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Carine Azzopardi : « Quand la peur gouverne tout »





Le 20 Septembre 2023, par Bertrand Coty interview

Carine Azzopardi est diplômée de l’ESJ-Lille, elle commence sa carrière au sein de la chaîne France 3
pour laquelle elle couvre les attentats du 11 septembre 2001 à New-York. Le 13 novembre 2015, elle perd son compagnon, père de ses deux filles au Bataclan. Elle est journaliste à France Télévisions.


éditions PLON
éditions PLON
Carine Azzopardi, dans votre livre paru aux éditions Plon, : « Quand la peur gouverne tout », vous analysez les liens entre Wokisme et islamisme. Pouvez-vous nous exposer en synthèse votre analyse ?

« Wokisme » est un mot venu des États-Unis qui est utilisé depuis peu dans l’hexagone, et qui est extrêmement clivant dans le débat public, entre ses partisans et ceux qui l’utilisent comme anathème sans parfois savoir exactement de quoi il en retourne. Je voulais déjà analyser l’histoire de ce terme, et de son utilisation, et expliquer pourquoi il suscitait autant la polémique.

Savoir aussi, comme toute notion, s’il était réellement relié à un mouvement de pensée, avant d’analyser ce mouvement de pensée. Une fois cette démarche effectuée, j’avais comme intuition de nombreux angles morts par rapport à l’islamisme, qui est aussi une idéologie que l’on peut définir très précisément. Au départ, ce n’était que des intuitions, mais au fur et à mesure de mes recherches, j’ai compris à quel point ces différentes thématiques étaient reliées entre elles.

Le wokisme, et ses acteurs, en étant totalement aveugles par rapport au phénomène de l’islamisme, en favorisent la progression, et je démontre comment. Par ailleurs, certains courants islamistes qui s’étendent en Europe et en Amérique, par exemple celui des Frères musulmans, mais pas seulement, ont bien compris tout l’intérêt qu’il y avait à se glisser dans les thématiques du wokisme pour y faire progresser, ni vu ni connu, leur agenda politique.

Quels thèmes sont les plus frappants de ce lien du wokisme avec les intégrismes ?

Cette progression, une thématique en est par exemple emblématique, et je l’analyse dans un long chapitre : c’est l’islamophobie. Le terme lui-même avait d’ailleurs très bien été analysé par Charb, dans un texte auquel il a mis le point final deux jours avant d’être exécuté (« Lettre aux escrocs de l’islamophobie qui font le jeu des racistes »).

Aujourd’hui, ce texte a le plus grand mal à être joué dans les théâtres, et je ne parle même pas des universités. Pour moi, ce blocage est emblématique. L’islamophobie est une notion bien pratique pour les islamistes pour éviter toute critique de l’islamisme, et de l’intégrisme. Dans les courants wokes, elle est aussi largement utilisée, sans jamais être remise en question : elle est entrée dans le vocabulaire courant, et gare à qui remet en cause ce présupposé : il se fait immédiatement traiter de raciste. Se censurer, c’est éviter le choc, par peur.

En cela, les attentats terroristes ont bien atteint leur cible. Je ne suis pas de ceux qui disent « qu’ils n’ont pas gagné ». La peur a gagné dans les esprits, et se marrie très bien avec le wokisme, dont le nouveau mouvement antiraciste fait partie, qui joue également sur les peurs – principalement celle de ne pas être « à la page », d’être « réactionnaire », de « faire le jeu de l’extrême droite ».  

Selon vous, la liberté d’expression est-elle durablement affectée par ce courant ?

Il faut regarder ce qui se passe outre-Atlantique actuellement. Les États-Unis et le Canada sont largement en avance sur nous concernant ce phénomène. Et en effet, la liberté d’expression est atteinte. J’analyse d’ailleurs cette auto-censure et cette censure dans mon premier chapitre, car c’est le premier point commun entre l’islamisme et le wokisme que j’ai vu émerger, et le plus visible. Et ce qui est fou, c’est qu’aux États-Unis, ce sont des réfugiés de l’Union soviétique, ou des réfugiés chinois, qui les premiers tirent la sonnette d’alarme.

Les processus en cours leur rappellent l’URSS et la Chine communiste. Il y a une forme de blasphème à contester un nouvel ordre de pensée qui va jusqu’à modifier le vocabulaire utilisé dans certaines universités, comme il y a de très fortes pressions sur la reconnaissance du délit de blasphème (le vrai, celui-là) par les courants intégristes de l’islam à l’œuvre dans les organisations internationales. Et comme l’islam se retrouve de fait mis par le courant woke, dans le camp des « opprimés », pas question d’examiner la progression du second, ce serait « islamophobe ».

Alain se demandait « quels remèdes nous guériront de craindre ». En avez-vous une idée ?

Ce qui est grignoté peu à peu dans le débat intellectuel, c’est le libre-échange d’idées, et c’est la base de nos démocraties. Je ne prétends pas être une intellectuelle ni encore moins avoir de solution à des phénomènes d’une telle importance. Ceux qui alertent sur la qualité du débat public sont très peu nombreux, et assez souvent balayés d’un revers de main tant les courants à l’œuvre sont puissants.

Cela me rappelle la solitude que j’avais éprouvée lorsque nous n’étions que quelques journalistes, marginaux, à travailler sur le réchauffement climatique il y a vingt ans. Le même déni est à l’œuvre, et il est puissant. Ce qui importe, c’est de revenir à l’esprit de Descartes (traité de philosophe « blanc » par le wokisme, donc à jeter avec l’eau du bain) : j’exprime des idées, j’avance des arguments, comme d’autres l’ont fait, et il est crucial de faire progresser le débat sur le fond de ces idées. Si je me trompe, je serai la première à le reconnaître.

C’est comme cela qu’on fait avancer le débat. Mais il est important qu’on retrouve ce libre-échange d’idées, d’arguments, pour construire un avenir commun, et résister face aux intégrismes. Sinon, ce sera chacun dans son coin avec sa croyance, et une société atomisée en communautés façon puzzle.

 



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