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L’affaire Coyote ou comment une entreprise a fait plier un gouvernement





Le 22 Avril 2024, par Elia Boulangé

En 2011, le gouvernement Fillon promulgue une loi interdisant les avertisseurs de radars. Au risque de voir son entreprise disparaître, le fondateur de Coyote, Fabien Pierlot, décide de riposter. En quelques semaines, la loi est abrogée. Que s’est-il passé entre le 11 et le 27 mai 2011 pour que le gouvernement effectue un revirement complet par rapport à sa position initiale ?


UN CONTEXTE HOSTILE

Les avertisseurs de radars, ce sont ces petits boîtiers ou applications qui, en contrepartie d’un abonnement, vous préviennent lorsque vous entrez dans une zone où se trouvent des radars. Si une grande majorité d’entre nous les utilise aujourd’hui sans se poser de questions, il s’en est fallu de peu qu’ils disparaissent de la circulation. Ils ont été en effet sévèrement critiqués dès le début de leur commercialisation. Les associations de protection et de défense des victimes de la route notamment, estimaient que ces dispositifs aggravaient les comportements dangereux sur la route, puisque les conducteurs étaient attentifs uniquement dans les zones où se trouvaient les radars et se permettaient des excès de vitesse partout ailleurs. 

En 2010, la Sécurité routière recense plus de 67 000 accidents de la route et presque 3000 morts. Le gouvernement français attribue ces chiffres principalement à la vitesse excessive des automobilistes, et décide par conséquent de resserrer la vis. Il augmente donc le nombre de radars sur les routes et, suivant l’exemple de son voisin suisse, interdit en mai 2011 les avertisseurs de radars tels que les boîtiers Coyote. Désormais, vendre un avertisseur de radar est passible de 2 ans de prison et 30 000 euros d’amende.  
C’est alors toute l’activité de Coyote qui est mise en péril, et la réponse de l’entreprise ne se fait pas tarder. Son fondateur, Fabien Pierlot décide de faire appel au l’agence de communication Havas, spécialisé en gestion de crise. Le but de l’opération qu’ils construisent ensemble est ainsi d’orienter les décisions du gouvernement en leur faveur en changeant leur perception de la réalité.
 
UNE STRATEGIE EN PLUSIEURS ACTES

Premier acte : modifier la réalité. Pour cela, un coup de baguette sémantique et le tour est joué. Les avertisseurs de radars ne sont pas un moyen d’éviter les sanctions mais sont avant tout des systèmes d’aide à la conduite. Loin d‘être des technologies dangereuses, elles permettent au contraire de réduire les accidents en rendant la route plus sereine pour ses usagers. Si le gouvernement décide de maintenir l’interdiction, c’est l’avenir de l’automobile et de la sécurité routière qui est en jeu. Avec cette nouvelle ligne directrice, Coyote multiplie les communiqués de presse et tente d’introduire ce nouveau paradigme dans la société.   

Mais la partie n’est pas encore gagnée. Une association en particulier, Victimes et Citoyens, dénonce l’hypocrisie des fabricants d’avertisseurs de radars et le changement opportuniste de leur stratégie de communication.

Il est donc temps de passer au deuxième acte : mettre la population de son côté et nourrir le mécontentement. Quelques semaines après l’interdiction des avertisseurs de radars, Coyote fonde l’Association française des fournisseurs et utilisateurs des technologies d’aide à la conduite (AFFTAC) en s’alliant avec ses concurrents, Wikango et Inforad, devenus des alliés de circonstances. Ensemble, ils appellent les automobilistes à se mobiliser contre la réforme « injuste » du gouvernement Fillon. En parallèle, l’AFFTAC lance une pétition contre l’interdiction des avertisseurs de radars et récolte plus d’un million et demi de signatures. De nombreux députés se rangent du côté de Coyote et la pression s’accroît sur le Premier Ministre François Fillon et son Ministre de l’Intérieur Claude Guéant. Ces-derniers finissent par céder et Fabien Pierlot est reçu Place Beauvau.

Commence alors le troisième et dernier acte : la négociation avec le gouvernement. Les nombreuses réunions entre les représentants de l’AFFTAC et Claude Guéant laissent rapidement entrevoir la victoire de la stratégie de Coyote. Le filet se resserre et le gouvernement tombe dans le piège qui lui était tendu. Fin mai, le ministère de l’Intérieur publie dans un communiqué de presse que « c’est afin de faire respecter les limitations de vitesse sur tout le territoire et de sauver davantage de vies » que « les avertisseurs de radars seront transformés en assistant d’aide à la conduite ». Ainsi, Coyote et ses concurrents peuvent reprendre leur activité à condition que désormais, sur l’application ou sur le boîtier, soient signalées les « zones dangereuses » et non plus la position exacte des radars fixes. Malgré ce tour de force retentissant, Coyote ne s’arrête pas là. Forte de ce succès triomphant, l’entreprise va jusqu’à obtenir que le gouvernement lui-même fournisse aux membres de l’AFFTAC la carte des radars disposés sur le territoire français, information qu’ils devaient auparavant se procurer via des sociétés spécialisées.
 
Finalement, de cette pièce de théâtre ne ressort qu’un vainqueur : Coyote. Fabien Pierlot, via une campagne d’influence habilement ficelée, est parvenu à retourner entièrement une situation qui aurait dû sonner le glas pour son entreprise. En changeant simplement la dénomination de ses boîtiers, il les a transformés en des dispositifs d’aide à la conduite et en a fait des indispensables de la sécurité routière.
 

 
 
 
 
Sources :
Avertisseurs de radar : comment Coyote résiste à Waze - Challenges
«Touche pas à mon avertisseur de radars» – Libération (liberation.fr)
Avertisseurs de radars : la ruse du Coyote - Portail de l'IE (portail-ie.fr)
Communiqué Claude Guéant et l'AFFTAC parviennent à un accord | Sécurité Routière (securite-routiere.gouv.fr)
Accidents de la route: les excès de vitesse ciblés, les associations déçues (lepoint.fr)
Radars. Une association dénonce les propos des industriels sur les avertisseurs | Le Télégramme (letelegramme.fr)
La victoire du lobby des avertisseurs de radars (lemonde.fr)
Bilan 2010 de la sécurité routière | Observatoire national interministériel de la sécurité routière (securite-routiere.gouv.fr)
Avertisseurs de radar : un million de signatures contre (...) (motomag.com)
 


Intelligence économique



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