SECONDE PARTIE
Nous retrouvons aujourd'hui Guillaume Sauvé, pour la suite de l'entretien qu'il nous a accordé, et vous pouvez lire la première partie ici.
Nous retrouvons aujourd'hui Guillaume Sauvé, pour la suite de l'entretien qu'il nous a accordé, et vous pouvez lire la première partie ici.
Guillaume Sauvé, président d'Eiffage Génie Civil et d'Eiffage Métal
Nous avons évoqué précédemment les modes de fonctionnement propres à vos activités, les évolutions techniques les plus saillantes : quels sont les chantiers les plus représentatifs de ce que vous savez faire ?
Ce qui est le plus emblématique, à la fois de notre expertise en ingénierie, et de notre mode de fonctionnement, ce sont les projets complexes. Je cite volontiers le portique pour la fusée Ariane 6 en Guyane : une structure de 7 000 tonnes qui se déplace sur 70 m. C’est un défi d’une grande complexité technique qui nécessite de travailler en projet transverse, interdisciplinaire, en permanence. Il faut réaliser l’interface, d’une part entre plusieurs métiers du BTP : le métal, le génie civil et le terrassement, et d’autre part entre ces métiers et les impératifs d’un client de haute technologie, pour permettre l’alimentation de la fusée en toutes sortes de fluides et de courants.
Dans le même ordre d’idée, je cite volontiers le TER de Dakar, ou encore nos travaux en cours sur la ligne HS 2, le TGV britannique. À chaque fois, il s’agit de BTP interdisciplinaire, et ce n’est pas par hasard que nous avons été sélectionnés pour ces marchés, comme nous l’avons été pour la Ligne 16 du Grand Paris Express, seul lot de ce projet pharaonique combinant le génie civil et le rail dans un même contrat. Tout se fait sous notre direction, et avec des équipes qui ont déjà travaillé ensemble.
Il y a aussi la conversion d’une route nationale en autoroute, l’A79, près de Moulins : une 2 voies élargies en 2 x 2 voies sur 80 km, comme on l’a fait sur l’A3 en Bavière. C’est un projet d’apparence plus modeste, dont le défi principal est de le mener sans interruption du trafic, par basculement des voies, en organisant de façon optimale la cohabitation entre travaux et exploitation.
Ce qui est le plus emblématique, à la fois de notre expertise en ingénierie, et de notre mode de fonctionnement, ce sont les projets complexes. Je cite volontiers le portique pour la fusée Ariane 6 en Guyane : une structure de 7 000 tonnes qui se déplace sur 70 m. C’est un défi d’une grande complexité technique qui nécessite de travailler en projet transverse, interdisciplinaire, en permanence. Il faut réaliser l’interface, d’une part entre plusieurs métiers du BTP : le métal, le génie civil et le terrassement, et d’autre part entre ces métiers et les impératifs d’un client de haute technologie, pour permettre l’alimentation de la fusée en toutes sortes de fluides et de courants.
Dans le même ordre d’idée, je cite volontiers le TER de Dakar, ou encore nos travaux en cours sur la ligne HS 2, le TGV britannique. À chaque fois, il s’agit de BTP interdisciplinaire, et ce n’est pas par hasard que nous avons été sélectionnés pour ces marchés, comme nous l’avons été pour la Ligne 16 du Grand Paris Express, seul lot de ce projet pharaonique combinant le génie civil et le rail dans un même contrat. Tout se fait sous notre direction, et avec des équipes qui ont déjà travaillé ensemble.
Il y a aussi la conversion d’une route nationale en autoroute, l’A79, près de Moulins : une 2 voies élargies en 2 x 2 voies sur 80 km, comme on l’a fait sur l’A3 en Bavière. C’est un projet d’apparence plus modeste, dont le défi principal est de le mener sans interruption du trafic, par basculement des voies, en organisant de façon optimale la cohabitation entre travaux et exploitation.
Après la technique, les aspects commerciaux : qu’est-ce qui a changé, qu’est ce qui est resté stable dans les travaux d’infrastructure ces dernières années ?
Ce qui est resté stable, c’est la part toujours prépondérante de la commande publique, ou parapublique, avec ses procédures spécifiques : codes des marchés publics ou assimilés, commissions d’attribution…
La principale évolution concerne les modalités du dialogue avec le secteur public. Autrefois, il détenait les mêmes compétences d’ingénierie et de conception que les entreprises, qui étaient plutôt dans une relation d’exécutant. Depuis quelques années, il se positionne davantage sur la gestion globale du projet, les relations avec les parties prenantes, et la relation contractuelle.
Cela nécessite un ajustement dans notre dialogue, qui ne va pas de soi, car le client public ne veut pas totalement « lâcher la bride » sur la réalisation, dont le produit final lui est destiné. Il a donc tendance à intervenir en cours d’action, avec des risques de confusion, de retards, de coûts supplémentaires, voire de dysfonctionnement dans le livrable, dont il sera difficile de définir le responsable. Sauf à aller en justice, ce qui est désagréable pour tous…
Ce qui est resté stable, c’est la part toujours prépondérante de la commande publique, ou parapublique, avec ses procédures spécifiques : codes des marchés publics ou assimilés, commissions d’attribution…
La principale évolution concerne les modalités du dialogue avec le secteur public. Autrefois, il détenait les mêmes compétences d’ingénierie et de conception que les entreprises, qui étaient plutôt dans une relation d’exécutant. Depuis quelques années, il se positionne davantage sur la gestion globale du projet, les relations avec les parties prenantes, et la relation contractuelle.
