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Laïcité : selon le Conseil d'État, l'abaya ou le qamis serait devenu un vêtement cultuel d’affirmation





Le 13 Septembre 2023, par Frédéric Rose-Dulcina

Par une ordonnance du 7 septembre 2023, le juge du référé-liberté du Conseil d’État a estimé que le port de l’abaya ou du qamis à l’école constitue une tenue manifestant ostensiblement une appartenance religieuse au sens de la loi du 15 mars 2004 (CE, 7 septembre 2023, n°487891).


Cette rentrée scolaire a été chahutée médiatiquement pour le nouveau ministre de l'Éducation nationale, Gabriel Attal. Avant la reprise des cours dans les établissements publics scolaires, il a affirmé que les abayas et qamis ne seraient désormais plus admis au sein des écoles, lycées et collèges publics dont il a la charge.

Les abayas, ces longues robes que portent certaines jeunes filles (et les qamis, longues tuniques portées par les hommes), seraient, selon lui, un signal d'appartenance religieuse. Ce qui est prohibé par la loi du 15 mars 2004. Il entendait ainsi mettre fin à la situation compliquée de quelques chefs d'établissements qui n'avaient reçu aucune consigne claire, jusqu’à présent, de la rue de Grenelle sur cette question. Gabriel Attal a ainsi publié le 31 août 2023 une note de service pour qualifier les qamis et abayas de vêtement cultuel manifestant ostensiblement une appartenance religieuse. Dès lors, cette note invitait les chefs d’établissement à refuser systématiquement qu’un élève entre en classe revêtu d’un tel vêtement.

Des voix de gauche hurlent au retour à la police du vêtement, d'autres du côté de la droite et de l'extrême droite se félicitent de cette clarification. Comme souvent en la matière,  il appartenait au juge administratif de trancher juridiquement ce débat.

Le Conseil d'État a en effet été récemment saisi par une association ("Action droits des musulmans") pour qu’il suspende l’exécution de la décision du ministre confirmée par la note de service susvisée portant interdiction du port du qamis et de l'abaya au sein de l'école publique. Quelle a été sa position ? Avant de revenir sur celle-ci, un bref retour en arrière s'impose s'agissant de la jurisprudence administrative en la matière.

Pour le Conseil d'État, il résulte de l'article L. 141-5-1 du Code de l'éducation (issu de l'article 1er de la loi du 15 mars 2004) que, "si les élèves des écoles, collèges et lycées publics peuvent porter des signes religieux discrets, sont en revanche interdits, d'une part, les signes ou tenues, tels notamment un voile ou un foulard islamique, une kippa ou une grande croix, dont le port, par lui-même, manifeste ostensiblement une appartenance religieuse, d'autre part, ceux dont le port ne manifeste ostensiblement une appartenance religieuse qu'en raison du comportement de l'élève" (CE, 5 décembre 2007, n°295671, publié au recueil Lebon).

S'agissant d'un bandana couvrant la chevelure d'une élève que cette dernière portait en permanence et qu'elle-même et sa famille avaient refusé d'y renoncer, le Conseil d'État a considéré qu'il était possible de déduire de ces constatations que cette élève avait manifesté ostensiblement son appartenance religieuse par le port de ce couvre-chef et avait ainsi méconnu l'interdiction posée par la loi.

Cette jurisprudence est inchangée depuis 2007 (CE, 19 mars 2013, n°366749 ; CE, 10 juin 2009, n°306833). Au vu de la constance de cette jurisprudence administrative, la dernière décision du Conseil d'État sur les abayas et qamis n'est en réalité une surprise pour personne (en tout cas, pas pour les juristes). Après avoir rappelé le considérant de principe de sa jurisprudence susvisée de 2007, le Conseil d'État précise " il résulte de l'instruction que les signalements d'atteinte à la laïcité liés au port de signes ou de tenues méconnaissant les dispositions de l'article L.141-5 1 du code de l'éducation dans les établissements d'enseignement publics ont connu une forte augmentation au cours de l'année scolaire 2022-2023, avec 1 984 signalements contre 617 au cours de l'année scolaire précédente.

Il résulte des éléments versés à l'instruction et notamment des indications données lors de l'audience de référé que ces signalements ayant trait, en grande majorité, au port par des élèves d'écoles, de collèges et de lycées publics de tenues de type abaya, terme dont les représentants de l’administration ont indiqué au cours de l'audience qu'il doit s'entendre d'un vêtement féminin couvrant l'ensemble du corps à l'exception du visage et des mains, ou qamis, son équivalent masculin, et que le choix de ces tenues vestimentaires s'inscrit dans une logique d'affirmation religieuse. Le ministre fait à cet égard valoir que le port de ces vêtements s'accompagne en général, notamment au cours du dialogue engagé, en application des dispositions législatives précitées, avec les élèves faisant le choix de les porter, d'un discours mettant en avant des motifs liés à la pratique religieuse, inspiré d'argumentaires diffusés sur des réseaux sociaux".

En conséquence, selon lui, "dans ces conditions et en l'état de l'instruction, il n'apparait pas qu'en estimant que le port de ce type de vêtements, qui ne peuvent être regardé comme étant discrets, constitue une manifestation ostensible de l'appartenance religieuse des élèves concernés méconnaissant l'interdiction posée par les dispositions de l'article L.145-5-1 du code de l'éducation et en invitant les chefs d'établissement, lorsque l'élève n'y a pas renoncé à l'issue d'une phase de dialogue, à engager une procédure disciplinaire, le ministre de l’Éducation nationale et de la Jeunesse aurait porté une atteinte grave et manifestement illégale au droit au respect de la vie privée, à la liberté de culte, au droit à l'éducation et au respect de l'intérêt supérieur de l' enfant ou au principe de non-discrimination".

Police du vêtement ou non, le droit est passé (en attendant d'autres décisions au fond du juge administratif ?). Or, nous sommes dans un État de droit. Ceci n'enlève rien au fait que chacun d'entre nous a une idée précise sur ce débat tumultueux de l'abaya qui va au-delà du port d'un vêtement, mais pose la question de l'étendue du principe de laïcité en France. D'autres débats à l'avenir se poseront, c'est une certitude. Car après la grande croix, le voile, le foulard islamique, la kippa, le bandana, l'abaya ou le qamis, qu'en sera-t-il ? Le débat sur l'application du principe de laïcité dans l'enceinte de l'école publique apparaît dans notre pays sans fin et loin d'être apaisé.

 

Frédéric ROSE-DULCINA
Spécialiste en droit public et en RSE
DEA Droit public des affaires
DESS Droit de la construction et de l'urbanisme
LEX SQUARED AVOCATS


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