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Les représentants d'intérêts : Agents d'influence juridique





Le 23 Janvier 2020, par Olivier de Maison Rouge

« Dans un environnement global fortement marqué par la prolifération des normes (hard ou soft law), il est particulièrement stratégique d’influencer la construction des règles du jeu. Car participer à la naissance de ces dernières, c’est maîtriser leur usage et connaître toutes leurs subtilités !
Or, vaincre un concurrent se révèle toujours plus facile lorsque l’on sait user en virtuose des lois qui s’appliquent à l’échiquier sur lequel on livre bataille. Elaborer et mettre en œuvre des stratégies visant à orienter le contenu des normes relèvent du domaine du lobbying. » (1)


Les représentants d'intérêts : Agents d'influence juridique
A l’heure où l’on s’interroge davantage sur les actions de l’ombre conduisant à l’évolution de la législation française (certains dénoncent actuellement les agissements et mélanges de genre de BlackRock dans la réforme des retraites), il convient de lever un voile sur le statut juridique de ces agents d’influence, ou représentants d’intérêts comme il convient désormais de les nommer.
 
Au-delà des soupçons de « pacte de corruption », « trafic d’influence », « prise illégale d’intérêts », etc, qui émaillent parfois les actualités judiciaires, ces lobbyistes ont été largement mis au jour par la loi Sapin 2 du 9 décembre 2016.
 
Le lobbying, toujours décrié mais difficilement appréhendé au fond, est un terme générique qui n’a pas de définition précise, ni de consistance particulière. En effet, ce vocable recouvre tout à la fois l’influence exercée auprès des hommes de pouvoirs, comme celle des groupes constitués faisant pression – au sens d’impulsion - sur les leviers de décision et de direction. Ces groupements plus ou moins structurés peuvent embrasser toute forme : organisation non gouvernementale, cabinet de conseil, société commerciale, association, fondation, syndicat, …
 
L’idée générale qui se dégage est de pouvoir peser et influer sur les choix de réglementation et de normalisation auprès des pouvoirs publics, afin d’obtenir ou de susciter un acte ou une décision conforme aux intérêts du requérant.
 
Eléments de contexte : un souci de transparence vis-à-vis du législateur
 
Le seul acte positif antérieur sur le sujet résidait dans le fait que la Commission européenne avait institué, depuis le 23 juin 2008, un registre où :
 
« sont invités à s'inscrire [...] tous les représentants d'intérêt qui cherchent à influer sur l'élaboration des politiques et les processus décisionnels des institutions européennes ».
 
Il s’agissait d’un mode d’identification volontaire, non obligatoire, par lequel le lobbyiste inscrit devait dévoiler sa forme, ses moyens et sa surface financière. De fait, l’Union Européenne reconnaissait, sans l’encadrer ni le structurer, le pouvoir des lobbies lesquels ont pignon sur rue de manière tout à fait officielle à Bruxelles. La pratique n’a donc rien de répréhensible. L’inscription sur le registre des représentants d’intérêts est par suite devenue obligatoire pour solliciter des rendez-vous auprès des élus et représentants de l’Union européenne.
 
En France, d’après le rapport Nadal de 2015 qui a conduit à réglementer cette profession  :
« l’idée d’une reforme de collusion entre les groupes d’intérêts, qui tenteraient par tous les moyens d’imposer leur intérêt particulier et les hommes politiques qui feraient primer sur l’intérêt général est largement répandue et contribue à l’érosion de la confiance des citoyens dans leurs institutions ».
 
Ce rapport marque les distensions qui existent dans la conscience collective concernant le lobbying. De ce fait, ce dernier porte en lui marque de la suspicion. 
 
Face aux exigences croissantes de la transparence de la vie politique de la société soulevées par l’affaire Cahuzac en 2012 et le rôle important des lobbyings, il paraissait important de mieux réglementer cette activité pour gagner en légitimité.
 
Dans ce contexte intervient la loi Sapin 2 relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie publique. Cette loi a deux champs d’intérêts. Elle concerne dans un premier temps la lutte contre la corruption et dans un second temps, elle concerne toutes les personnes susceptibles d’être considérées comme des représentants d’intérêts et met à leur charge des obligations visant à assurer la transparence de leurs activités de lobbying.
 
En effet, la loi sapin définit sous son article 25 les représentants d’intérêts qui sont : 
 
«  les personnes morales de droit privé, les établissements publics ou groupements publics exerçant une activité industrielle et commerciale, les chambres de commerce et de l’industrie et les chambres des métiers et de l’artisanat, dont un dirigeant, un employé ou un membre a pour activité principale ou régulière d’influer sur la décision publique, notamment sur le contenu d’une loi ou d’un acte réglementaire en entrant en communication notamment avec un membre du gouvernement ou un membre de cabinet ministériel ; un parlementaire ou collaborateur parlementaire ; un collaborateur du président de la République ; certains membres d’une autorité administrative indépendante ou d’une autorité publique indépendante ; le président d’un conseil régional ou un conseiller régional ».
 
