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La démolition des ouvrages publics irréguliers : le Conseil d’Etat met définitivement à mal le célèbre adage « ouvrage public mal planté ne se détruit pas »





Le 23 Janvier 2020, par Frédéric Rose-Dulcina


Le 29 novembre 2019 (1) le Conseil d’Etat a rendu une décision qui ordonne « au ministre de la Culture de démolir les deux bâtiments à usage de locaux d’enseignement supérieur implantés dans les jardins de l’Ecole nationale supérieure des Beaux-arts avant le 31 décembre 2020 ». Cette décision de justice est le fruit d’une bataille menée depuis 2012 par François-Henri Pinault.


WIcommons.wikimedia
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Le 14 août 2001, un arrêté autorise la construction de ces bâtiments provisoires d’une surface de 1 036 m² dans les jardins de l’Ecole nationale supérieure des Beaux-arts, sur lesquels François-Henri Pinault a vue. En avril 2012, las de ces préfabriqués, ce dernier envoie trois courriers demandant au ministre de la Culture et de la Communication, au directeur de l’Ecole nationale supérieure des Beaux-arts et au directeur de l’Ecole nationale supérieure d’architecture de Paris-Malaquais de procéder à l’enlèvement de ces bâtiments. N’obtenant pas de réponse, il s’adresse au Tribunal administratif de Paris qui rejette ses demandes en décembre 2013. François-Henri Pinault se tourne alors vers la Cour administrative d’appel de Paris, mais elle rejette aussi l’appel qu’il a formé contre ce jugement. Après ces deux revers, l’homme saisit le Conseil d’Etat qui vient de lui donner gain de cause.
 
En effet, dans son récent arrêt, les juges du Palais-Royal, initialement saisis d'un recours pour excès de pouvoir, enjoignent la démolition de ces bâtiments, au départ provisoires, car irrégulièrement implantés dans l’enceinte de l’École nationale supérieure des Beaux-arts.

Dans ses conclusions, le rapporteur public Guillaume Odinet avait expliqué que le contentieux en cause était tourné vers l’injonction, et qu’il s’agissait « moins d’un contentieux de légalité qu’un contentieux de défense, sinon d’un droit, du moins d’un intérêt - c’est-à-dire une action en démolition, que le juge civil rattache à une action en responsabilité ou en défense du droit de propriété », et conclu que « pour la cohérence d’ensemble du régime juridictionnel de ce type d’action », le Conseil devait admettre « qu’il s’agit d’un contentieux de pleine juridiction », et « préciser que le juge peut être saisi directement de conclusions tendant à ce qu’il ordonne la démolition d’un ouvrage public » et non plus de l’annulation.

Suivant les conclusions du rapporteur public, la Haute Juridiction administrative considère que « lorsqu'il est saisi d'une demande tendant à ce que soit ordonnée la démolition d'un ouvrage public dont il est allégué qu'il est irrégulièrement implanté par un requérant qui estime subir un préjudice du fait de l'implantation de cet ouvrage et qui en a demandé sans succès la démolition à l'administration, il appartient au juge administratif, juge de plein contentieux, de déterminer, en fonction de la situation de droit et de fait existant à la date à laquelle il statue, si l'ouvrage est irrégulièrement implanté, puis, si tel est le cas, de rechercher, d'abord, si eu égard notamment à la nature de l'irrégularité, une régularisation appropriée est possible, puis, dans la négative, de prendre en considération, d'une part les inconvénients que la présence de l'ouvrage entraîne pour les divers intérêts publics ou privés en présence, notamment, le cas échéant, pour le propriétaire du terrain d'assiette de l'ouvrage, d'autre part, les conséquences de la démolition pour l'intérêt général, et d'apprécier, en rapprochant ces éléments, si la démolition n'entraîne pas une atteinte excessive à l'intérêt général ».
 
En premier lieu, selon le Conseil d’Etat, il résulte de l'instruction que les deux bâtiments temporaires autorisés par l'arrêté du 14 août 2001 pour une durée de quatre ans devaient être démontés au terme cette durée. Ces ouvrages ayant été maintenus sans autorisation au-delà de ce délai, ils sont irrégulièrement implantés.

Ainsi, après avoir affirmé l’irrégularité de l’ouvrage public, le Conseil devait donc juger de l’opportunité de la démolition de l’ouvrage contesté.
 
A ce titre, en deuxième lieu, il note que l’accord n’a été donné qu’en raison du caractère provisoire de l’ouvrage, et déclare « eu égard à l’atteinte qu’ils portent au caractère et à l’intérêt des monuments historiques et du site sur dans lequel ils sont implantés, un permis de construire ne saurait être délivré en vue de l’édification de tels bâtiments sans méconnaitre les dispositions du règlement du plan local d’urbanisme de la ville de Paris », et conclut à l’impossibilité de régulariser.

En troisième lieu, le Conseil d’Etat devait donc rechercher les inconvénients que la présence de l’ouvrage entraine pour les divers intérêts publics ou privés en présence. Sur ce point, il note que le maintien de ces bâtiments préfabriqués en acier et en verre installés entre le palais des études et le jardin de l’hôtel de Chimay de l’École nationale supérieure des Beaux-Arts, classée au titre des monuments historiques, porte une atteinte substantielle à l’intérêt et au caractère de leur site d’implantation et de leur environnement proche et présente ainsi un inconvénient majeur pour l’intérêt public qui s’attache à la préservation du patrimoine.
 
En dernier lieu, après avoir recherché les inconvénients de la présence de l’ouvrage, il s’agissait de déterminer les inconvénients à démolir l’ouvrage public. Selon les Juges du Palais-Royal, il ne résulte pas de l’instruction que la continuité du service public de l’enseignement supérieur rendrait indispensable le maintien de ces ouvrages.

À la suite de cette mise en balance, le Conseil d’Etat a admis que la démolition des ouvrages litigieux ne saurait être regardée comme entraînant une atteinte excessive à l’intérêt général et a ainsi ordonné leur destruction.
 
Cette décision de justice du Conseil d’Etat en date du 29 novembre 2019 confirme définitivement que le vieil adage « ouvrage public mal planté ne se détruit pas » [2] n’a aujourd’hui plus lieu d’être [3].
 
 
LEX SQUARED AVOCATS
FREDERIC ROSE-DULCINA
 
[1] 29 novembre 2019, n° 410689, publié au Lebon
[2] 7 juillet 1853, Robin de la Grimaudière, S.1854, page 213
[3] Voir aussi en ce sens : CE, 19 avril 1991, n° 78275 ; CE, sect., 29 janvier 2003, n° 245239


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