Journal de l'économie

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Nazisme au risque d’un retour en grâce ?





Le 10 Juin 2021, par Nicolas Lerègle

Le nazisme est l’archétype de la doctrine honteuse qui ne peut, ni ne doit, renaître des cendres des millions de morts qu’elle a engendré.


Nazisme au risque d’un retour en grâce ?
Toutefois, et c’est bien là le souci cette appréciation, ô combien compréhensible en Europe, cette évidence, est loin d’être partagée dans le monde. En Chine et en Inde, le nazisme et Hitler sont un non-sujet et assurément pas des objets de vindicte et de poursuite. Il en est de même pour l’Argentine, le Brésil, le Chili, la Bolivie qui ont toujours cultivé une relation trouble et ancienne avec le IIIe Reich et ses sbires, généralement bien accueillis à partir de 1945. En Afrique du Nord et les pays du Proche et du Moyen-Orient le caractère antisémite du régime n’a pas été pour déplaire, rappelons que le grand Mufti de Jérusalem avait favorisé la création d’une brigade de volontaires SS, la Syrie, l’Égypte et autres ont eux aussi hébergé en tant qu’« experts » rattachés à leurs services de police ou de sécurité de nombreux responsables nazis.
Cela commence à faire du monde on en conviendra.

Ajoutons qu’aux États-Unis un affichage d’idées nazies et de symboles du même acabit ne sont pas des délits, au nom de la liberté d’expression et, enfin dans de nombreux pays européens ont émergé des partis d’extrême droite dont le rattachement au nazisme, ou à ses idées, est clairement affichée, Œuvre française ou Front National (Rassemblement aujourd’hui) en France, Aube dorée en Grèce, AfD et 3e Voie en Allemagne, British National Front pour n’en citer que quelques-uns.

Tout cela mis bout à bout amène à s’interroger sur la perception réelle de cette idéologie et de son héritage.
La publication récente de Mein Kampf d’A.Hitler est, de ce point de vue, intéressante. Voici un ouvrage dont on ne peut pas dire qu’il soit de la grande littérature. S’il présente un intérêt, c’est d’un point de vue historique et par les questions qu’il pose. Comment un tel ouvrage a-t-il pu se vendre à plusieurs millions d’exemplaires ? Être considéré comme une bible politique ? Endoctriner et causer autant de dégâts ? C’est un mystère autant qu’un fait avéré. La volonté de le rééditer est, sur le papier, louable, mais n’atteint pas le but recherché, peut-être même l’opposé de celui-ci. En plusieurs centaines de pages, au prétexte d’expliquer, de pointer l’extrémisme du propos, de le critiquer, on aboutit surtout à l’expliquer et à le rendre intelligible et, d’une certaine façon, accessible au plus grand nombre. Un peu comme si un terroriste avait donné d’une façon brouillonne le mode d’emploi de sa bombe et qu’au motif d’en interdire l’usage on s’ingéniait à en expliquer le détail du fonctionnement !

On se rassure comme on peut dans le monde de l’édition en évoquant une nécessité intellectuelle et pédagogique, mais ceux qui partagent les idées du Führer en auront un vade mecum précis, pouvant devenir la base d’un argumentaire révisionniste ; quant à ceux que ces idées rebutent, majoritairement, ils ne dépenseront pas 100 € pour lire 1000 pages indigestes.

Dans le même esprit on notera la parution chez Gallimard de « libres d’obéir – le management du nazisme à aujourd’hui » de Johann Chapoutot. L’auteur qui est un spécialiste reconnu de ce mouvement et de cette période livre un opuscule édifiant sur les enseignements actuels que l’on peut tirer de l’expérience managériale nazie. Après tout, apprendre de ses erreurs et tout aussi valable qu’apprendre des réussites d’autrui. Et, de ce point de vue le nazisme a été un succès en termes de production industrielle. Cette dernière, surtout dans le domaine des armements, arrivait à être plus performante fin 1944 – sous les bombes alliées et la pression de leurs armées – qu’au début du conflit. Elle était plus performante avec moins de personnels disponibles, l’essentiel étant sous les drapeaux et au front, nécessitant de recourir à une main-d’œuvre étrangère (STO) ou forcée (camps de concentration). Dans ce contexte, on ne peut plus tendu, l’auteur rappelle les solutions trouvées par les théoriciens économiques du Reich fondées sur la souplesse, la réactivité, les initiatives personnelles, toutes ces qualités mises au service d’objectifs de production définis.

