L'équivalent de la moitié de la consommation française annuelle de chaleur part en fumée... (centrale nucléaire de Cattenom, crédit : Stefan Kühn)
Une idée simple
La cogénération consiste à produire simultanément de la chaleur et de l’électricité à partir d’un système de production d’énergie électrique. Ce dernier est composé généralement d’une source d’énergie et de chaleur, d’un circuit vapeur et d’un alternateur permettant la conversion de la pression de la vapeur en électricité. Une majorité des petites centrales électriques actuellement en construction est dite "à cogénération" : ces centrales utilisent comme combustible aussi bien le gaz que la biomasse (bois ou paille) ou encore les ordures ménagères pour produire électricité et chaleur (sous forme de vapeur). Elles sont destinées généralement à un usage industriel local, ou à favoriser l’autonomie énergétique de régions insulaires ou difficiles d’accès. Concernant les 58 réacteurs français, répartis en 19 centrales (dont celle de Fessenheim, toujours en activité), se pose désormais la question de les connecter aux réseaux de chaleur, c’est-à-dire aux installations prévues pour le transport d’énergie de chauffage à destination de l’industrie ou des particuliers. Compte tenu de leurs avantages (meilleure efficacité, moindre coût et moindre pollution), les réseaux de chaleur progressent d’environ 9 % par an en France, en nombre de kilomètres installés. On compte ainsi environ 460 réseaux en France en 2013, dont un quart pour la seule région Ile-de-France ; ils ne véhiculent pourtant que 6 % des besoins de chauffage nationaux.
Une moitié de ces besoins serait pourtant à portée. Dans une centrale nucléaire, une partie seulement de la chaleur est utilisée pour produire de l’électricité. La majeure partie, environ les deux tiers, est rejetée dans l’environnement. Pour comprendre ce que représente ce gaspillage, précisons que nos 58 réacteurs nucléaires fournissent environ 64 gigawatt (GW) de puissance électrique nette au réseau de distribution. A côté de cela, ils produisent environ 187 GW de puissance thermique, dont seul un tiers sert directement à la production d’électricité. Selon les dates d’entrée en service, nos centrales ont donc des rendements compris entre 30 et 50 %. La cogénération permet, elle, d’atteindre des rendements de l’ordre de 75 à 90 %, pour une moyenne de 80 %, selon la modernité des centrales et les technologies utilisées.
Quelques obstacles techniques…
Premières concernées, les entreprises EDF et Areva ont vite tempéré les ardeurs de ceux qui entrevoyaient déjà le miracle énergétique. Prenant prétexte des coûts de démantèlement d’un parc de réacteurs vieillissant et de la complexité de cette tâche, les acteurs du nucléaire n’ont pas manqué de souligner les difficultés techniques à surmonter. Mais entre l’aventure du réacteur à neutrons rapides Superphénix et l’EPR de Flamanville, on serait en droit de s’interroger sur les raisons réelles de ces réticences techniques.
Pour autant, il est vrai qu’un tel système nécessite des aménagements. La première étape serait l’installation d’unités de production de chaleur dédiées sur les centrales nucléaires existantes. Cet usage n’a pas été prévu à l’origine, et il ne suffit pas de relier une canalisation aux tours de refroidissement des centrales. Il faudrait ensuite relier l’ensemble des centrales aux réseaux de chaleur existants. Sauf que les centrales présentent l’inconvénient d’être généralement éloignées des centres urbains : à titre d’illustration, la plus proche centrale de Paris, à Nogent-sur-Seine en Seine-et-Marne, se situe à 120 km. L’acheminement de l’électricité sur de longues distances pose déjà des problèmes de déperdition, mais EDF fait valoir que ce n’est rien en comparaison des pertes lors du transport de chaleur. Le CEA estime pourtant de son côté que, sous réserve d’investissements conséquents, entre 2 et 6% de perte maximum seraient possibles entre Nogent-sur-Seine et Paris. A la clé, en contrepartie d’une baisse de la production électrique évaluée à 10%, cette seule centrale fournirait une fois et demie la consommation en chauffage de Paris et petite couronne, soit 9 Térawatt/heure de chaleur. A l’échelle nationale, l’investissement total, pour une récupération de la chaleur de l’ensemble du parc nucléaire, est estimé à environ 20 milliards d’euros. Il pourrait en outre être réalisable avant 2020. Ce système générerait des économies de l’ordre de 10 milliards d'euros par an : 30 Mtep/an (millions de tonnes équivalent pétrole) nécessaires actuellement au chauffage des réseaux seraient économisées. C'est la moitié de nos besoins en énergie de chauffage et un quart environ de la consommation énergétique annuelle de la France. Ces estimations purement comptables ne tiennent pas compte par ailleurs des millions de tonnes de CO2 qui ne seraient plus rejetées dans l’atmosphère. Malgré toutes les réserves des entreprises concernées, ce projet est techniquement réalisable : il ne fait appel à aucune technologie nouvelle ou critique. Il faut simplement trouver la volonté de le faire et dégager les financements nécessaires.
