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Bruno Vallayer, président de Bertin Technologies : « Il n’y a pas de liberté sans souveraineté ! »





Le 26 Juillet 2023, par La Rédaction

Le 16 mai dernier, le Parlement français adoptait définitivement le projet de loi de relance du nucléaire, faisant gagner du terrain à l’atome. La ministre de la Transition énergétique, Agnès Pannier-Runacher a vanté le succès d’un texte majeur, qui donne l’opportunité à l’Hexagone de « produire une énergie indépendante, compétitive et décarbonée » . Cette production, source d’une souveraineté tant prisée, ne saurait se faire sans le savoir-faire d’un panel d’entreprises technologiques françaises, grands groupes comme PME, avec forcément une dimension de souveraineté et de maîtrise des technologies sur le territoire national. Bertin Technologies est l’une de ces entreprises, son Président Bruno Vallayer a répondu à nos questions.


La France est de notoriété publique en pointe sur les questions de nucléaire civil. Comment la France se positionne-t-elle précisément dans l’écosystème mondial du nucléaire ?
 
La France, avec EDF en chef de file, fait partie des rares pays à maitriser l’ensemble de la chaine de valeur nucléaire, de l’extraction de l’uranium à la construction et l’exploitation des centrales nucléaires, en passant par la maintenance, la gestion des déchets nucléaires et les technologies de sécurité associées. Par ailleurs les technologies développées par la filière française sont les seules à n’avoir jamais eu d’accident majeur.
 
Il faut croire dans le potentiel industriel et technologique français : seuls quatre autres pays, la Chine, la Russie, la Corée du Sud et les États-Unis, disposent de compétences similaires pour exploiter la seule énergie décarbonée susceptible pour l’instant de produire à hauteur des besoins, car il n’y a pas d’autres choix aujourd’hui que d’utiliser le nucléaire. Ça ne sera peut-être plus le cas un jour avec les progrès d’autres sources d’énergie, mais la filière française, emmenée par EDF avec qui nous travaillons, est effectivement l’un des meilleurs au monde pour construire une centrale de A à Z.
 
Est-ce que l’on peut parler de technologies de souveraineté, considérant le rôle que toutes ces technologies jouent pour nos infrastructures nucléaires ? Quels seraient les risques d’une dépendance à des entreprises étrangères sur ces sujets ?
 
Oui bien évidement ce sont des technologies de souveraineté, à partir du moment où l’on considère que la souveraineté est d’apporter aux citoyens français la garantie d’une production nationale d’énergie fiable, pérenne et indépendante.

Ces 30 dernières années d’errements politiques français ont démontré la résistance de cette filière, qui a su résister également au schéma directeur en matière énergétique de l’Allemagne souhaitant nous entraîner dans sa vision antinucléaire. Au moment de relancer la construction de centrales nucléaires, imaginons que nous ayons une partie de ces technologies venant d’outre Rhin… Il est donc vital de pouvoir s’appuyer aujourd’hui sur une filière nationale, en évitant en particulier que des pépites technologiques françaises appartenant à ce domaine souverain passent sous contrôle étranger, perdant ainsi le contrôle de leur stratégie voire de leur savoir-faire. La souveraineté consiste à être autonome et indépendant sur la maitrise, c’est-à-dire la production et l’usage, des technologies critiques. En matière nucléaire, la souveraineté ne souffre pas d’à peu près.
 
Pour ce qui est de Bertin Technologies, nous visons à fournir à EDF et à la filière française une réponse de souveraineté à la problématique de la mesure du rayonnement nucléaire, qui est concomitante à la technologie de production d’électricité, car on ne fait pas de réacteur nucléaire si on n’est pas capable de mesurer précisément les rayonnements. Ce sont de petites valeurs, à l’échelle des montants nécessaires à la construction et au fonctionnement, mais ce sont des technologies critiques dans un domaine où la souveraineté n’est pas complètement assurée pour le moment, ce qui semble être pris de plus en plus au sérieux au sein des états-majors d’EDF.
 
Bertin Technologies est-elle impliquée dans d’autres domaines souverains ?
 
Sur les questions liées à la Défense, dans lequel Bertin réalise une part significative de son chiffre d’affaires, l’approche souveraine n’est pas nouvelle, même si l’invasion de l’Ukraine par la Russie a évidemment servi d’aiguillon collectif. Cette conscience de souveraineté française mais également européenne est au cœur de notre activité de défense qui réalise en particulier des systèmes de détection et de protection. La France, mais aussi l’Europe, sortent enfin de leur angélisme sur les sujets de souveraineté. Il était temps, alors que le sujet n’est pas nouveau : en matière d’énergie ou de technologies de défense, mais aussi de médicaments ou de composants électroniques, il n’est pas possible de compter sur la production de pays qui peuvent demain décider d’interrompre leurs livraisons à la première crise majeure.  Réindustrialisation et souveraineté énergétique sont donc les deux faces d’une même pièce, sachant qu’on ne réindustrialisera pas sans une production d’électricité fiable et abondante, économiquement et écologiquement supportable. Je suis attaché à notre devise nationale, et il n’y a pas de liberté sans souveraineté !
 
