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Olivier Meier : management interculturel et valorisation de la diversité, une question de "subtilité"





Le 6 Mars 2014, par La Rédaction

Enseignant en stratégie et en management à l’Université Paris Dauphine et à l’Université Paris Est, Olivier Meier est l’auteur d’un ouvrage(1), écrit en collaboration avec Carole Doueiry Verne, sur la place de la culture et de l’éthique dans les grandes entreprises japonaises. Pour ce spécialiste des questions interculturelles dans le monde de l’entreprise, ignorer la singularité des modèles managériaux culturellement distincts conduit à se priver d’un certain nombre d’enseignement fort utile à la conduite de l’entreprise. Il nous explique pourquoi.


Vous êtes le co-auteur d’un ouvrage sur culture et Éthique au sein des grandes entreprises japonaises ? Chaque pays développe-t-il un modèle de management en fonction de son histoire et de sa culture ?


Olivier Meier : Oui tout à fait. Les travaux sur l’interculturel le montrent bien. On distingue classiquement le modèle anglo-saxon avec des nuances entre la culture nord-américaine et la culture anglaise, le modèle rhénan propre à l’Allemagne, l’Autriche, la Suisse allemande, le modèle français ou encore les cultures japonaises, indiennes ou africaines avec toutes les disparités qu’elles supposent. Au-delà des critères de différenciation culturelle – comme le rapport au temps, la relation à l’autre, la distance hiérarchique, le système de valeurs –, plusieurs paramètres rentrent dans la formation d’une culture, à commencer par l’histoire du pays, sa position géographique et ses rapports avec ses différents pays voisins. Autant de paramètres qui font de chaque pays, une culture spécifique, dont les caractéristiques amènent à conduire les activités des organisations de façon particulière, tant sur le plan économique que social.

À l’inverse y’aurait-il des règles de management universelles, communes à toutes les cultures ?

Olivier Meier : Ce qu’il faut bien voir, c’est qu’au-delà des différences de sensibilités, de valeurs et d’approches, on a trop tendance à oublier qu’il existe des finalités communes. Une entreprise, quelle que soit sa nationalité, a comme finalité de croître et doit s’appuyer sur des collaborateurs que l’on doit rémunérer pour le travail effectué. De même, que l’on ait recours à des stratégies intégratives ou distributives dans le cas de négociations commerciales, l’intention est bien de parvenir à défendre les intérêts de son entreprise. Simplement les moyens d’y parvenir peuvent s’avérer différents : l’utilisation du contexte, l’attribution des rôles de chacun, les questions d’organisation du temps, l’évaluation de l’efficacité peuvent en effet présenter d’importantes différences selon les cultures. De façon plus générale, on constate que de nombreux facteurs notamment de nature technologique, économiques et sociétaux tendent à faire converger certaines pratiques d’entreprises, que cela soit dans le domaine du développement durable ou dans la conduite des activités professionnelles.

On imagine le monde des grandes entreprises comme potentiellement apatride, ne subissant l’influence d’aucune culture en particulier. Est-ce la réalité ?

On voit à l’échelle des grandes entreprises se profiler deux grandes tendances : une vision corporate des organisations soumises aux influences des marchés et des nouvelles normes mondiales. Mais on voit aussi se développer un ensemble de sous cultures au sein des grands groupes, où le manager est amené à faire cohabiter des identités personnelles et professionnelles diverses, sources potentielles de confrontations ou de conflits, compte tenu des systèmes de valeurs et de l’histoire propres de chaque individu.

Nombre d’études ont attribué une partie du succès économique des États-Unis par exemple à sa culture protestante, qui fait du succès économique un élément de « l’élection divine ». Certaines cultures favorisent-elles plus que d’autres l’esprit entrepreneurial ?

L’une des variables culturelles qui permettent d’inspirer une culture entrepreneuriale est indéniablement celle qui renvoie à la tolérance aux risques et à l’incertitude. De ce point de vue, il n’est pas étonnant de retrouver les cultures issues du modèle anglo-saxon. D’autres dimensions non exclusives peuvent aussi favoriser des stratégies d’innovation radicale ou de rupture, comme le caractère individualiste de certaines cultures, l’ouverture à la complexité, mais également la part du statut acquis dans le développement des dirigeants – par opposition au statut attribué – qui permet de valoriser d’autres profils et parcours en entreprise. Le rapport au temps est également une variable intéressante à étudier dans ce domaine, selon que l’on soit tourné vers le passé – avec un accent mis sur l’expérience –, le présent – l’accent étant cette fois mis sur l’instant – ou l’avenir – avec l’anticipation de potentiels d’apprentissage –. Le rapport à l’innovation et au développement ne peut dans ce cas revêtir la même portée et intensité.