Corruption, prévarication, asservissement, captation étaient aussi de la partie de même que la collaboration ou la complaisance. Comme les cadres du régime et du Parti se sont ensuite, de retour à la vie civile, retrouvés en responsabilité tant politique qu’économique de la République Fédérale d’Allemagne, avec les mêmes entreprises et des objectifs identiques de conquête…de parts de marché, on ne doit pas être étonné des succès de la RFA en tant que puissance économique. Dès lors, avec regret assurément, il y a peut-être de bonnes choses à apprendre de cette expérience passée.

Deux livres ne font pas une tendance on en conviendra.

Si on y ajoute une poussée des extrémismes qui s’affichent dans la rue, sur nos écrans et journaux et ce, sans vergogne, avec la volonté de répondre aux attentes supposées profondes des Français.
Si on y ajoute de nombreuses manifestations d’antisémitisme – la recherche du bouc émissaire à ses frustrations ou désillusions est vieille comme le monde – qui sont, proportionnellement à la population concernée à savoir 500 000 personnes, les plus importantes en nombre.

Si on y ajoute les relents d’un islamo-fascisme ou gauchisme, on ne sait plus très bien, qui a pour point commun un antisémitisme maquillé en antisionisme se nourrissant de l’actualité française ou du Proche-Orient et un rejet des libertés individuelles et politiques propres à notre société.

Si on y ajoute des mouvements populaires de masse, comme les gilets jaunes il y a deux ans, qui, comme toutes jacqueries, ne se singularisent pas par leur côté apaisé et ouvert au dialogue démocratique.
Si on y ajoute un Rassemblement National qui flirte avec les 30 % d’intentions de vote alors même que son programme se résume à critiquer celui des autres et à compter sur une simplification à l’extrême des choix de vote.
Si on y ajoute les tendances conspirationnistes, l’influence de la mouvance QAnon, le goût de certains politiques ou commentateurs de tout voir en blanc (pas d’étrangers chez nous), en noir (la description de la situation politico-économique du pays) et rouge (la violence ressentie plus que réelle qui gangrène la société) nous donne les couleurs d’un drapeau très en vue dans les années 30.

Si on y ajoute la puissance des réseaux sociaux qui démultiplient les phénomènes de meute et nous avons, en quelques jours un professeur égorgé sur la base de fausses rumeurs relayées ou une adolescente harcelée pour s’être exprimée.
Si on y ajoute l’effet du temps, 75 ans ont passé, pour l’essentiel de la population, ce régime n’a donc pas existé en tant que vécu, mais est juste un fait historique relaté,  édulcoré, dans les livres ou les documentaires ce qui concourt à ne plus y voir une menace.

Cela fait beaucoup d’ingrédients pour un cocktail détonnant.
Alors le nazisme est-il aujourd’hui une inspiration décomplexée ? Le moins que l’on puisse dire est que l’air du temps lui est favorable, relire Albert Camus peut être utile.
 





1.Posté par Francois le 26/06/2021 17:29 | Alerter
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Il ne faut pas assimiler le Nazisme, qui est coupable d'avoir justifié et encouragé, au-delà de l'horreur, un racisme meurtrier, et les capacités de management de culture "germanique" et les capacités d'invention, qu'il a utilisées, qui ont été boostées par les urgences inhérentes à une guerre...
Les états-unis également ont développé leur économie et leur savoir-faire à travers ce conflit...
Les capacités de management et d'inventer, ce sont des outils... qu'on peut bien, ou mal, utiliser.
Ce risque de confusion est grand en période de crises sociales et économiques, ou la tentation d'un pouvoir "fort" aura tendance à s'appuyer sur les idéologies passées, au point d'oublier leurs dérapages.
On n'apprend pas assez la sagesse, la bienveillance, l'empathie... dans les écoles...

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