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Autorisation d’urbanisme : son délai d’instruction est aussi interrompu par une demande d’une pièce ne comportant pas toutes les informations exigibles, selon le Tribunal administratif de Versailles





Le 4 Octobre 2023, par Frédéric Rose-Dulcina

Par une décision en date du 15 septembre 2023, le Tribunal administratif de Versailles a jugé que le délai d’instruction d’une demande d’autorisation d’urbanisme est interrompu par une demande portant sur une pièce exigible figurant au dossier mais qui ne comporte pas l'ensemble des informations requises par le code de l’urbanisme (TA Versailles, 15 septembre 2023, n°2105493). Ce jugement est très critiquable au regard de la jurisprudence du Conseil d’Etat.


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Par une décision de principe du 9 décembre 2022, le Conseil d’Etat a jugé qu’une demande de pièce complémentaire illégale, car ne relevant pas de celles listées par le code de l’urbanisme, n’interrompt pas le délai d’instruction du dossier et ne fait pas obstacle à la naissance d’une décision implicite d’acceptation (CE, 9 décembre 2022, n°454521, publié au recueil Lebon). Cet arrêt constitue un revirement jurisprudentiel puisque le Conseil d’Etat avait jugé par le passé que si l'illégalité d'une demande de l'Administration au pétitionnaire tendant à la production d'une pièce complémentaire qui ne peut être requise est de nature à entacher d'illégalité la décision tacite d’opposition prise en application de l'article R. 423-39 du code de l'urbanisme, elle ne saurait avoir pour effet de rendre le pétitionnaire titulaire d'une décision implicite de non-opposition (CE, 9 décembre 2015, n°390273, mentionné aux tables du recueil Lebon).

Autrement dit, le pétitionnaire n’était pas en mesure de se prévaloir d’une autorisation d’urbanisme tacite en invoquant l’illégalité de la demande de pièces complémentaires puisque cette dernière prorogeait le délai d’instruction. Avec son arrêt du 9 décembre 2022, les Juges du Palais-Royal ont donc opéré un revirement de jurisprudence en sanctionnant les demandes de pièces complémentaires illégales. Cet arrêt a immanquablement marqué un coup d’arrêt aux demandes de pièces complémentaires infondées.

Un récent jugement du TA de Versailles vient néanmoins semer le trouble sur cette question des demandes de pièces complémentaires en jugeant que le délai d’instruction d’une demande d’autorisation d’urbanisme est interrompu par une demande portant sur une pièce exigible figurant au dossier mais qui ne comporte pas l'ensemble des informations requises par le code de l’urbanisme.

En l’espèce, M. B. a déposé, le 19 février 2021, une demande de permis de construire pour des travaux d'extension d'un bâtiment à usage d'habitation et la démolition d'un bâtiment annexe sur une parcelle classée en zone UC du plan local d'urbanisme (PLU). Par un arrêté du 4 juin 2021, le maire de Chatou a refusé cette demande au motif que le projet n'était pas conforme aux dispositions des articles UC 8.1, UC 11.1 et UC 11.3 du PLU. M. B. a alors demandé au Tribunal administratif de Versailles d'annuler cet arrêté.

Ce tribunal rappelle qu’il résulte des articles L. 423-1, L. 424-2, R. 423-19, R. 423-22, R. 423-23, R. 423-38, R. 423-41, et R. 424-1  du code de l'urbanisme “qu'à l'expiration du délai d'instruction tel qu'il résulte de l'application des dispositions du chapitre III du titre II du livre IV du code de l'urbanisme relatives à l'instruction des déclarations préalables, des demandes de permis de construire, d'aménager ou de démolir, naît une décision de non-opposition à déclaration préalable ou un permis tacite. En application de ces dispositions, le délai d'instruction n'est ni interrompu, ni modifié par une demande, illégale, tendant à compléter le dossier par une pièce qui n'est pas exigée en application du livre IV de la partie réglementaire du code de l'urbanisme. Dans un tel cas, une décision de non-opposition à déclaration préalable ou un permis tacite naît à l'expiration du délai d'instruction, sans que la demande du service instructeur puisse y faire obstacle”. Ce passage est la reprise in extenso du considérant de principe de l’arrêt du Conseil d’Etat susvisé du 9 décembre 2022.

