Journal de l'économie

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Comment la Chine nous traitera





Le 25 Mai 2020, par Nicolas Lerègle

Après s’être interrogé sur la façon dont les pays occidentaux devraient traiter la Chine, on peut se demander comment la Chine nous traiterait si elle en avait l’occasion.
Les Tibétains ont eu une idée de la façon dont la Chine traite ses voisins.


Image WIKIPEDIA
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Dans un premier temps on offre, avec conviction, la construction d’infrastructures, dont des routes et voies ferrées.
Dans un deuxième temps ces routes permirent l’acheminement des chars et véhicules permettant, comme cela fut le cas en 1950 de faire passer le Tibet sous domination chinoise.
Dans un troisième temps un accord dit « accord en dix-sept point sur la libération pacifique du Tibet » est signé en 1951 par des autorités tibétaines soumises et un pouvoir chinois en position de force.
Dans un quatrième  temps, en 1959, pour être certain d’être bien compris sur l’état de vassalité du Tibet, la Chines réprima dans le sang une manifestation qui visait, assurément un malentendu, à obtenir cette « libération pacifique ».
Dans un cinquième temps, depuis plus de 60 ans, la Chine, discrètement, épure ethniquement et culturellement le Tibet en le sinisant de façon complète.

Les Tibétains ne sont pas les seuls dans ce cas.
Les habitants de Hong-Kong semblent sur le point de vivre une situation équivalente, avec un mouvement, là aussi en plusieurs temps.

D’abord, on implante dans la zone de Shenzen des industries qui vont entretenir des relations on ne peut plus étroites avec les entreprises occidentales situées ou représentées de l’autre côté de la frontière.
Ensuite on amène, à partir de 1984 date de la « déclaration commune sino-britannique sur la question de Hong-Kong » toute une élite économique à s’associer peu à peu aux intérêts chinois, le confucianisme permettant de concilier le capitalisme le plus débridé et le marxisme strict, les premiers pensant prendre le pas sur le second.
On acte ensuite  en 1997, une rétrocession, promettant à peu près tout et n’importe quoi (de rassurant pour l’estime du Royaume-Uni), sur la base « d’un pays deux systèmes » officiellement pour 50 ans – donc 2047 sur le papier.
Puis, 50 ans c’est long, on tente par tous les moyens d’accélérer le processus de vassalisation, avec l’aide de politiques et le soutien d’entrepreneurs qui ont la même clairvoyance sur la capacité à contrôler le système que les conservateurs et les capitaines d’industries allemands de 1932.
Et là, Pékin vote une loi qui lui donnera, si on y regarde bien, les pleins pouvoirs sur Hong Kong, au mépris des accords passés mais après tout en politique « les promesses n’engagent que ceux qui y croient ».

On le voit le système est bien rodé et, forte de son poids démographique, de sa puissance économique et des progrès technologiques de son armée, en particulier de sa marine, la Chine commence à porter son regard au-delà de ses frontières immédiates. Taiwan est une proie tentante mais sa puissance militaire ne la rend pas facile à la différence du Tibet ou de Hong-Kong.

Les nouvelles Routes de la Soie constituent peut-être, à partir de 2013, ce que furent les routes tibétaines de 1950, une façon d’établir une proximité avec des nations, géographiquement éloignées, mais pouvant être proches grâce aux moyens modernes de transport et de communication. Le message portant ces nouvelles Routes de la Soie fut au demeurant soyeux à souhait associant de belles déclarations d’intention et des promesses d’investissements sonnants et trébuchants. Premier temps.

Ces nouvelles Routes de la Soie facilitèrent l’arrivée d’entreprises et de personnels chinois sur de nouveaux marchés, principalement en Afrique et en Asie du Sud-Est, proposant, moyennant la souscription d’emprunts idoines, la construction d’infrastructures (portuaires, aéroportuaires, gazoducs, exploitation minière…) utiles au développement de ces pays et à la fournitures de matières premières à la Chine. Deuxième temps.

Puis, profitant de difficultés économiques, certains pays, Italie et Grèce par exemple, en vinrent à transférer la propriété de certains de leurs actifs, stratégiques la question est posée, à la Chine ; la France s’illustrant avec la cession de l’aéroport de Toulouse pendant quelques temps. Dans le même temps des entreprises comme Huawei tendent à s’approprier le marché – hautement stratégique assurément – des télécommunications avec leur technologie 5G et rendre les pays l’adoptant aussi dépendants qu’ils le sont aujourd’hui à l’égard des logiciels de Microsoft ou de l’Internet. Troisième temps.

Forte de cette présence on notera que la Chine a su se doter, dans les pays constitutifs d’étapes de ces nouvelles routes de la soie, de relais efficaces couplant leurs implantations diplomatiques. Politiques de tous bords, anciens responsables de haut niveau ont su être convaincus et mobilisés pour vanter le caractère essentiel, voire équilibré, d’une relation avec la Chine. Ceci a permis à la Chine ou à ses représentants de prendre des positions très franches pour ne pas dire plus dans la défense de leurs intérêts (Tibet, Taiwan, mer de Chine). La période actuelle n’a pas fait exception,  où un virus ayant emprunté les routes de la soie ainsi réactivées a participé de façon évidente à l’affaiblissement économique de nombreux pays. Or pour la Chine dont la gestion de la crise était présentée comme irréprochable,  affaiblissement d’un partenaire rime avec potentiel d’influence. Quatrième temps.

Le cinquième temps, celui de l’occupation, ne nécessite plus la dimension physique qui le caractérisait il y a encore quelques décennies. La maitrise des réseaux de télécommunications (Huawei), de fournitures de matériels (Lenovo), le contrôle capitalistique de certaines entreprises et infrastructures peuvent aujourd’hui être suffisants. Plus personne ne doute que les logiciels de Microsoft ou certains matériels ou technologies Internet contiennent des portes dérobées permettant à la NSA par exemple d’y jeter un œil. On peut penser que le cyber département de l’Armée Populaire de Libération a su se ménager, lui aussi, quelques portes d’entrées. C’est le cinquième temps. Ne reste plus qu’à attendre.

Au fond la question n’est pas vraiment de savoir comment la Chine nous traitera mais de prendre conscience que nous sommes déjà englué dans un processus et un rapport de forces dont nous ne pourrons pas sortir vainqueur en tant que pays solitaire.  Face aux nouvelles routes de la soie, la seule voie possible est celle de l’Union (Européenne) qui seule peut faire notre force en nous donnant les moyens et capacités de recherche et développement dans les domaines stratégiques (télécommunication, pharmacie, technologies de pointe etc.). Certains pays concernés par les nouvelles routes de la soie ont commencé à manifester des réticences face aux velléités chinoises de suzeraineté économique comprenant que les cadeaux reçus ont toujours un prix. Il ne faut surtout pas croire que la distance géographique est une protection contre de telles ambitions. Il serait temps de prendre conscience que les Etats-Unis pratiquent à outrance le « selfish power » et une doctrine Monroe qui ne dit pas son nom. Que la Russie attend son heure d’influence, dès que ses finances lui permettront. La Chine est paradoxalement la seule grande puissance à n’avoir que les mots « mondialisation » et « globalisation » aux lèvres. On conviendra que de la part d’une dictature qui fait des Ouïghours et des Tibétains des cibles ethnico-religieuses et qui ne cache pas ses ambitions territoriales ce sont des réminiscences des années 30 qui ont de quoi inquiéter.
 


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