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Les mille vies de Sarah Bernhardt





Le 12 Juillet 2023, par Christine de Langle

À l’occasion du centenaire de la mort de Sarah Bernhardt, le musée du Petit Palais propose une rétrospective passionnante et pleine de surprises de la vie et de l’œuvre de celle que Jean Cocteau qualifiait de « monstre sacré ». Actrice adulée, peintre et sculpteur au talent reconnu, auteur au style affirmé, la première artiste à atteindre le statut de star intercontinentale ne laisse personne indifférent.


W.&D. Downey, Sarah Bernhardt en gros plan, 1902, Paris, Bibliothèque nationale de France, Département des Arts du Spectacle ©BnF
W.&D. Downey, Sarah Bernhardt en gros plan, 1902, Paris, Bibliothèque nationale de France, Département des Arts du Spectacle ©BnF
Une scénographie inventive

De salle en salle, la carrière de « la Divine » qui se déploie du Second Empire jusqu’aux années 1920 est l’occasion de parcourir la richesse de la vie théâtrale, littéraire et artistique de cette époque. Son atelier-salon a été reconstitué. Son portrait peint par Jules Clairin et donné au Petit Palais par son fils Maurice trône au milieu de nombreux objets personnels qui permettent de mieux appréhender le cadre de vie et de création de cette perfectionniste obsessionnelle.

Etienne Carjat, Sarah Bernhart dans le rôle de Dona Maria de Neubourg dans Ruy Blas de Victor Hugo, 1872, ©Paris Musée/Musée Carnavalet
Etienne Carjat, Sarah Bernhart dans le rôle de Dona Maria de Neubourg dans Ruy Blas de Victor Hugo, 1872, ©Paris Musée/Musée Carnavalet
Ses rôles les plus emblématiques, Phèdre, Tosca ou La Dame aux camélias, sont évoqués par ses costumes de scène portés à la Comédie-Française ou au théâtre de l’Odéon. La belle salle à l’italienne du théâtre Sarah Bernhardt devenu le théâtre de la Ville a été reconstituée dans une rotonde du musée, pour évoquer son triomphe dans l’Aiglon, la pièce qu’Edmond Rostand écrit pour celle qu’il surnomme « la reine de l’attitude et la princesse du geste ». L’intérieur d’un train a été reconstitué et chacun peut visionner les différentes tournées effectuées sur tous les continents.

Lors d’une tournée en Amérique, elle rencontre Thomas Edison et se passionne pour cette nouveauté que représente l’enregistrement du son. La « voix d’or » dont parlait Victor Hugo pour en souligner le magnétisme et la diction si particulière nous est ainsi parvenue par des enregistrements d’époque réalisés sur des cylindres de cire gravés. Les dernières salles évoquent sa vie à Belle-Île qu’elle découvre en 1893. Elle y fait l’acquisition d’un fortin désaffecté et y passe des étés, entourée de son fils, de ses petites-filles et d’amis triés sur le volet, le musicien Reinaldo Hahn, les peintres Georges Clairin ou Louis Abbéma. Là encore, elle règne sur ce petit monde aussi enthousiaste dans la découverte des fleurs des champs que des algues aux formes multiples dont elle fait des sculptures.

Georges Clairin, Portrait de Sarah Bernhardt, 1876, Paris, Petit Palais © Paris Musée, Petit Palais
Georges Clairin, Portrait de Sarah Bernhardt, 1876, Paris, Petit Palais © Paris Musée, Petit Palais

« Etre quelqu’un je voulus cela »

C’est d’abord un caractère indomptable et une détermination farouche qui s’expriment dès l’âge de neuf ans par le choix de sa devise « Quand même » à la suite d’un pari sportif lancé par un cousin. C’est une passionnée curieuse de tout. Se trouvant sous-employée par ses rôles à la Comédie-Française, elle décide de se lancer « avec l’exagération que j’ai mise en toute chose » dans la peinture et la sculpture. Elle vit entourée d’artistes qu’elle inspire, Alfred Stevens, Gustave Doré, Jules Bastien-Lepage et Georges Clairin.

Elle expose à leurs côtés au Salon avec succès. Une actrice aussi douée pour le théâtre que pour la peinture et la sculpture ne peut qu’attirer des jalousies et le critique d’art du Figaro, Albert Wolf, ne se prive pas de lui reprocher ses multiples activités. Emile Zola lui répond par voie de presse sur un ton humoristique : «Qu’on fasse une loi tout de suite pour empêcher le cumul des talents ! ». On peut y ajouter des talents de décoratrice dans ces différents hôtels particuliers de la Plaine Monceau où ses créations côtoient celles de ses amis artistes et des objets d’art extraeuropéens acquis au cours de ses tournées lointaines. Ce joyeux fouillis est caractéristique de ce goût éclectique fin de siècle.