… Mais des réserves surtout politiques
Sans même aborder la question du financement, c’est bien du côté de la volonté politique que les véritables blocages risquent d’apparaitre. Pour les associations antinucléaire, la question ne fait même pas débat : la cogénération nucléaire ne serait rien de moins qu’une abomination, au sens où elle justifierait de nouveaux usages (et donc la poursuite de l’exploitation) du parc électronucléaire. Bien que les écologistes du gouvernement n’en soient pas à un reniement près, la majorité actuelle ne peut guère se permettre de glisser sur une promesse de campagne de plus. Il y a fort à parier que l’annonce d’une telle mesure par l’actuelle majorité ferait l’effet d’une bombe au sein de la base militante d’EELV. Difficile pourtant de dénoncer rationnellement l’argument de la sobriété énergétique. Malgré tous les risques objectifs qu’implique l’usage de l’atome dans notre mix énergétique, il faudra bien choisir un jour entre lutte contre le réchauffement climatique et lutte anti-nucléaire. A défaut, on attendrait au moins du gouvernement qu’il définisse une priorité. Pour avoir une chance de se concrétiser un jour, la transition énergétique devra passer outre ces blocages, aussi bien du côté d’industriels réticents à investir, que de groupes de pression incapables de remettre en cause une idéologie contradictoire.
Source :
"La cogénération nucléaire, une formidable économie d’énergie", Alexandra de Maussion et Marion Manhes, 1er prix au Concours étudiant sur le thème de la réduction énergétique, organisé par Sia Conseil, L’Expansion et RTE
La cogénération consiste à produire simultanément de la chaleur et de l’électricité à partir d’un système de production d’énergie électrique. Ce dernier est composé généralement d’une source d’énergie et de chaleur, d’un circuit vapeur et d’un alternateur permettant la conversion de la pression de la vapeur en électricité. Une majorité des petites centrales électriques actuellement en construction est dite "à cogénération" : ces centrales utilisent comme combustible aussi bien le gaz que la biomasse (bois ou paille) ou encore les ordures ménagères pour produire électricité et chaleur (sous forme de vapeur). Elles sont destinées généralement à un usage industriel local, ou à favoriser l’autonomie énergétique de régions insulaires ou difficiles d’accès. Concernant les 58 réacteurs français, répartis en 19 centrales (dont celle de Fessenheim, toujours en activité), se pose désormais la question de les connecter aux réseaux de chaleur, c’est-à-dire aux installations prévues pour le transport d’énergie de chauffage à destination de l’industrie ou des particuliers. Compte tenu de leurs avantages (meilleure efficacité, moindre coût et moindre pollution), les réseaux de chaleur progressent d’environ 9 % par an en France, en nombre de kilomètres installés. On compte ainsi environ 460 réseaux en France en 2013, dont un quart pour la seule région Ile-de-France ; ils ne véhiculent pourtant que 6 % des besoins de chauffage nationaux.
Une moitié de ces besoins serait pourtant à portée. Dans une centrale nucléaire, une partie seulement de la chaleur est utilisée pour produire de l’électricité. La majeure partie, environ les deux tiers, est rejetée dans l’environnement. Pour comprendre ce que représente ce gaspillage, précisons que nos 58 réacteurs nucléaires fournissent environ 64 gigawatt (GW) de puissance électrique nette au réseau de distribution. A côté de cela, ils produisent environ 187 GW de puissance thermique, dont seul un tiers sert directement à la production d’électricité. Selon les dates d’entrée en service, nos centrales ont donc des rendements compris entre 30 et 50 %. La cogénération permet, elle, d’atteindre des rendements de l’ordre de 75 à 90 %, pour une moyenne de 80 %, selon la modernité des centrales et les technologies utilisées.