Dans les entreprises multinationales, existe-t-il un « rapport de force culturel » ou un choc de valeurs, entre les différentes nationalités et cultures représentées ?

Oui c’est notamment le cas au niveau des relations entre le siège et ses filiales, ou entre les filiales elles-mêmes. Les processus de rapprochements inter-firmes et d’alliances stratégiques contribuent à créer les conditions de relations inter-organisationnelles complexes et diversifiées. Les travaux de Perlmutter et du courant qui y est rattaché sont assez éclairants sur ce point. L’analyse de ces rapports de force culturels au sein de ces grands ensembles constitue indéniablement un cadre d’observation intéressant en matière d’analyse sur les relations de pouvoir entre entités et les risques potentiels de conflits culturels.

Le management à l’occidentale et les codes culturels du monde des affaires occidental ne sont-ils pas surreprésentés en entreprise ?

C’est encore le cas, mais pour combien de temps ? Le changement de donne au plan géopolitique, l’arrivée de nouvelles superpuissances de cultures très différentes non occidentales, leur nombre, leurs poids économique et commercial, leur importance démographique sont de nature à casser l’idée d’un modèle unique d’entreprise. Il est à attendre dans les dix prochaines années, des mutations technologiques et économiques et des évolutions fortes au plan démographique qui sont de nature à changer en profondeur et durablement les rapports de force économiques, la vision des organisations et des entreprises et par là même le management des collaborateurs.

Comment harmoniser les cultures et sensibilités propres à chacun pour travailler de concert, sans tomber dans l’acculturation ?

Il est un préalable à toute démarche interculturelle : l’écoute, l’ouverture et le respect. Ce sont des principes simples, mais qu’il convient de rappeler, car toute démarche managériale intelligente et subtile, sans ce préalable, est vouée à l’échec et peut même occasionner des conflits durables au sein d’organisations fragiles et sous tensions. Une fois ce principe admis, plusieurs principes plus sophistiqués peuvent venir favoriser une cohésion d’équipes au sein de groupes culturels pourtant différenciés. L’une des premières actions est de redonner du sens aux actions envisagées, en proposant une finalité supérieure à toute démarche. Celle-ci peut par exemple consister à répondre à un problème supérieur d’intérêt général qui parle à tous, dans la mesure où sa non-résolution constituerait à terme une menace pour la survie des organisations et donc des équipes en place, avec la disparition de certains marchés ou métiers, action d’un concurrent, nouvelles réglementations.

L’autre grand principe, c’est d’admettre que la valorisation de la diversité passe par l’acceptation et l’institutionnalisation d’un système d’autorité unique admis par tous. Une direction, un sens sont essentiels, et doivent être admis par tous par convictions, conventions ou pragmatisme. Mais cette direction, ce sens, ne peuvent être discutés, contrairement à leurs modalités pratiques. On ne peut durablement rester dans une organisation a fortiori complexe et multiculturelle, si on conteste sa vocation ou sa finalité. Toute démarche participative et démocratique, tout respect de la différence n’ont de fondements et d’efficacité, que si elles s’accompagnement d’une convergence d’objectifs et d’intérêts supérieurs, portée par une autorité supérieure légitime et reconnue par une majorité et des institutions – règles, procédures, systèmes – solides.

Olivier Meier : management interculturel et valorisation de la diversité, une question de "subtilité"
(1) Culture et éthique, Regard sur le Japon et les grandes entreprises japonaises , Carole Doueiry Verne et Olivier Meier, 182 pages, éditions VA Press, Versailles, 2014.





1.Posté par Alex le 17/09/2016 16:36 | Alerter
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Merci Professeur Meier pour votre livre qui éclaire bien des situations et nous ouvre sur une culture fascinante entre tradition et modernité. Après "Management interculturel" et "Regard sur le Japon", à quand un livre de votre part sur l'Inde ? Encore bravo. Respectueusement.

2.Posté par Vanessa78 le 19/09/2016 21:45 | Alerter
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D'accord avec Axel sur l'intérêt de ce livre. Je pense cependant que "Management interculturel" est l'indispensable car il donne les fondamentaux. Ce livre sur la société nippone est plus spécifique avec des éclairages originaux sur le lien entre éthique et culture.
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V.R.

3.Posté par Mathis le 02/10/2016 00:30 | Alerter
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