On découvre aussi ses talents d’écriture et son désir d’enrichir ses expériences par des prises de rôles dévolus aux hommes (elle est la première à jouer le rôle d’Hamlet) et s’en explique dans son livre « L’art du théâtre, la voix, le geste, la prononciation ».

Marie-Désiré Bourgoin, Atelier de Sarah Bernhardt, aquarelle,1879 ©The Metropolitan Museum of Art
Marie-Désiré Bourgoin, Atelier de Sarah Bernhardt, aquarelle,1879 ©The Metropolitan Museum of Art

Une carrière hors du commun

Comment résumer une telle vie et une telle carrière ? Née en 1844, elle entre au Conservatoire d’art dramatique grâce au duc de Morny, demi-frère de Napoléon III, et fait ses débuts à dix-huit ans à la Comédie-Française où son caractère indomptable lui vaut le surnom de « Mademoiselle Révolte ». Elle rencontre George Sand et François Coppée, et joue leurs œuvres. Son triomphe dans le rôle de la reine dans Ruy Blas de Victor Hugo lance sa carrière en 1872. Toujours à la recherche de nouvelles expériences, elle part en 1880 pour une tournée à Londres où elle est reçue comme une reine.

Parmi la foule enthousiaste, un jeune poète jette des brassées de lys à ses pieds, elle vient de rencontrer Oscar Wilde. « La muse ferroviaire » parcourt les cinq continents dans son train spécial Pullman au cours de tournées internationales qui poursuivent plusieurs buts : faire rayonner la culture et la langue françaises, assurer son indépendance financière et assouvir sa soif de découverte. Entre 1880 et 1881, elle visite cinquante villes américaines où le public peu francophone est séduit par la théâtralité de son jeu. En 1894, sa rencontre avec Edmond Rostand la lance dans un nouveau défi : L’Aiglon créé pour son nouveau théâtre (Théâtre Sarah Bernhardt, aujourd’hui Théâtre de la Ville) triomphe en 1900. A cinquante-six ans, elle ne craint pas de jouer le rôle du fils de Napoléon (âgé de vingt-et-un an). Elle n’hésite pas à passer de la scène à l’écran et fait ses débuts au cinéma à cinquante ans dans La Reine Elisabeth, film du réalisateur Louis Mercanton. Le producteur, Adolph Zukor, un des fondateurs de la Paramount, a contribué à forger la légende hollywoodienne. On peut aussi la voir dans « Ceux de chez nous », film réalisé en 1915 par Sacha Guitry.

Achille Mélandri, photo 1877, Sarah Bernhardt sculptrice. ©BnF Grand Palais
Achille Mélandri, photo 1877, Sarah Bernhardt sculptrice. ©BnF Grand Palais
Une citoyenne exemplaire et une femme engagée

Pendant la terrible guerre franco-prussienne de 1870, Sarah Bernhardt prend la difficile décision d’éloigner sa famille et reste à Paris pour organiser des secours. Elle est responsable d’une ambulance au théâtre de l’Odéon et prend soin de nombreux blessés avec un courage et un dévouement exemplaires. Elle fait partie du théâtre aux Armées pendant la Première Guerre mondiale, amputée d’une jambe, elle préfère jouer assise que de porter une prothèse. En 1916, elle part pour dix-huit mois de tournée aux États-Unis pour sensibiliser les Américains au sort de la France en guerre. On la trouve aux côtés de Zola lors de l’affaire Dreyfus.
 

Un hymne à la vie

A l’heure des « starlettes », reines des réseaux sociaux, il est passionnant d’appréhender par le parcours de l’exposition qui lui est consacrée ce qui a fait le succès de celle qui fut célébrée par les plus grands, de Victor Hugo qui lui dédicace ainsi un de ses ouvrages « A une reine dont j’eusse voulu être le Ruy Blas » à Proust et Cocteau qui créa pour elle le qualificatif de « monstre sacré ». Sa silhouette longiligne séduit les adeptes de l’art nouveau et les affiches d’Alfons Mucha annonçant ses grands rôles séduisent toujours les collectionneurs.

Le premier tome de ses Mémoires écrites en 1907 (elle avait prévu un second tome) s’interrompt au moment du retour en France après une tournée de sept mois aux États-Unis. Elle y dévoile une détermination sans faille qui l’anima toute sa vie et une audace qui faisait trembler ses amis : « Je résolus d’être la grande actrice que je souhaitais être. Et dès ce retour, je me vouais à la vie ». De quoi regretter ce second tome jamais écrit !

Sarah Bernhardt. Et la femme créa la star.
Paris, musée du Petit Palais, du 14 avril au 19 août 2023

 
Alfons Mucha, La Dame aux camélias, 1896, Théâtre de la Renaissance, lithographie couleurs, musée Carnavalet ©Paris musée/Musée Carnavalet
Alfons Mucha, La Dame aux camélias, 1896, Théâtre de la Renaissance, lithographie couleurs, musée Carnavalet ©Paris musée/Musée Carnavalet


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