Bertin est fournisseur D’EDF sur plusieurs sujets. Comment se passe cette collaboration ?
 
La nature même de nos activités, notamment le domaine du nucléaire civil, nous conduit à travailler avec EDF, qui est le plus gros acheteur mondial de systèmes nucléaires. Nous leur fournissons du matériel de détection nucléaire, dit de radioprotection, un terme consacré pour protéger le personnel dans les centrales nucléaires, ou pour surveiller le risque de contamination nucléaire dans l’environnement, ou encore des systèmes de surveillance dans les bâtiments-réacteurs, qui surveillent le niveau de radioactivité dans le process de fabrication.
 
Suivant les années, la place d’EDF varie mais reste toujours dans le top 3 de nos clients. Pour Bertin ce marché est stratégique, alors que pour EDF, au regard des sommes mises en œuvre, c’est une goutte d’eau en termes de budget, si je peux me permettre. Cependant, compte tenu des enjeux associés en termes de sécurité des personnes et de l’environnement, c’est un sujet très critique pour la filière nucléaire. Le client EDF représente à lui seul 40 % de notre activité dans le domaine du nucléaire civil. Les 60 % restants sont réalisés avec d’autres acteurs mondiaux, ce qui nous permet d’être présents sur un marché pourtant contrôlé majoritairement par des sociétés américaines.
 
La souveraineté française en matière de radioprotection et de mesure de radioactivité a été néanmoins mise en difficulté ces dernières années avec le rachat par des fonds américains de sociétés françaises dépositaires d’un savoir-faire développé avec EDF et le CEA : le leader mondial dans le domaine de la radioprotection et de la mesure de la radioactivité est en effet une entreprise américaine qui a racheté récemment plusieurs sociétés d’excellence françaises, écrasant toute la concurrence. Mais Bertin fait partie des entités françaises qui tiennent bon, notamment grâce à l’indépendance de son actionnariat français, meilleure garantie du maintien d’une souveraineté française dans le nucléaire civil.
 
Le retour en grâce du nucléaire risque d’assécher les viviers d’ingénieurs. Comment attire-t-on et fidélise-t-on des profils devenus rares dans les entreprises de taille intermédiaire ?
 
Notre politique de fidélisation de nos ingénieurs passe par trois axes : intérêt du job (haute technologie et variété des sujets liés à la souveraineté nationale), rapide mise en responsabilité et intéressement aux résultats. Nous avons la chance d’être détenus par un fonds français qui souhaite associer les collaborateurs à l’avenir de l’entreprise, plus de 50% de nos équipes ayant d’ailleurs investi dans le fond commun de placement que nous venons de clôturer. Bertin Technologies est l’entreprise parfaite pour un jeune ingénieur ayant le goût de l’autonomie, des responsabilités, et de « l’aventure entrepreneuriale », autant de sujets sur lesquels les ETI présentent souvent plus d’attraits que les grands groupes.
 
L’ingénieur français est-il particulier et différent de ses homologues US, chinois, japonais ou indiens ? Peut-on dire qu’il existe une culture ingénieur et « Tech » spécifiquement française ?
 
La qualité des ingénieurs français est reconnue internationalement pour leur capacité à conceptualiser et traiter des problèmes complexes, nous les retrouvons d’ailleurs dans de nombreuses boites de tech par-delà le monde. A delà de cette reconnaissance de ce que l’on peut qualifier de hard skills, il est primordial que cet ingénieur français soit aussi capable de présenter son projet, ce que les Anglo-saxons appellent les soft skills, domaine dans lequel eux excellent. L’ingénieur français sait s’exprimer correctement en français et en anglais, mais il est encore en retard sur les techniques de communication, car savoir prendre la parole pour « vendre » ou défendre ses techniques et ses compétences est toujours un avantage entrepreneurial et économique majeur. C’est donc aux écoles d’ingénieurs et aux universités d’intégrer cette notion dans leur formation, comme c’est déjà le cas dans certaines d’entre elles.
 
Par ailleurs nous incitons fortement les jeunes ingénieurs à se lancer des carrières vraiment techniques, pouvant aller jusqu’au Doctorat qui est une très bonne école de formation, à l’issue de leurs études. L’industrie a surtout besoin de compétences pointues et techniques. Le management, les MBA, c’est très bien mais ça peut venir après, une fois qu’on a vraiment posé et acquis une expertise et une expérience. Et commencer chez Bertin, c’est une bonne façon d’allier tout ça avec peut être en plus un petit supplément d’âme entrepreneurial.

(*) https://www.francetvinfo.fr/societe/nucleaire/energies-le-parlement-adopte-definitivement-la-loi-de-relance-de-la-filiere-nucleaire_5828030.html
 



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