Journal de l'économie

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La data définit des lignes, mais les dirigeants ne savent pas encore comment lire entre ces lignes





Le 1 Décembre 2019, par Philippe Lentschener

Philippe Lentschener conseille les PDG, marques, entreprises, institutions et personnalités éminentes pour leurs stratégies d’influence, de réputation et de marketing dans la sphère numérique. Avec Saatchi & Saatchi EMEA, Publicis WW et Mccann France, il a géré les agences de communication les plus célèbres. Il a fondé avec P Vallet et Ch H D’Auvigny Reputation Age en mai 2017.


Philippe Lentschener, votre nouvel ouvrage « Réputation », analyse les nouveaux enjeux de l’information aujourd’hui et leurs conséquences en termes d’image pour les entreprises et leurs dirigeants. Pouvez-vous livrer des éléments de votre analyse ?
 
Cette analyse part de la conviction que nous vivons un nouveau paradigme, la communication est devenue une pratique de l’espace public. Auparavant le marketing c’était un ensemble de techniques chacune dans son couloir, publicité dans les espaces publicitaires, com fi. dans les assemblées et les rapports, com évènementielle dans les espaces de l’évènement, com RH dans les espaces de recrutement, et tout a explosé.
 
Les réseaux et l’information en continu ont multiplié les zones de prises de paroles, et l’avènement des émetteurs non institutionnels. La vérité est devenue une technique, les lanceurs d’alerte des vigies, chacun un journaliste. La réputation nous précède alors qu’elle était un aboutissement du processus de communication.
 
Face à cela les processus marketing sont totalement tétanisés. Ils n’ont pas été pensés pour un monde où l’entreprise alternera temps forts, croisière et la certitude de crises. Crises qui seront dramatiques ou juste des moments durs à vivre en ayant fait auparavant le nécessaire.
 
Ce qui devient fondamental, c’est de comprendre que le monde de la réputation demande autre chose que le monde de l’image. Le travail décisif à réaliser porte sur un certain nombre de choses comme l’analyse des mécanismes de la confiance, ou encore comment s’affirme une légitimité, se monitoring une crédibilité, comment dé-corréler les vérités propres et les vérités d’opinion, tout le monde parle de raison d’être mais ce concept est statique, il faut l’entourer d’un purpose transformationnel, bref c’est une révolution copernicienne des approches ; celle qu’ont déjà entreprises les plateformes.
 
Alors que la guerre économique fait rage et à l’heure du chacun pour soi, comment peut évoluer cette situation ?  
 
Je crois que nous ne sommes plus dans ce qu’on appelle une transition. Tout le monde parle de transition, digitale, énergétique, sociale, pensez que Carrefour parle même de transition alimentaire. Dans notre économie cognitive, la transition a eu lieu. Aujourd’hui ce qui domine et semble s’imposer à tout acteur c’est le comportement des plateformes.
 
Les plateformes créent les effets de réseaux, les encouragent, les rendent possible et en sont les structures d’accueil. Elles sont obsessionnelles des expériences. Il va être impossible de s’affranchir de cette culture.
 
Je remarque également que ces entreprises incarnent des transformations. Elles transforment le rapport à l’Entertainment, au commerce, au déplacement.
Le rapport à la plateforme est fondamental pour celles qui veulent s’imposer partout, car il permet quand il marche, d’imposer une culture, de contourner les circuits de distribution.
 
Quel enjeu historique représente cette période dans les relations internationales et pour nos sociétés ?  
 
Tous les secteurs fondamentaux dans l’équilibre du monde sont touchés par cette révolution, et ils flirtent tous avec des zones de vulnérabilité. La culture, la consommation, l’industrie de la connaissance. On trouve donc des bascules culturelles possibles à tous les coins de rue. Il est étonnant que nos dirigeants politiques et économiques n’aient pas encore théorisé le concept d’exception économique européenne à minima et française idéalement.
 
Nous l’avons théorisé et imposé à l’Europe et au monde concernant la culture avec l’exception culturelle française, mais dans un monde où la communication et l’économie sont dans l‘espace public et où les plateformes contournent les frontières il faut qu’un combat sémiotique précède et accompagne les décisions politiques.
 
A l’heure où chacun défend ses intérêts il faut comprendre qu’un intervenant économique ne sera plus que cela ; il sera qu’il le veuille ou non otage des décisions de son gouvernement et des superstructures qui le dépassent. Par exemple être sur WhatsApp, WeChat ou Telegram peut un jour devenir un choix : veut-on plutôt que les Etats-unis, la Chine, ou la Russie vous écoutent ? Veut-on qu’Alphabet, possède à travers Google, YouTube, Android et autre nos données ?
 
Bref nous aurons des décisions courageuses à prendre en termes de certification, de fiscalité, de sécurité, de datas, les débiles de la toute-ouverture parleront d’atteinte à la liberté économique et ne se rendront pas compte qu’ils seront les idiots utiles de ces démocraties autoritaires, protectionnistes chez elles, expansionnistes chez les autres.
Bref pour préparer ces moments, il faudrait à tout prix avoir commencé lourdement et avec intensité le débat culturel.
 
Peut-on parler « d’infoguerre » et pensez-vous que les entreprises françaises et européennes aient un niveau de conscience suffisant en face de cette situation ?
 
Oui, on le peut.
C’est très inégal, en fait, il y a conscience d’un enjeu de sécurité et de souveraineté.
Ce qui est inégal c’est la conscience de ce que cela demande, et la connaissance du monde qui les entoure.
Quand on explique aux dirigeants que le Web, ce n’est rien, quelque % de ce qui est sur la toile, que l’on présente ce qu’est le Deep web, puis le Dark web, on voit un tel éblouissement, un tel effet de sidération que l’on réalise que c’est trop de choses à intégrer.
 
La religion de la data est remarquable à contempler, la data définit des lignes, mais les dirigeants ne savent pas encore comment lire entre ces lignes, ils se sentent régulés par des algorithmes et commencent à prendre conscience que l’on peut gérer les algorithmes, tout comme ils réalisent que tout système étant défini par des humains, il est faillible.
 
Il faut, aussi étonnant que cela paraisse, que les dirigeants « connect the dots », exemple simple :  quand les dirigeants d’organismes financiers s’étonnent de la multitude qu’est le web, et ne réalisent pas que, sur leurs propres réseaux commerciaux on passe par des protocoles et des chaînes qui forment un circuit propre, donc qu’il y en a des milliers comme les leurs.
L’époque convoque tout, histoire, technique, technologie, politique, sociologie, diplomatie, marketing, économie, finance. C’est pourquoi elle est fascinante, c’est pourquoi on voit chez les dirigeants des gens venant d’horizons incroyables, chose que l’on n’aurait jamais vu auparavant, les task-force auxquelles nous participons rendent nos métiers merveilleux.
 
Quand j’ai débuté, peu comprenaient ce que la publicité demandait et renfermait, je me retrouve trente ans plus tard avec le même sentiment face à ce que la réputation et l’influence demandent.
 




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