Journal de l'économie

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Von Clausewitz ou la grande stratégie





Le 8 Mars 2023, par Olivier de Maison Rouge

Carl Von Clausewitz est sans doute le stratège militaire le plus connu et le plus couramment cité. Son œuvre n’est cependant pas toujours réellement étudiée et sa vie trop souvent méconnue.


Von Clausewitz ou la grande stratégie
Selon Hervé Coutau-Bégarie, le meilleur stratégiste français de ces trente dernières années – hélas disparu trop tôt – Von Clausewitz incarne la stratégie par excellence, davantage que Sun Tzu à qui il est comparé à tort. Ce dernier embrasse la tactique, quand Von Clausewitz est l’auteur de la grande stratégie. Mais il ne néglige pas pour autant la tactique qu’il intègre à ses réflexions.
 
Tout à la fois théoricien et pragmatique, il n’a jamais vraiment mis en action ses préceptes, n’ayant pas disposé des fonctions, grades et circonstances requis. Toutefois, son travail est le fruit d’une étude savante et argumentée des batailles et luttes de l’époque moderne, principalement sous Frédéric II de Prusse et Napoléon Ier, qu’il combattra aux côtés des Russes puis en tant qu’officier de liaison de Blücher.
 
Son œuvre, enseignée dans les écoles militaires outre-Rhin contribua au redressement de l’armée allemande, dans sa doctrine de combat et l’art stratégique de la guerre, après les défaites infligées par l’Empereur français. Elle fit merveille durant la guerre franco-allemande de 1870, au détriment de notre pays. Elle inspirait encore les généraux allemands durant les conflits mondiaux du vingtième siècle.
 
Son ouvrage De la guerre fut publié à titre posthume ; s’il n’était pas destiné à être publié, écrit alors qu’il avait quitté l’armée, il est une compilation de réflexions éparses, constituant une matrice indispensable des menées guerrières.
 
En revanche, s’il fallait lui faire un reproche, il néglige le renseignement. Or, cette fonction n’est pas sans contribuer aux victoires, au-delà de la force que seule Von Clausewitz estime comme déterminante.
 
 
Nous avons organisé et réuni les citations ci-après dès lors que cette science, bien qu’abordée par son auteur dans un esprit strictement militaire, se décline parfaitement à l’économie, ce d’autan qu’il n’est pas sans avoir précisément intégré les principes défensifs.
 
Le primat du politique sur les armes :
 
« la guerre est un acte de violence dont l’objet est de contraindre l’adversaire à se plier à notre volonté ».
 
« La tactique sera la théorie de l’emploi de la force armée dans l’engagement, et la stratégie la théorie de l’emploi de l’engagement au service de la guerre. »
 
 
Et les buts de guerre :
 
« Si donc le but de l’action militaire est un équivalent de l’objectif politique, l’importance du premier décroît généralement avec celle du second [et ce d’autant plus que cet objectif est au premier plan]. Ce qui explique, sans impliquer contradiction, que les guerres puissent avoir différents degrés d’importance et d’acuité, de guerre d’anéantissement jusqu’à la simple observation armée.
 
« On voit donc que la guerre n’est pas simplement un acte politique, mais véritablement un instrument politique, une continuation des rapports politiques, la réalisation des rapports politiques par d’autres moyens (…) elle ne peut jamais être plus qu’un amendement, car l’intention politique est la fin recherchée, la guerre en est le moyen, et le moyen ne peut être conçu sans la fin. (…) la fin politique de la guerre est extérieure à son domaine ; car si la guerre est un acte de violence destiné à plier l’adversaire à notre volonté, il faudrait toujours et uniquement que la guerre aboutisse à l’effondrement de l’adversaire, c’est-à-dire à lui ôter toute capacité de résister. »
 
« Examinons maintenant le concept général de la victoire. Nos y trouvons trois éléments :
  1. Infliger des pertes physiques supérieures à l’adversaire,
  2. Affaiblir son moral,
  3. Le lui faire ouvertement admettre, sous la forme de l’abandon de ses plans. »
 
Définition de la guerre :
 
