Journal de l'économie

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Contrôle de la vérité, démocratie et ambiguïté, une analyse de Gaël Chesné





Le 23 Septembre 2021, par Lauria Zenou

Auteur de l'ouvrage "Le Contrôle de la Vérité", Gaël Chesné a pu observer les rouages de cet outil du pouvoir alors qu'il était journaliste. Professeur d'histoire des médias à l'Institut Catholique de Rennes, il analyse les liens entre notre démocratie et le désir de "contrôler la vérité" par les classes dirigeantes. Il montre qu'avoir le pouvoir c'est aussi être capable de remodeler l'Histoire pour asseoir son influence. Décryptage...


Cette problématique vous intéresse? Ecoutez le Podcast VA-DE MECUM sur l'ouvrage de Gaël Chesné


Nous l’avons observé durant les quinquennats précédents. L’expression du mécontentement des citoyens n’est pas nécessairement prise en compte. Les hommes et les femmes au pouvoir sont-ils capables d’entendre une vérité qui ne serait pas la leur ?

Ils en sont capables, dans l’absolu. Mais le veulent-ils ? Le peuvent-ils ? Jusqu’à présent, ils ne se sont guère illustrés en ce sens. Le ras-le-bol de la population s’est pourtant déjà clairement exprimé, dans les urnes et dans la rue. Dans les urnes : comme en 2005, lorsque les électeurs dirent non à près de 55% au traité constitutionnel de l’Union européenne pour signifier leur refus du bât libéral, dans une Europe ouverte à une immigration démesurée et à la spoliation du « village monde » ; et dans la rue : comme en 2018 et en 2019, lorsque les citoyens protestèrent en Gilets Jaunes par millions, sur les ronds-points et dans les artères des métropoles, contre leur avilissement continu, contre la violence persistante de l’État et de ses élites, défenseurs de la nation européenne et globale plutôt que de la nation nationale.
Mais en ces deux occurrences, le pouvoir dénia leur expression. Deux ans après le référendum de 2005, le gouvernement de M. Sarkozy ratifia au Parlement le traité jumeau de Lisbonne pour corriger l’erreur des votants ; et en 2018 et 2019, le pouvoir disloqua-t-il le mouvement des Gilets Jaunes par la force des mots et la force du poing ensuite. Il me semble que toute cette classe dirigeante est prise au piège de l’endogamie, admirablement décrit par Taine comme suit : « Leur cercle est trop étroit et trop soigneusement clos. Enfermés dans leurs châteaux et leurs hôtels, ils n’y voient que les gens de leur monde, ils n’entendent que l’écho de leurs propres idées, ils n’imaginent rien au-delà (…) Ils ne comprennent rien au vaste monde qui enveloppe leur petit monde. »

Les nouvelles technologies sont-elles un moyen d’atténuer ce problème ou, au contraire de l’aggraver ?

Tout dépend de ce que l’on fait de la technique. Il ne faut pas craindre la technologie en ce qu’elle est. Il faut craindre l’usage que nous en avons. Nous savons, depuis un certain temps déjà, que les écrans, par exemple, provoquent des formes graves d’addiction, des troubles du sommeil, de la désynchronisation, des modifications cérébrales, en particulier chez les plus jeunes. Nous savons aussi que les camelots de ces objets en interdisent l’emploi à leurs enfants et préfèrent les scolariser dans des établissements « déconnectés ». Je pense que ces objets, et notre emploi, nous rendent dépendants et que nous allons toujours vers un usage croissant. Comme l’a dit Bernanos : « Un monde gagné pour la Technique est perdu pour la Liberté ».

Les fictions notamment après la seconde guerre mondiale ou la guerre froide, ont influencé les mentalités. Jusqu’à quel point, la fiction a-t-elle pu influencer le réel ?

Un exemple à ce titre me paraît suffisamment éloquent. Je songe à la perception en France de l’identité des vainqueurs de la Deuxième Guerre mondiale. D’après l’enquête dirigée par l’IFOP, en 1945, les sondés répondirent à 57% l’URSS et à 20% les États-Unis ; en 2004, ils répondirent à 58% les États-Unis et à 20% l’URSS. En soixante-neuf ans, l’opinion s’était inversée : ce qu’elle tenait pour vrai en 1945 ne l’était plus en 2004. Les vingt millions de morts russes avaient été dépassés par les trois cent mille morts américains ; les batailles de Stalingrad, Moscou et Leningrad avaient été dépassées par le débarquement de Normandie. En soixante-neuf ans, la machine de guerre hollywoodienne avait réécrit une nouvelle vérité. Napoléon disait : « l’histoire est un conte sur lequel tout le monde s’accorde ». Voilà un conte autour duquel chacun s’entend aujourd’hui.

Existe-t-il des moyens d’endiguer ce désir de contrôler la vérité ? Celui-ci n’est-il pas un chemin vers l’autoritarisme ?

La démocratie est censée se prémunir de ce « pâle objet du désir » qui, telle une tumeur, la métastase. Ce qu’il faut faire est simple. J’évoque dans le livre une expression de Nietzsche, dans Ainsi parlait Zarathoustra : « la maison des fous ». « Qui a d’autres sentiments [que les sentiments du dernier homme] va de son plein gré dans la maison des fous. » La maison des fous cela signifie : là où, dans un système, il est irrationnel d’aller. Qu’est-ce que cela veut dire en pratique ? Cela veut dire :
  • Sur un plan individuel : se détacher tant que peu des objets connectés, des écrans ; renoncer à la novlangue ; rejeter le confort de la récréation et du délassement comme horizons permanents.
  • Sur un plan collectif : restaurer la Ve République, telle qu’elle fut établie par M. De Gaulle et M. Debré, en cohérence avec notre histoire, notre culture, notre territoire ; abroger tous les textes qui attisent ce pâle objet du désir afin de rendre libres et audibles toutes les vérités, toute la diversité des voix, la majorité des voix.



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