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Charles Courbet : « Populismes. Échec ou renouveau de la démocratie ? »





Le 12 Juin 2023, par Bertrand Coty interview

Charles Courbet est consultant, spécialisé dans le conseil stratégique en communication et les relations publiques. Diplômé de Sciences Po et HEC Paris, il a co-écrit le rapport Les quartiers pauvres ont un avenir de l'Institut Montaigne et enseigne au CELSA Sorbonne Université. Il publie son premier livre aux Editions Dalloz.


Charles Courbet, vous publiez aux éditions Dalloz, l’ouvrage : « Populismes. Échec ou renouveau de la démocratie ? ». Quel est votre constat à l’origine de ce livre ?

Ce livre est d’abord le fruit d’un constat : le mot « populisme » est omniprésent, depuis plusieurs années déjà, dans le milieu politique et médiatique. Et ce, alors que sa définition ne fait pas consensus, et qu’il semble parfois que chacun est susceptible d’être le « populiste » d’un autre. Le terme est souvent utilisé comme anathème, pour disqualifier son adversaire, tandis que certains assument ce qualificatif. Et dans l’ensemble, les personnalités et partis politiques dits populistes ont de plus en plus de succès, en France comme à l’international. Il me semblait donc intéressant d’étudier le phénomène.

Le livre repose également sur le constat d’un malaise démocratique, qui s’exprime notamment à travers l’abstention croissante des électeurs. En France, ce phénomène n’épargne pas l’élection présidentielle, et frappe de plein fouet les autres scrutins. En 2017 comme en 2022, moins d’un électeur sur deux a voté lors des élections législatives – ce qui n’était jamais arrivé dans notre Histoire. À l’inverse, peut-être parce qu’il clive davantage, le populisme au pouvoir semble réconcilier une partie des citoyens avec les urnes. Aux États-Unis, l’élection présidentielle de 2020, centrée autour du bilan du « populiste » Donald Trump, a été marquée par la plus forte participation depuis plus d’un siècle. D’où cette question : le populisme est-il un échec ou un renouveau pour la démocratie ?

Pouvez-vous en synthèse redéfinir le populisme afin de clarifier cette dénomination aux yeux de nos lecteurs ?

Le populisme prospère dans le rejet de l’ordre établi. C’est pourquoi il est tout d’abord « antisystème » et fonde sa rhétorique autour de la notion de « nous » (le peuple) contre « eux » (le système). Il présente le peuple comme honnête, authentique, et les élites comme corrompues, illégitimes. Sa relation avec les « experts », qu’il rattache aux élites, est souvent conflictuelle. D’autant qu’il se méfie des « technocrates » qui réduisent la primauté du politique.

Le populiste s’exprime au nom du peuple, comme si c’était un bloc homogène. Ceci ne signifie pas qu’il vise à écarter toute opposition. Certains l’accusent toutefois d’être dangereux pour la démocratie dès lors que les contre-pouvoirs et les adversaires sont assimilés au « système » et accusés d’entraver la souveraineté du peuple.

Souvent anti-mondialisation, les courants populistes ont progressé avec l’émergence du « village global » au cours des dernières décennies, car ils lui reprochent de contribuer à la hausse des inégalités sociales, mais aussi de réduire la capacité des États à définir souverainement la politique de la nation. Et ainsi de vider de son sens, en partie, la démocratie. Ces reproches ne sont donc pas seulement de nature économique, mais aussi politique et identitaire. C’est pourquoi, si les perdants économiques de la mondialisation forment le cœur de cible des populistes, un électorat aisé peut également être séduit par ces thèses.

Enfin, le populisme tend à se caractériser par un style, qui vise à se distinguer des élites et du reste de la classe politique. Parfois vulgaire, le populiste cherche a minima à bousculer les convenances. On peut citer, par exemple, les qualificatifs que Donald Trump attribue à ses adversaires, tels que «Hillary la malhonnête » pour Hillary Clinton et « Joe l’endormi » pour Joe Biden.

Qu’est-ce que l’émergence du populisme dit de nos démocraties selon vous ?

Son émergence traduit un désir de davantage de radicalité dans nos sociétés, alors que la mondialisation, les réalités économiques, l’État de droit et les arguments « technocratiques » semblent avoir réduit la marge de manœuvre des responsables politiques. Le populisme se nourrit d’une exaspération, largement partagée, face à l’impuissance — réelle ou perçue — des élus. Ses partisans veulent rendre à la démocratie son efficacité, sa capacité à mettre en œuvre un projet politique et (selon eux) populaire.

La notion d’un peuple trahi par ses élites est déterminante. En ce sens, le populisme peut être interprété comme une « rébellion de la majorité », du moins d’une majorité populaire qui s’identifie comme telle, et qui s’estime lésée par une minorité. Le populisme de gauche tend à associer cette minorité aux élites, aux « riches ». Au-delà des riches, le populisme de droite estime que la majorité populaire est mise en danger par l’essor (permis par les élites) des minorités ethniques et religieuses.

Avez-vous des éléments de solution qui permettraient de contenir ce phénomène ?

Je propose dans mon livre quelques pistes de solution, mais la réponse la plus importante me semble être un recours accru à la démocratie directe et, en particulier, à l’usage – trop rare – du référendum.

Prenons le cas de la France. Aucun référendum n’a été organisé à l’échelon national depuis 2005. Seuls 5 référendums ont été organisés en plus de 50 ans par les présidents de la République qui ont succédé à de Gaulle, alors que le général avait à lui seul été à l’initiative de 4 scrutins (sans compter celui sur la constitution de la Ve République).

Pourtant, les référendums — du moins lorsqu’ils concernent un sujet qui engage réellement le pays — passionnent les électeurs. Sur les trois derniers référendums organisés en France, deux ont avoisiné les 70 % de participation, une performance supérieure à la participation relevée lors des élections législatives depuis trente ans. C’est vrai aussi à l’étranger : le référendum sur le Brexit a davantage mobilisé les électeurs britanniques que toutes les élections générales – qui permettent indirectement de choisir le Premier ministre – depuis 1992.

En revanche, le résultat de ce type de scrutin doit être respecté par le pouvoir politique. Le traité de Lisbonne, qui a repris l’essentiel du traité constitutionnel européen rejeté par les Français (et les Néerlandais) en 2005, est souvent présenté comme une trahison de la volonté populaire. Mais on peut citer également, au niveau local, le référendum sur le projet d’aéroport à Notre-Dame-des-Landes.

Ce projet, soutenu à plus de 55 % par les électeurs de Loire-Atlantique en 2016, a été abandonné malgré tout par le gouvernement en 2018. Le signal envoyé est désastreux pour la démocratie. Il ne peut que nourrir la défiance et favoriser le développement de groupuscules privilégiant la contestation violente.
 




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