« Au sens propre, la guerre, c’est le combat ; le combat seul est le principe actif d’une action multiforme qui porte ce nom en un sens plus large. Au combat, on mesure ses forces morales et physiques par l’intermédiaire de ces dernières. A l’évidence, on ne peut exclure les forces morales, l’état d’esprit exerçant sur les forces physiques l’influence déterminante. »
 
« La guerre est le choc de forces opposées. Par conséquent, le plus fort anéantit le plus faible, et plus encore, il l’emporte dans son élan. Cela posé, on ne peut en principe employer les forces progressivement – il faut au contraire déployer simultanément toutes les forces choisies pour une action donnée – c’est une loi élémentaire de la guerre. »
 
Sur la nature « commerciale » de la guerre :
 
« La guerre est un commerce entre les hommes.
 
La guerre n’appartient donc ni à la sphère de l’art, ni à celle des sciences, mais à la sphère de la vie en société. La guerre est un conflit entre grands intérêts, qui se résout par le sang, et ne se distingue qu’en cela des autres conflits. Mieux qu’à un art quelconque, on la compare au commerce, qui est également conflit entre intérêts et actions humaines ».
 
L’assaut par surprise :
 
« La surprise est un moyen d’obtenir le surnombre, mais elle est en outre un principe indépendant, du fait de ses effets psychologiques et moraux. Pleinement réussie, elle sème chez l’adversaire  la confusion et le découragement, ce qui multiplie le succès. (…) Nous affirmons que la surprise est sans exception à la base de toute entreprise, mais qu’elle varie considérablement d’intensité selon la nature de l’entreprise et les autres facteurs.
Le secret et la rapidité sont les deux produits de ces facteurs. »
 
L’emploi de la ruse :
 
« Qui dit ruse dit intention cachée. La ruse est à l’action droite et directe ce que l’ironie est à l’argument. Elle n’a rien à voir avec la persuasion, l’intéressement, la violence ; elle est proche de la tromperie, qui ne cède pas moins son dessein. Elle est elle-même tromperie, une fois exécutée ; (…) La ruse laisse sa victime s’enferrer elle-même, et ses erreurs se combiner soudain en un effet unique qui renverse une situation sous ses yeux. »
 
« Préparer des engagements assez conséquents pour tromper l’ennemi consomme beaucoup de temps et d’énergie – leur coût augmente avec l’enjeu de l’attrape. (…) En vérité, il est dangereux de déployer longtemps des forces importantes pour étayer un subterfuge ; le danger sera toujours présent qu’elles manquent à l’endroit décisif où on a vraiment besoin d’elles ».
 
La stratégie de défense par l’épuisement de l’assaillant :
 
« La résistance est une activité, dont le but est de détruire une grande quantité de forces adverses au point de forcer l’ennemi à abandonner ses buts. (…) c’est en cela que consiste le caractère négatif de notre intention. »
 
« Si le dessein négatif, soit l’allocation de tous nos moyens à la simple résistance, occasionne une supériorité dans le conflit, et si celle-ci suffit à contrebalancer la supériorité quantitative de l’adversaire, la simple durée du conflit suffira alors à forcer l’adversaire à dépenser ses énergies au-delà de ce que permet son objectif politique – ce qui le contraindra à l’abandonner. On voit ainsi comment l’usure de l’adversaire comprend la plupart des cas où le faible résiste au fort ».
 
« Il n’est pas toujours besoin d’anéantir l’adversaire, la destruction des armées ennemies, la simple occupation des territoires ennemis, la simple occupation de ces territoires, les entreprises dont le but est politique, et finalement l’attente de l’attaque ennemie sont autant de moyens dont chacun peut contribuer à sa manière à subjuguer la volonté de l’ennemi, chacun étant mis à contribution selon les caractères particuliers de la situation. »
 
« L’annihilation de l’armée ennemie est toujours le moyen d’atteindre le but fixé à l’engagement (…) même quand l’engagement ne donne pas lieu à un combat réel, car son dénouement y est basé sur l’idée qu’un adversaire serait incontestablement anéanti si l’engagement avait lieu ».
 
