Journal de l'économie

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Un temps de guerre… si proche, si loin





Le 27 Janvier 2022, par Nicolas Lerègle

On pouvait penser Taiwan, mais cela pourrait être l’Ukraine et Kiev se substituer à Taipei. La Chine de Xi pourrait se voir bruler la politesse par la Russie de Poutine. Dans les deux cas, l’Europe s’exprimera d’une voix discordante traduisant l’absence d’une réelle position commune et se tournera, comme d’habitude, vers les États-Unis qui, sous la houlette de Joe Biden, auront une posture asymétrique, préférant des sanctions économiques à des ripostes militaires.


Un temps de guerre… si proche, si loin
E. Macron n’a pas dit autre chose. À ce stade personne ne sait comment la situation va évoluer. Dans un souci de raisonnement logique, on serait tenté de penser que « personne » ne veut de guerre dont on sait comment elle commence, mais rarement quelle tournure elle peut prendre et se terminer. Mais un raisonnement logique est-il de mise dans les présentes circonstances ? On peut en douter.

Poutine sait d’expérience que les démocraties sont ontologiquement faibles une succession et une accumulation de pouvoirs et de contre-pouvoirs freinant les décisions rapides qui pourraient trancher les nœuds gordiens de situations inextricables d’apparence. Les opinions publiques occidentales sont par essence pacifiques et pacifistes craignant qu’un conflit ne vienne remettre en cause le confort économique et social tranquille dans lequel elles évoluent. Elles sont de ce point de vue les héritières en 2022 de celles qui ne souhaitaient pas mourir pour Dantzig et qui ont salué avec enthousiasme les accords de Munich.

Maintenant devrions-nous aller mourir pour Kiev ?
L’Histoire n’est pas à sens unique. Quand en 1990 l’URSS s’est disloquée elle ne l’a pas fait sans prendre quelques précautions géopolitiques et entre autres s’assurer auprès des Américains que l’OTAN ne chercherait pas à faire tomber dans son escarcelle les pays des ex-républiques soviétiques dont la vocation politique était toujours de constituer un glacis de protection pour la Russie. Après tout on peut le comprendre, après Napoléon et Hitler les Russes connaissaient le prix, lourd à payer, de la victoire finale et souhaitaient s’en dispenser pour l’avenir.

Faire monter les enchères en souhaitant que soit inscrit dans le marbre le non-élargissement de l’OTAN à l’Ukraine ne semble pas, de ce point de vue, une demande exagérée.

Cette position n’est pas plus choquante que la réaction de Kennedy en 1962 quand les Soviétiques s’étaient mis en tête de fournir des fusées nucléaires à Cuba. Les Américains avaient considéré cela comme suffisamment inadmissible pour être à deux doigts de la guerre mondiale. Donner des leçons aujourd’hui en prenant la posture de l’oie blanche est un peu facile.

On pourrait évidemment gloser sur la libre détermination des peuples et pays à choisir leurs alliés et rattachements, de même que l’on peut rappeler qu’il faut être deux pour faire une alliance et que cela n’est pas toujours possible.

Poutine, tout comme Xi, souhaite rester dans l’Histoire non pas comme celui qui aurait déclenché l’Apocalypse, mais comme celui qui aurait redonné à sa patrie un lustre territorial perdu, pour l’un Taiwan et des zones maritimes, pour l’autre l’Ukraine, la Biélorussie étant déjà acquise tout comme la Tchétchénie et le Kazakhstan.

Bien entendu à la question de savoir si nous devrions mourir pour Kiev il faut répondre par la négative, toutefois la bonne question est de savoir comment arrêter les velléités de la Russie ou de la Chine qui, disposant déjà de vastes territoires, en aimeraient toujours plus.

Plusieurs réponses sont possibles.
Éliminer physiquement leurs dirigeants ? C’est triste à dire, mais cela ne marche pas. On sait qui est éliminé, mais on ne sait pas qui va le remplacer et dans des pays autocratiques le successeur est rarement plus conciliant.

Envahir ses pays ou les bombarder ? Là non plus cette idée est à écarter, ce qui a fonctionné avec la Serbie a été un échec avec la Libye ou l’Afghanistan. De plus de telles actions sont trop distanciées pour être efficaces, car ce qui compte aujourd’hui comme hier dans une confrontation militaire c’est, in fine, l’occupation physique du territoire de l’adversaire. Napoléon et Hitler nous rappellent qu’avec la Russie cela n’est pas le bon choix.

Adopter une approche munichoise de tergiversations, de gesticulation et de tortillements ? Cela revient à retarder l’échéance d’un conflit, car, entre ceux qui ont tout à perdre – dans leur esprit – et ceux qui n’ont rien à perdre – aussi dans leur esprit – il est rarement possible de trouver un accord raisonnable.

La bonne réponse qui n’existe pas réellement serait d’avoir une solution préventive et qui soit asymétrique par rapport à une agression militaire. Par exemple couper le pays concerné de tous accès à Internet, aux circuits financiers, interdiction des voyages, embargo sur les importations en provenance de ce pays… oui, mais là on n’aurait plus de gaz, de vodka, de caviar ou de pétrole russe, de produits chinois… en somme on n’aurait plus d’énergie pour se chauffer ni les pulls et gilets pour pallier à cette situation.

Avec le risque de surcroit de désorganiser à un tel point de non-retour les économies de ces pays que cela susciterait des troubles sociaux dont la perspective amènerait les pays concernés à adopter une politique agressive pour détourner l’attention de leurs peuples, un peu comme les Japonais en 1941 ou la Turquie d’Erdogan s’engageant sur tous les fronts.

Non vraiment il n’y a pas de bonnes solutions, c’est peut-être cela notre chance. Car aussi différent de nous dans leur raisonnement, le Poutine ou le Xi ont eux aussi leurs contraintes en rapport avec une technostructure dirigeante faite d’oligarques ou de militaires qui aimeraient bien continuer leurs affaires. Ils savent aussi que des pertes humaines in situ seront bien moins acceptées que celles sur des théâtres extérieurs. Il y a aussi le risque d’une riposte qui ne soit pas celle attendue, toute en faiblesse et atermoiements, mais en force et radicalité du fait de sa tardiveté.

En toute logique on devrait donc échapper au conflit « chaud » pour, retournant Clausewitz, une politique qui soit une poursuite de la guerre par d’autres moyens où chacun avancera ses pions pour atteindre des objectifs connus de tous. Maintenant cette façon de conclure est très imprégnée d’une pensée cartésienne et, hélas, cela ne fait pas toujours bon ménage avec le confucianisme ni avec le stalinisme. En somme qui vivra verra !

Nicolas Lerègle
 



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