Cela nécessite un ajustement dans notre dialogue, qui ne va pas de soi, car le client public ne veut pas totalement « lâcher la bride » sur la réalisation, dont le produit final lui est destiné. Il a donc tendance à intervenir en cours d’action, avec des risques de confusion, de retards, de coûts supplémentaires, voire de dysfonctionnement dans le livrable, dont il sera difficile de définir le responsable. Sauf à aller en justice, ce qui est désagréable pour tous…
Management, technique, aspects commerciaux, sur le fondement de ce bref tour d’horizon, comment voyez-vous l’avenir d’Eiffage, quelles sont vos perspectives de développement ?
Je voudrais évoquer trois dimensions : cultiver nos valeurs intrinsèques, comprendre les nouvelles règles du jeu, et nous déployer encore davantage à l’international.
Côté valeurs, je vois deux choses principales, toutes centrées sur le facteur humain. D’une part, concernant le management, je souhaite que nous continuions à cultiver la valeur ajoutée de chaque collaborateur à nos œuvres communes : c’est la subsidiarité que j’ai évoquée au début, et notre capacité à fédérer toutes les contributions. D’autre part, concernant les parties prenantes, je souhaite que nous approfondissions toujours davantage ce qui fait une des plus-values d’Eiffage, sa capacité à tisser des liens avec tous les acteurs sur le terrain. Tout ce que nous construisons, tunnel, pont, route, port, a une finalité humaine : le déplacement, le travail, le logement, bref, l’amélioration de la vie des gens, dans un endroit donné, des conditions données, en inscrivant toutes ces dimensions dans une perspective de développement durable. Ça ne peut se concevoir sans être à l’écoute des bénéficiaires, ni être force de proposition à toutes les étapes. Je crois qu’Eiffage Génie Civil a des références dans ce domaine, et nous devons creuser l’écart pour cet avantage compétitif.
Ensuite, côté procédures, nous allons contribuer activement à la mise en place des nouvelles règles du jeu du secteur. Ce sont des problématiques à la fois technocratiques et humaines. Il faut, d’une part, que nous nous inscrivions de façon toujours plus pertinente dans les procédures d’appels d’offres qui deviennent beaucoup plus complexes. D’autre part, nous devons être force de proposition auprès de nos interlocuteurs du secteur public, pour inventer avec eux des modalités pertinentes de mise en œuvre des contrats en conception-réalisation.
Enfin, il s’agit de continuer à nous déployer à l’international de manière à la fois assertive et mesurée, je dirais « en bon père de famille », soit dans une logique de déploiement à partir de bases géographiques existantes, comme au Sénégal, soit en mode « grand projet », qui permet d’aller n’importe où en relevant le défi des grands appels d’offres internationaux.
Côté valeurs, je vois deux choses principales, toutes centrées sur le facteur humain. D’une part, concernant le management, je souhaite que nous continuions à cultiver la valeur ajoutée de chaque collaborateur à nos œuvres communes : c’est la subsidiarité que j’ai évoquée au début, et notre capacité à fédérer toutes les contributions. D’autre part, concernant les parties prenantes, je souhaite que nous approfondissions toujours davantage ce qui fait une des plus-values d’Eiffage, sa capacité à tisser des liens avec tous les acteurs sur le terrain. Tout ce que nous construisons, tunnel, pont, route, port, a une finalité humaine : le déplacement, le travail, le logement, bref, l’amélioration de la vie des gens, dans un endroit donné, des conditions données, en inscrivant toutes ces dimensions dans une perspective de développement durable. Ça ne peut se concevoir sans être à l’écoute des bénéficiaires, ni être force de proposition à toutes les étapes. Je crois qu’Eiffage Génie Civil a des références dans ce domaine, et nous devons creuser l’écart pour cet avantage compétitif.
Ensuite, côté procédures, nous allons contribuer activement à la mise en place des nouvelles règles du jeu du secteur. Ce sont des problématiques à la fois technocratiques et humaines. Il faut, d’une part, que nous nous inscrivions de façon toujours plus pertinente dans les procédures d’appels d’offres qui deviennent beaucoup plus complexes. D’autre part, nous devons être force de proposition auprès de nos interlocuteurs du secteur public, pour inventer avec eux des modalités pertinentes de mise en œuvre des contrats en conception-réalisation.
Enfin, il s’agit de continuer à nous déployer à l’international de manière à la fois assertive et mesurée, je dirais « en bon père de famille », soit dans une logique de déploiement à partir de bases géographiques existantes, comme au Sénégal, soit en mode « grand projet », qui permet d’aller n’importe où en relevant le défi des grands appels d’offres internationaux.
Pour développer le sujet de l’international, quelle importance revêt-il pour une entreprise de votre taille ?
