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Aucune urgence à suspendre le nouveau dispositif sur les distances de sécurité en matière d’épandage des pesticides





Le 18 Février 2020, par Maître Frédéric Rose-Dulcina

Par une ordonnance du 14 février 2020 [i], le Conseil d’Etat n’a pas suspendu l’exécution de l’arrêté fixant les distances minimales de sécurité pour l’épandage des pesticides malgré la demande d’un collectif de maires. Aucune urgence ne justifie une telle mesure selon les Juges du Palais-Royal.


Aucune urgence à suspendre le nouveau dispositif sur les distances de sécurité en matière d’épandage des pesticides
A rebours des annonces et des engagements des gouvernements successifs depuis plus de dix ans, le recours aux pesticides poursuit sa croissance en France. Les derniers chiffres du Ministère de l’agriculture indiquent que le nombre de doses unités (NODU) de pesticides – indice de l’intensité du recours à ces produits – utilisées en France en 2018 a augmenté de 24 % par rapport à 2017 [ii] . Une telle hausse n’avait jamais été enregistrée depuis la mise en place de cet indicateur, en 2008, dans le cadre du premier plan “Ecophyto” qui devait permettre de réduire de moitié l’usage des pesticides en France en dix ans.
 
Dans ce contexte d’utilisation massive des pesticides en France, l’Etat et certains maires se livrent une bataille juridique depuis plusieurs mois sur la question de l’épandage des pesticides [iii]. La décision rendue par le Conseil d’Etat le 14 février 2020 est le dernier épisode de cette confrontation judiciaire.

En effet, le 21 janvier 2020, un collectif de maires anti-pesticides avait demandé au Conseil d’Etat d’annuler le décret et l’arrêté du 27 décembre 2019 fixant de nouvelles règles pour l’épandage des pesticides [iv] . Mais, dans l’attente d’une décision au fond, ce collectif avait également demandé au juge des référés d’en suspendre l’exécution.

Pour établir l’urgence qui s’attache à la suspension qu’il demande, le collectif requérant invoquait le risque pour la santé qui est inhérent à l’utilisation des produits phytopharmaceutiques.
 
Le Conseil d’Etat, dans la décision susvisée du 14 février 2020, rappelle que ce risque n’est pas contesté par l’administration et fonde l’ensemble de la réglementation européenne et française en la matière, y compris les mesures de protection prévues par l’arrêté attaqué, que le collectif requérant critique comme insuffisantes.
 
Selon le juge des référés, “les éléments avancés sur les dangers de ces produits par le collectif requérant, quel que soit leur bien fondé, ne peuvent dès lors justifier de l’urgence à suspendre comme insuffisantes les mesures établissant des distances minimales de sécurité, que s’ils sont assortis d’éléments de nature à démontrer le risque qui s’attache à l’insuffisance de ces distances minimales pour les personnes concernées”.
 
Or, selon le Conseil d’Etat, pour justifier d’un tel risque, le collectif requérant s’est borné “à critiquer de manière très générale les distances de 5, 10 et 20 mètres et les dérogations qui peuvent y être apportées, en indiquant que de telles distances ne peuvent sérieusement être regardées comme satisfaisant à l’obligation de protection des riverains”.
 
Autrement dit, les risques pour la santé qui résulteraient des distances minimales retenues par l’arrêté ne sont pas suffisamment étayés par les opposants au nouveau dispositif.
 
Pour le Conseil d’Etat, il n’y a aucune situation d’urgence dans la mesure où les distances de 5 mètres et 10 mètres retenues sont les distances minimales préconisées par l’avis de l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail du 4 juin 2019 au vu duquel a été pris l’arrêté, et que la distance de 20 mètres retenue pour l’utilisation de certains produits est le double de la distance minimale préconisée pour ces produits par le même avis.
 
En outre, selon ladite ordonnance, il résulte de cet avis du 4 juin 2019 que, d’une part, plusieurs études et travaux d’évaluation sont en cours sur ce sujet en France comme à l’étranger et, d’autre part, les autres Etats membres de l’Union européenne n’imposent pas à ce jour de distances de sécurité d’application générale supérieures à celles prévues par l’arrêté contesté.

Enfin, selon la Haute juridiction administrative, l’intérêt qui s’attache à l’adoption par les maires au titre de leur pouvoir de police générale des mesures nécessaires au bon ordre, à la sûreté, à la sécurité et à la salubrité publiques ne suffit pas à établir l’urgence à suspendre l’arrêté contesté, dès lors que ce pouvoir de police générale doit s’exercer dans le respect des dispositions législatives qui confient au ministre un pouvoir de police spécial en la matière.
 
Il est utile de rappeler que cette ordonnance du Conseil d’Etat ne tranche pas définitivement le litige opposant l’Etat et ce collectif de maires, ce dernier n’ayant perdu que la première manche de cette bataille judiciaire.
 
En effet, comme le prévoit l’article L.521-1 du code de justice administrative, un recours en annulation reste pendant devant le Conseil d’Etat sur la question de la légalité du nouveau dispositif sur les distances de sécurité en matière d’épandage des pesticides.
 
Le Conseil d’Etat va désormais instruire ce dossier pendant plusieurs mois et il n’est pas rare de voir des décisions administratives annulées au fond alors qu’en référé aucune suspension n’avait été ordonnée pour défaut d’urgence.
 
L’Etat doit donc demeurer prudent face à cette ordonnance de référé qui lui est favorable.
 
Cette prudence est de mise alors que d’autres opposants, tels que Générations futures, France Nature Environnement et UFC-Que choisir, ont également prévu de déposer très prochainement un recours au fond contre le décret et l’arrêté du 27 décembre 2019 précités.
 
Les opposants au nouveau dispositif restent déterminés. Il suffit pour s’en convaincre de se reporter à la réaction auprès de l’AFP de Me Corinne LEPAGE, avocate du collectif des maires anti-pesticides, qui a déclaré à la lecture de la décision du Conseil d’Etat : ”Je suis très déçue mais perdre sur l'urgence c'est moins grave que perdre sur le fond (...). Mais c'est tout de même étrange, un pays qui ne trouve pas d'urgence à limiter le droit à l'empoisonnement »...
 
LEX SQUARED AVOCATS
FREDERIC ROSE-DULCINA
 
 
[i] CE, 14 février 2020, n°437814
[ii]https://agriculture.gouv.fr/quest-ce-que-le-nodu
[iii] https://www.journaldeleconomie.fr/A-qui-appartient-la-reglementation-de-l-usage-des-pesticides-en-France-l-Etat-ou-le-Maire_a8069.html
[iv] JORF n°0302 du 29 décembre 2019, textes n° 78 et 99
 
 


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