Journal de l'économie

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Vers un nouvel humanisme : Etre résilient





Le 10 Avril 2020, par Stéphane Sautarel

Stéphane SAUTAREL est Consultant, Coach et Auteur. Après une carrière de cadre dirigeant dans les associations, Chambres de Commerce et d’industrie et Collectivités territoriales (Conseil départemental), en qualité de Directeur Général des Services, il a créé MAGELLAN Consulting, Société de conseil, de formation et de coaching, par choix de vie et volonté d’entreprendre. Il est l’auteur d’un roman « Le Fil ou la Toile » (Librinova 2019).


(Extrait)
 
Après avoir vu les trois grandes caractéristiques de la résilience pour les individus, transposables aux organisations, voyons comment aller plus loin dans le collectif puisque c’est le défi auquel nous appelle cette crise sanitaire ? Crise salutaire ?
Ainsi, nous pouvons déterminer quatre comportements clés dans les organisations résilientes (entreprises, collectivités, associations, sociétés, Etats) :

    Elles sont frugales dans tous les domaines, y compris celui de leur « haute fiabilité » : elles utilisent le bon niveau de ressources, par exemple en ne doublant pas les systèmes, en ne multipliant pas les contrôles.
    Elles sont « ambidextres », c’est-à-dire capables d’innover sans négliger les opérations courantes : elles ne jettent jamais la proie pour l’ombre, elles sont innovantes, entrepreneuriales et pourtant prudentes.
    Elles développent un « pacte social » privilégiant la reconnaissance et le droit à l’erreur : elles rendent le travail des collaborateurs « visibles », avec une attention sincère, voire une déférence pour l’expertise, avec une grande force du lien. En reconnaissant le droit à l’erreur, elle incite à la prise de risques alimentant le cercle vertueux de l’ambidextrie.
    Leurs dirigeants dont le mandat dure plus longtemps que la moyenne, n’hésitent pas à puiser dans le passé pour dessiner l’avenir : c’est peut-être là le plus important, les dirigeants qui cultivent audace et vigilance, assumant en héritage le destin d’exception de la communauté humaine dont ils ont la charge. Le récit est là essentiel, elles écrivent leur histoire, les dirigeants ont une vision et la partage. Ce sont des architectes d’un destin collectif.

La crise peut-elle nous faire grandir ? Comment ne pas avoir peur de ce passage vers un nouvel humanisme qui nous appelle ? Tachons ensemble de mesurer la résilience de nos organisations, de notre société.
Pourquoi certaines se relèvent-elles des pires catastrophes, voire en ressortent plus fortes, quand d’autres s’effondrent ? Le hasard ou la force de caractère de leurs équipes, de leurs dirigeants ne suffisent pas à l’expliquer. De fait, une analyse comparative révèle que les organisations résilientes présentent des similitudes. Cultiver ces caractéristiques contribue à aider l’organisation à bien encaisser les revers et à rebondir. Saurons-nous le faire ? Oui si nous le voulons vraiment !

Il est ainsi possible d’identifier cinq dimensions, cinq caractéristiques des organisations résilientes.
D’abord, il importe de disposer d’une vigilance permanente. Dans un environnement complexe et mouvant, la nature des risques évolue constamment. La crise actuelle en est un révélateur, mais bien d’autres signes nous alertent depuis longtemps sans que nous voulions les voir. Aucune organisation ne peut se considérer comme étant parfaitement à l’abri, quel que soit le soin qu’elle porte à la prévention des risques. Les organisations résilientes restent toujours sur le qui-vive. Cela passe notamment par le fait de réactualiser régulièrement le diagnostic de ses vulnérabilités, d’être conscient des limites de son dispositif de prévention, de disposer d’une vigilance des équipes à signaler des signaux faibles.

En deuxième lieu, le maintien de réserves et de redondances de précaution est essentiel. Nous n’avons pas su le faire ni en termes de masques, de gel ou d’équipements respiratoires. Le revers de l’optimisation maximale est une vulnérabilité accrue. Certaines ressources, certaines capacités critiques, doivent être stockées ou dupliquées pour permettre à l’organisation d’absorber un choc éventuel. Il convient donc d’être au clair sur sa dépendance vis-à-vis de ses fournisseurs, et de disposer d’un plan B en cas de site ou d’activité paralysé. Je précise que ce qui est écrit ici l’était avant la crise et figure dans mon ouvrage « Le Management humaniste : Invitation au voyage » qui devait être publié le 2 avril et qui le sera en sortie de crise.

Ensuite, il convient de s’assurer d’une bonne coordination interne. La capacité à faire circuler l’information au sein de l’organisation et à coordonner les réponses est cruciale pour réagir efficacement et circonscrire les dégâts. Les individus se connaissent-ils suffisamment pour savoir qui alerter, où chercher des solutions ? Y-a-t-il plusieurs dispositifs de communication indépendants pour assurer la continuité de l’échange des informations ? La confiance est ici essentielle, or nous savons tous que notre société était déjà cruellement en défaut sur ce point avant même cette crise.

