Alors qu’une stratégie d’acquisition fondée sur la rationalité devrait conduire à l’arrêt du processus lorsque les signaux négatifs se multiplient ("No Go"), il n’est pas rare de constater la poursuite du processus ("Go") [Woindrich, 2016; Haspeslagh et Jemison, 1991]. Cette difficulté à interrompre la conduite d’un projet de développement en dépit d’informations défavorables est désignée par la littérature |Staw, 1976], sous le terme d’escalade de l’engagement (« The Psychology of Commitment »). Ce phénomène se manifeste, dans le cas où une équipe de direction, lors des phases d’évaluation et de négociation, est amenée, face à des événements défavorables, à renforcer son engagement dans le projet d’acquisition, alors même que la « raison » aurait dû l’amener à suspendre la décision [Meier, Schier, 2016]. L’escalade de l’engagement est relativement fréquente dans le cas de fusions acquisitions [Baker et al., 2014; Barabel, Meier, 2002], et cela pour plusieurs raisons. Bien souvent, les ressources mobilisées, le soutien de l’organisation et du personnel rendent difficilement justifiable l’absence de concrétisation. Selon ce principe, plus la responsabilité individuelle et collective dans une décision initiale sont engagées, plus la tendance à renforcer la conduite du projet se manifeste.
L’escalade d’engagement peut ainsi s’analyser comme une tentative de la part des décideurs de justifier des décisions antérieures, par de nouvelles actions allant dans le sens des premières initiatives, alors même que celles-ci se révèlent non pertinentes. Pour les acteurs concernés, il s’agit avant tout de limiter les risques de contradiction entre un choix « impliquant » et la perspective de résultats décevants. L’escalade de l’engagement peut ainsi se voir comme une démarche d’autojustification [Staw, 1976], où il s’agit de protéger son image sociale et professionnelle, en évitant d’admettre officiellement des erreurs d’analyse et de management.
Selon Staw et Ross [1987] les causes de l’escalade d’engagement dans la prise de décision peuvent relever à la fois de facteurs cognitifs (actions non prédictibles) et psychologiques (visibilité sociale du projet) qui sont de nature à entraîner un biais d’évaluation. Sur un plan cognitif, l’escalade de l’engagement peut être liée à la volonté du dirigeant de maintenir une ligne de conduite cohérente et rationnellement valorisante, en présentant une articulation et des liens logiques rassurants. Au niveau psychologique, l’engagement dans une action est d’autant plus important qu’il a été librement choisi et que l’action est officielle. En effet, la visibilité interne et externe du projet, ainsi que son éventuelle médiatisation peuvent rendre l’arrêt du projet délicat. En matière d’engagement, les décideurs doivent aussi tenir compte de facteurs économiques (évaluation des coûts et des bénéfices, retour sur investissements) et organisationnels (allocation de ressources, mobilisation, coordination), dont la justification et l’intensité peuvent conduire à refuser d’admettre un résultat décevant. Dans ce type de situations, les responsables du projet vont chercher à réduire la complexité de la situation (les zones d’incertitude), en cherchant à définir ce que seront les résultats de l’opération et non ce qu’ils pourraient être au vu des informations collectées. Ce mécanisme peut s’expliquer par le fait que la plupart des décideurs préfèrent prendre des risques dans l’espoir d’un gain futur plutôt que d’avoir la certitude d’une perte même modérée, comme nous le révèle la théorie de la perspective [Tversky et Kahneman, 1981].
L’engagement répétitif et irraisonné dans le cadre de la conduite d’une opération de fusions acquisition (évaluation et négociation) peut donc se voir comme un ensemble d’actions / décisions, échelonnées dans le temps, où il s’avère difficile pour le dirigeant et son équipe de se doter d’une rationalité optimale et efficiente, en ayant recours à un processus cerné et maîtrisé (recueil des informations, analyse des données, décisions, plan d’actions). En effet, dans des situations d’incertitude et de prise de risque, les décideurs se voient doter d’une rationalité limitée et auront tendance à accélérer le processus d’engagement en dépit de signaux défavorables. Cette escalade de l’engagement conduit, ainsi à une situation de quasi irréversibilité, compte tenu de l’augmentation des coûts de désengagement, qu’ils soient d’ordres cognitif, financier, psychologique ou social.
Cette réalité aux conséquences parfois destructrices de valeur doit par conséquent amener les acteurs économiques à la plus grande prudence dans l’évaluation de la cible et l’approche des négociations pré-fusion (« Go/no Go »), afin d’éviter la création de relations complexes, qui seront très difficiles à gérer, une fois l’acte d’achat opéré.
Références
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