Les principes de la défense active et la contre-offensive :
 
« L’art des fortifications, du gros œuvre au détail, où la géométrie règle presque tout, nous montre que le facteur géométrique, soit la forme du déploiement des forces, joue à la guerre le rôle de principe éminent. »
 
« Parer un choc, qu’elle en est la caractéristique ? L’attente de ce choc. Cette caractéristique rend une action défensive. À la guerre, c’est tout ce qui distingue la défense de l’attaque. Une défense absolue est complètement contraire à la nature de la guerre, car, en ce cas, un seul camp ferait la guerre : la défense ne peut être que relative. »
 
« Défendre c’est parer. L’attente fait partie de la parade, la parade est l’une des caractéristiques de la défense, et son avantage principal. »
 
« Pour faire vraiment la guerre, il faut rendre à l’ennemi les coups qu’il donne, l’action offensive menée dans le cadre d’une guerre défensive recevra l’appellation de « défensive » ; en d’autres termes, c’est du sein de nos positions ou de notre théâtre de guerre que nous lançons cette offensive. »
 
« Que vise la défense ? Préserver. Préserver est plus facile qu’avancer. À égalité de moyens, donc, il sera plus facile de défendre que d’attaquer. (…) C’est que tous les temps inemployés par l’attaquant favorisent le défenseur. (…) La vie courante, et les affaires judiciaires qui ressemblent tant à la guerre, l’ont bien compris avec la maxime latine beati sunt possidentes. Avantage supplémentaire enraciné dans la nature de la guerre, la supériorité positionnelle, qui favorise avant tout la défense. »
 
« L’avantage de l’attaquant, c’est qu’il est libre d’attaquer à l’endroit de son choix avec toutes ses forces ; le défenseur, lui, est continuellement en mesure de le surprendre au cours de l’engagement, en modulant la direction et l’intensité de ses contre-attaques ».
 
« Le couronnement de la défense, c’est le passage rapide et puissant à l’attaque – la riposte foudroyante de l’épée vengeresse. (…) La défense bien conçue se dote de tous les moyens possibles, d’une armée exercée, d’un général qui ne laisse pas venir l’ennemi à lui dans la crainte ni dans la confusion née de l’indécision, mais de propos délibéré, avec sang-froid et réflexion ; les forteresses qui ne craignent pas d’être assiégées, avec un peuple crâne qui ne craint plus l’ennemi, mais que craint celui-ci. »
 
« L’appui dont bénéficie l’assaillant grâce à ses forteresses se limite à celles qui sont proches des frontières (…) En revanche, c’est dans toute la profondeur de son territoire que le défenseur peut compter dessus, en nombre et en efficacité. (…) Une place forte qui oblige l’ennemi à donner le siège et à la continuer pèse naturellement d’un plus grand poids dans la balance de la guerre qu’une forteresse si puissamment défendue qu’elle décourage l’idée même d’un siège, et ne cloue ni ne détruit les forces ennemies. »
 
« L’exemple le plus simple et le plus net est pour le défenseur de laisser derrière lui une ou plusieurs places fortes que l’ennemi doit assiéger, soit bloquer. Il affaiblit considérablement ses forces, ce qui donnera au défenseur l’occasion d’attaquer en surnombre. »
 
« La nation armée ou garde territoriale fait partie des moyens de la défense.
Les alliés, enfin, sont pour le défenseur l’ultime source de soutien. Il ne s’agit pas d’alliés normaux, dont se prévaut également l’assaillant, mais d’alliés qui ont un intérêt vital à la préservation du territoire. »
 
« Le défenseur, lui, assemble et plus encore déploie ses forces en conformité avec la luette qu’il veut lancer ; c’est lui qui le premier commet un acte qui correspond véritablement avec le concept de la guerre. (…) Cette conception nous a déjà amenés à affirmer que la défense n’est autre que la forme la plus puissante de la guerre, la plus assurée pour vaincre l’adversaire. »
 
« Dans l’emploi d’un théâtre de guerre comme en toute autre chose, la stratégie est donc une économie des forces. Plus on est ménager, mieux on s’en portera ; mais bien sûr, comme dans le commerce, ménager n’est pas lésiner ».

Par Olivier de MAISON ROUGE
Avocat, Docteur en droit
Dernier ouvrage paru : « Gagner la guerre économique. Plaidoyer pour une souveraineté économique et une indépendance stratégique » VA éditions, 2022


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