Quelques obstacles techniques…
Premières concernées, les entreprises EDF et Areva ont vite tempéré les ardeurs de ceux qui entrevoyaient déjà le miracle énergétique. Prenant prétexte des coûts de démantèlement d’un parc de réacteurs vieillissant et de la complexité de cette tâche, les acteurs du nucléaire n’ont pas manqué de souligner les difficultés techniques à surmonter. Mais entre l’aventure du réacteur à neutrons rapides Superphénix et l’EPR de Flamanville, on serait en droit de s’interroger sur les raisons réelles de ces réticences techniques.
Pour autant, il est vrai qu’un tel système nécessite des aménagements. La première étape serait l’installation d’unités de production de chaleur dédiées sur les centrales nucléaires existantes. Cet usage n’a pas été prévu à l’origine, et il ne suffit pas de relier une canalisation aux tours de refroidissement des centrales. Il faudrait ensuite relier l’ensemble des centrales aux réseaux de chaleur existants. Sauf que les centrales présentent l’inconvénient d’être généralement éloignées des centres urbains : à titre d’illustration, la plus proche centrale de Paris, à Nogent-sur-Seine en Seine-et-Marne, se situe à 120 km. L’acheminement de l’électricité sur de longues distances pose déjà des problèmes de déperdition, mais EDF fait valoir que ce n’est rien en comparaison des pertes lors du transport de chaleur. Le CEA estime pourtant de son côté que, sous réserve d’investissements conséquents, entre 2 et 6% de perte maximum seraient possibles entre Nogent-sur-Seine et Paris. A la clé, en contrepartie d’une baisse de la production électrique évaluée à 10%, cette seule centrale fournirait une fois et demie la consommation en chauffage de Paris et petite couronne, soit 9 Térawatt/heure de chaleur. A l’échelle nationale, l’investissement total, pour une récupération de la chaleur de l’ensemble du parc nucléaire, est estimé à environ 20 milliards d’euros. Il pourrait en outre être réalisable avant 2020. Ce système générerait des économies de l’ordre de 10 milliards d'euros par an : 30 Mtep/an (millions de tonnes équivalent pétrole) nécessaires actuellement au chauffage des réseaux seraient économisées. C'est la moitié de nos besoins en énergie de chauffage et un quart environ de la consommation énergétique annuelle de la France. Ces estimations purement comptables ne tiennent pas compte par ailleurs des millions de tonnes de CO2 qui ne seraient plus rejetées dans l’atmosphère. Malgré toutes les réserves des entreprises concernées, ce projet est techniquement réalisable : il ne fait appel à aucune technologie nouvelle ou critique. Il faut simplement trouver la volonté de le faire et dégager les financements nécessaires.
… Mais des réserves surtout politiques
Sans même aborder la question du financement, c’est bien du côté de la volonté politique que les véritables blocages risquent d’apparaitre. Pour les associations antinucléaire, la question ne fait même pas débat : la cogénération nucléaire ne serait rien de moins qu’une abomination, au sens où elle justifierait de nouveaux usages (et donc la poursuite de l’exploitation) du parc électronucléaire. Bien que les écologistes du gouvernement n’en soient pas à un reniement près, la majorité actuelle ne peut guère se permettre de glisser sur une promesse de campagne de plus. Il y a fort à parier que l’annonce d’une telle mesure par l’actuelle majorité ferait l’effet d’une bombe au sein de la base militante d’EELV. Difficile pourtant de dénoncer rationnellement l’argument de la sobriété énergétique. Malgré tous les risques objectifs qu’implique l’usage de l’atome dans notre mix énergétique, il faudra bien choisir un jour entre lutte contre le réchauffement climatique et lutte anti-nucléaire. A défaut, on attendrait au moins du gouvernement qu’il définisse une priorité. Pour avoir une chance de se concrétiser un jour, la transition énergétique devra passer outre ces blocages, aussi bien du côté d’industriels réticents à investir, que de groupes de pression incapables de remettre en cause une idéologie contradictoire.
Source :
"La cogénération nucléaire, une formidable économie d’énergie", Alexandra de Maussion et Marion Manhes, 1er prix au Concours étudiant sur le thème de la réduction énergétique, organisé par Sia Conseil, L’Expansion et RTE