C’est un sujet majeur, du point de vue de l’actionnaire, de la technique, et du management.
Du point de vue de l’actionnaire, le développement international permet d’équilibrer nos charges d’activité, donc nos risques. Multiplier les chantiers dans des temporalités et des géographies différentes nous permet de maintenir l’activité dans le temps et d’éviter les à-coups.
D’un point de vue technique, l’international est un accélérateur d’innovation, car il nous confronte à des modes de réalisation différents. L’expérience novatrice acquise à l’étranger donne de la crédibilité technique quand on l’introduit en France et réciproquement. Par exemple, nous avons introduit la technologie des voussoirs fibrés sur le Grand Paris Express grâce aux expériences dans d’autres pays. En Norvège, nous sommes en train de creuser un tunnel, selon une méthode différente de celle utilisée en France. Il y a évidemment des enseignements à en tirer pour nous.
Enfin, le parcours international donne aux collaborateurs une agilité intellectuelle et relationnelle, une capacité à se débrouiller de manière autonome, au plan professionnel, qui fait la différence. Quand on est à l’autre bout du monde et qu’on doit faire face aux aléas, il faut trouver la solution sans en référer au siège à tout bout de champ. Les missions des « expats » leur donnent une capacité unique à se mettre dans la peau et la tête de l’interlocuteur, qu’ils seront enclins à reproduire avec leurs interlocuteurs en France, à leur retour.
C’est un sujet majeur, du point de vue de l’actionnaire, de la technique, et du management.
Du point de vue de l’actionnaire, le développement international permet d’équilibrer nos charges d’activité, donc nos risques. Multiplier les chantiers dans des temporalités et des géographies différentes nous permet de maintenir l’activité dans le temps et d’éviter les à-coups.
D’un point de vue technique, l’international est un accélérateur d’innovation, car il nous confronte à des modes de réalisation différents. L’expérience novatrice acquise à l’étranger donne de la crédibilité technique quand on l’introduit en France et réciproquement. Par exemple, nous avons introduit la technologie des voussoirs fibrés sur le Grand Paris Express grâce aux expériences dans d’autres pays. En Norvège, nous sommes en train de creuser un tunnel, selon une méthode différente de celle utilisée en France. Il y a évidemment des enseignements à en tirer pour nous.
Enfin, le parcours international donne aux collaborateurs une agilité intellectuelle et relationnelle, une capacité à se débrouiller de manière autonome, au plan professionnel, qui fait la différence. Quand on est à l’autre bout du monde et qu’on doit faire face aux aléas, il faut trouver la solution sans en référer au siège à tout bout de champ. Les missions des « expats » leur donnent une capacité unique à se mettre dans la peau et la tête de l’interlocuteur, qu’ils seront enclins à reproduire avec leurs interlocuteurs en France, à leur retour.
Pour rester sur le sujet international, le BTP français a bonne réputation. Ceci vous parait-il justifié ?
Incontestablement. Tout ce qui a été fait en France depuis 50 ans constitue notre carte de visite : le TGV, les autoroutes, les grandes infrastructures terrestres, portuaires, aéroportuaires. C’est ce qui a nourri une tradition d’export forte, notamment dans les zones historiques de présence française, en Afrique par exemple, mais pas uniquement sur ce continent. L’illustration récente la plus pertinente, selon moi, est la ligne HS2, le TGV britannique, où l’on retrouve les trois plus grandes entreprises françaises de BTP, en raison de leur expertise unique au monde dans ce domaine.
De plus, le mode de fonctionnement du BTP français est différent de celui des pays anglo-saxons. Chez nous, les bureaux d’études développent les projets jusqu’à un certain stade, et les entreprises ouvrent ensuite aux variantes.
Cette ouverture aux variantes a toujours tiré l’innovation, et l’économie de matériaux, qui est un vrai filon d’économie de ressources : moins de béton, moins d’acier, moins d’énergie. Et cela, les donneurs d’ordre le comprennent assez rapidement, ce qui en fait un autre facteur clé du succès du BTP français.
Incontestablement. Tout ce qui a été fait en France depuis 50 ans constitue notre carte de visite : le TGV, les autoroutes, les grandes infrastructures terrestres, portuaires, aéroportuaires. C’est ce qui a nourri une tradition d’export forte, notamment dans les zones historiques de présence française, en Afrique par exemple, mais pas uniquement sur ce continent. L’illustration récente la plus pertinente, selon moi, est la ligne HS2, le TGV britannique, où l’on retrouve les trois plus grandes entreprises françaises de BTP, en raison de leur expertise unique au monde dans ce domaine.
De plus, le mode de fonctionnement du BTP français est différent de celui des pays anglo-saxons. Chez nous, les bureaux d’études développent les projets jusqu’à un certain stade, et les entreprises ouvrent ensuite aux variantes.
Cette ouverture aux variantes a toujours tiré l’innovation, et l’économie de matériaux, qui est un vrai filon d’économie de ressources : moins de béton, moins d’acier, moins d’énergie. Et cela, les donneurs d’ordre le comprennent assez rapidement, ce qui en fait un autre facteur clé du succès du BTP français.