Mais, ce tribunal ajoute dans ce même jugement qu’” à l'inverse, le délai d'instruction est interrompu, non seulement par une demande tendant à compléter le dossier par la production d'une pièce manquante, si celle-ci est exigée en application du livre IV de la partie réglementaire du code de l'urbanisme, mais également par une demande portant sur une pièce exigible figurant au dossier mais qui ne comporte pas l'ensemble des informations requises par les dispositions réglementaires de ce même livre”. Or, si les demandes de pièces complémentaires étaient injustifiées pour la plupart d’entre elles, “ il est constant que le plan de masse joint au dossier de demande de permis ne comporte pas le report des angles de prise de vue des photographies PC7 et PC8 annexées au dossier. Ainsi, le plan de masse ne comportait pas l'une des informations exigées par les dispositions […] du dernier alinéa de l'article R. 431-10 du code de l'urbanisme. Par suite, et alors même que ces indications figuraient, par ailleurs, sur le plan de situation du terrain, la demande du 10 mars 2021 du service instructeur tendant à compléter, sur ce point, le plan de masse, a interrompu le délai d'instruction de la demande de permis de construire de M. B., sans qu'ait d'incidence la circonstance que cette demande de pièces en tant qu'elle porte sur les autres éléments mentionnés au point 5 aurait été illégale. Dès lors, d'une part, M. B n'est pas fondé à soutenir que, le 4 juin 2021, date de la décision en litige, il était titulaire d'un permis tacite et, d'autre part, l'arrêté contesté constitue une décision de refus de permis de construire et non une décision de retrait d'un permis tacite”.

Ce jugement du TA de Versailles est, à notre sens, très largement critiquable car il atténue considérablement la portée de la jurisprudence récente du Conseil d’Etat du 9 décembre 2022 quant à la sanction des demandes de pièces complémentaires illégales mais aussi la jurisprudence relative au contenu des dossiers de demande de permis de construire. La circonstance qu’un dossier de demande de permis de construire ne comporterait pas l’ensemble des documents exigés par les dispositions du code de l’urbanisme, ou que les documents produits seraient insuffisants, imprécis ou comporteraient des inexactitudes, n’est susceptible d’entacher d’illégalité le permis de construire qui a été accordé que dans le cas où les omissions, inexactitudes ou insuffisances entachant le dossier ont été de nature à fausser l’appréciation portée par l’autorité administrative sur la conformité du projet à la réglementation applicable (CE, 3 janvier 2015, n° 393134, mentionné aux tables du recueil Lebon).

Autrement dit, le juge administratif se montre pragmatique en considérant que si l’Administration a pu instruire de manière satisfaisante une demande de permis de construire, les manquements du pétitionnaire quant au caractère complet de son dossier de demande de permis de construire ne doivent pas être sanctionnés. Le TA de Versailles aurait dû, selon nous, adopter le même raisonnement dans l’affaire ici commentée. Puisque la pièce défaillante du dossier de demande de permis de construire était compensée par une autre pièce du dossier de demande, les juges versaillais auraient très bien pu admettre que le délai d'instruction de la demande de permis n’a pas été interrompu par la demande de pièces complémentaires du service instructeur (de telle sorte qu’un permis de construire tacite est né) ! Ce jugement du TA de Versailles est donc fragile d’un point de vue juridique et pourrait être infirmé en cas d’appel. C’est d’ailleurs notre souhait si la Cour administrative d’appel de Versailles venait à être saisie…

Frédéric ROSE-DULCINA
Spécialiste en droit public et en RSE
DEA Droit public des affaires
DESS Droit de la construction et de l'urbanisme
LEX SQUARED AVOCATS
 
 
 


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