Autre dimension essentielle : disposer d’individus autonomes. Hélas depuis des années notre société fait tout pour s’en dispenser ! Les premières décisions prises sur le terrain déterminent souvent le déroulement ultérieur des crises. Les individus doivent être habilités à agir même si les circuits de décision classiques s’avèrent inopérants. En l’absence de référent hiérarchique, les équipes savent-elles selon, quels critères décider dans l’urgence ? Les managers de terrain sont-ils formés à la gestion de crise pour jouer leur rôle et permettre si besoin une prise de décision décentralisée ? On voit ici combien les pays fédéraux, les autorités décentralisées en France, semblent plus réactives, plus agiles dans la mise en œuvre opérationnelle des réponses, même si le cadre national régalien garde une place importante. J’y reviendrai dans un billet spécifique.

Enfin, une organisation résiliente est une organisation apprenante. Les organisations résilientes considèrent toute perturbation comme une opportunité d’amélioration. Elles ne se contentent pas de rétablir leur fonctionnement habituel, mais cherchent à en tirer des leçons et à se perfectionner. Il faut en conséquence suivre les incidents et les crises pour assurer des analyses post-crises et en tirer les enseignements. La culture de l’amélioration continue est en la matière essentielle. Voilà une perspective d’espoir et qui renforce ma conviction que cet « après » doit être radicalement différent, sinon nous serions vraiment coupables et non plus seulement responsables.

Pour renforcer sa capacité à réagir dans la crise que nous traversons, à absorber les chocs, je propose quatre pistes de travail qui peuvent être activées dès maintenant ou capitaliser pour demain afin d’accroître la résilience de notre collectif :
Travailler les automatismes en cas d’urgence : simuler les crises (hélas nous n’en avons pas eu le temps en l’espèce), fournir à tous un protocole basique de réaction, peuvent y aider à condition de ne pas élaborer des procédures trop rigides. Il s’agit plutôt de cultiver des réflexes immédiats, de créer des repères.
Prévenir les réactions en chaîne : l’effet « domino » explique que certaines crises, au départ bénignes, dégénèrent et entraînent des dommages disproportionnés par rapport aux causes. Celle-ci en est une nouvelle preuve. Il importe donc de sensibiliser chacun aux risques de propagation, à les détecter le plus tôt possible et à les enrayer. Il est possible de bâtir des scénarios pour provoquer un questionnement sur les vulnérabilités cachées de l’organisation. On peut notamment penser à des dispositifs de veille permanente des réseaux sociaux pour réduire la probabilité que des attaques dégénèrent.

Renforcer le capital relationnel de l’organisation : l’issue favorable d’une crise dépend rarement d’une seule personne. Une collaboration spontanée et fluide aura d’autant plus de chances de s’établir qu’elle pourra s’appuyer sur des relations préexistantes de qualité. La coopération s’improvise mal dans l’urgence, mieux vaut donc en créer les conditions en amont. Des catalyseurs de solidarité facilitent la coopération confiante : une forte cohésion (socialisation de l’équipe dans un cadre formel et informel régulier) ; une cause commune (cause supérieure, sentiment d’appartenance) ; une culture et un management fondés sur la confiance (parole libre et coopération fluide) ; des moyens de communication bien rodés (équipements variés, habitudes d’échanges).
Raffermir le collectif dans l’après-crise : quand une organisation a traversé une crise, il ne s’agit ni de se replier sur soi, ni d’occulter l’événement traumatisant. Il faut resserrer les liens collectifs par des actes de portée symbolique et par la communication des dirigeants. Pour mener un débat constructif dans l’après crise, il convient plutôt :

    De ne pas temporiser : plus on attend, plus la mémoire devient sélective. Engagez le débat sans tarder même si les émotions peuvent encore être vives.
    Laisser chacun exprimer son vécu : Chacun peut exprimer ce qui l’a choqué, mais aussi les aspects plus positifs. Ecoutez et reconnaissez les ressentis individuels sans juger.
    Identifier les dysfonctionnements : identifiez avec lucidité ce qui a bien et mal fonctionné pour espérer tirer les enseignements d’une crise. Surtout ne versez pas dans la recherche du « coupable », il faut donc des règles claires d’animation des débats et faire distinguer les faits et les ressentis.
    Focaliser sur l’avenir : le cœur du débat doit porter sur le projet d’avenir et les transformations à mener pour corriger les points faibles identifiés grâce à la crise. Elle devient ainsi une opportunité de s’améliorer, d’accélérer une adaptation, d’engager un véritable changement de niveau 2. C’est notre défi !

La résilience qu’elle soit organisationnelle ou personnelle, n’est pas donnée. Elle se développe et se fortifie au gré des expériences. Entreprendre un travail de fond à l’issue de la crise sanitaire que nous traversons est essentiel. Il nous appartient à tous de le porter, de l’incarner, de l’imposer, de le faire vivre. Celui-ci peut débuter dès maintenant !



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