sensibles à la qualité de vie » [3]. Singapour est en effet devenue une des destinations préférées des expatriés notamment français.

Le choix de transformer la Cité-État en une véritable ville-jardin participe certainement de cette approche pragmatique, mais les résultats de la végétalisation illustrés par l’omniprésence d’une végétation luxuriante, un foisonnement de fleurs, de centaines de milliers de grands arbres et la préservation d’arbres historiques (les Heritage Trees), sont indéniables [4]. Depuis 1974, plus de 1,4 million de nouveaux arbres ont été plantés. Des centaines de parcs et plusieurs réserves naturelles ont été créées au cœur de la ville [5] , mettant en perspective l’approche minimaliste choisie par certains paysagistes dans nombre de grandes villes européennes où il devient de plus en plus difficile de trouver un coin d’ombre alors que les épisodes caniculaires se multiplient.

Le développement vertigineux de la Cité-État n’est pas prêt de s’arrêter avec de nouveaux projets titanesques en gestation. À titre d’exemple, la création d’une ligne de train à grande vitesse, qui reliera en 90 minutes Singapour à Kuala Lumpur (350 km), est prévue pour 2026.  Par ailleurs, le projet inédit d’édification d’une cité du futur, baptisée « Permeable Lattice City », bouscule tous les potentiels concurrents en matière d’architecture futuriste [6]. Ce concept prodigieux devrait permettre de faire face à la croissance démographique du pays en favorisant un développement urbain « vertical » par le biais d’un ensemble de gratte-ciel végétalisés (dont l’un pourrait atteindre un kilomètre de hauteur !), où seront installées diverses infrastructures (jardins, usines, centres de loisirs, magasins, etc.) et où la densité de population friserait les 100 000 habitants au kilomètre carré !

Au vu de tout cela, force est de constater que Singapour, cet ancien port de pêcheurs et comptoir britannique situé à l’extrémité sud de la péninsule malaise, est non seulement entré tambour battant dans le vingt-unième siècle, mais que la Cité-État vise incontestablement aujourd’hui… le firmament !
 
[1] https://www.safdiearchitects.com/projects/marina-bay-sands-integrated-resort
[2] https://www.enderi.fr/Singapour-Changi-Airport-se-sent-pousser-des-ailes_a533.html
[3] Olivier Sevin : « Marina Bay et l’aménagement du front de mer à Singapour », Géographie et culture, N° 62, 2008, pp.79-96. [https://journals.openedition.org/gc/2375  ]
[4] « Singapour, au cœur de la ville jardin », Le Figaro, 24 novembre 2017.
[5] http://eresources.nlb.gov.sg/history/events/a7fac49f-9c96-4030-8709-ce160c58d15c
[6] http://www.urbanarchnow.com/2017/03/permeable-lattice-city.html



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