La généralité des termes employés pour définir la représentation d’intérêts englobe potentiellement toutes les personnes qui sont en relations avec la puissance publique dans le cadre de leurs intérêts. Ce qui induit une appréhension stricte de la notion pour une vie publique plus ordonnée. 
 
Le statut des représentants d’intérêts après l’encadrement juridique de la loi Sapin 2
 
Il n’y avait pas auparavant de disposition législative ou règlementaire française de portée générale régulant l’activité de représentation d’intérêts ou de lobbyiste avant l’entrée en vigueur de la loi Sapin 2. Il existait des règlementations sectorielles instaurant des répertoires de représentants d’intérêts, tels que le registre de transparence commun au parlement.
 
Le sens de représentant d’intérêts a depuis lors un sens élargi en vertu de l’article  25 de la loi Sapin 2.
 
Ces obligations peuvent être classées en deux groupes : Les obligations déclaratives et les obligations déontologiques :
 
Concernant les obligations déclaratives elles considèrent les actions de représentation d’intérêts effectuées au cours d’une période donnée, ainsi que les moyens leur étant alloués. Cela se concrétise notamment pour les représentants d’intérêts par :
  • l’obligation de s’inscrire sur un registre dédié.
  • l’obligation, ensuite, à des échéances régulières, de remettre un rapport recensant l’ensemble des actions de représentation d’intérêts effectuées ; soit, à cet effet, l’obligation de mettre en place des procédures internes permettant de garantir la traçabilité de ces actions et de déterminer l’investissement financier qu’elles représentent.
  Il s’agit des règles définies respectivement par chaque assemblée parlementaire. L’article 18-4 de la loi du 11 octobre 2013 prévoit en effet que « les règles applicables aux représentants d’intérêts au sein de chaque assemblée parlementaire sont déterminées et mises en œuvre dans le respect des conditions fixées à l’article 4 quinquies de l’ordonnance n° 58-1100 du 17 novembre.
 
Que cela soit des obligations déclaratives ou déontologiques, les sanctions encourues vont jusqu’à une année de prison ou une amende de 15 000 €. Dans l’article 18-9 de la Loi Sapin 2 une sanction est prévue en cas de défaut de transmission spontané ou à la demande de la HATVP des informations prévues à l’article 18-3 de la loi. Et dans l’article 18-10 on retrouve la sanction réservée à la réitération de la méconnaissance des obligations déontologiques.Il est prévu que l’intéressé se voit adresser une mise en demeure de la HATVP dans un premier temps. Et dans un second temps, si cette réitération a lieu au cours des trois années suivantes, l’intéressé encourt les sanctions précitées. La peine prévue en matière d’obligation déontologique (article 18-10 de la loi) n’est pas applicable aux représentants d’intérêts auprès des assemblées parlementaires, ces dispositions ayant été jugées contraires à la Constitution.
 
Des obligations de transparence perfectibles
 
La loi Sapin 2 crée de nouvelles obligations à la charge des personnes qualifiées de « représentants d’intérêts ». L’une de ces obligations consiste à s’inscrire sur le répertoire numérique des représentants d’intérêts par le téléservice Agora, premier outil d’encadrement des échanges entre les représentants d’intérêts et les décideurs publics. Le répertoire numérique est géré par la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique (HATVP), autorité administrative indépendante, à laquelle le représentant d’intérêts doit communiquer des informations relatives notamment à son identité et aux actions de représentation d’intérêts qu’il effectue à l’égard des responsables publics.  
 
Toutefois, il est à noter que cette obligation est limitée ce qui la rend perfectible. En effet, les représentants d’intérêts n’ont pas l’obligation de donner l’identité des responsables, ni même leur fonction. Ce qui pose le problème d’une traçabilité véritable.
 
 Selon le rapport d’activité de 2017 de la HATVP, le dispositif tel qu’arrêté
 
« affaiblit les intérêts du législateur sur plusieurs points, en raison notamment de ses exigences extrêmement réduites quant au niveau de détails et au rythme de transmission des informations demandées aux représentants d’intérêts ».
 
La HATVP dénonce par cette occasion les lacunes de la loi Sapin 2 en matière d’encadrement de la loi. Le champ d’application très large de la loi porte en germe les risques de dilution de l’efficacité.  
 
Concernant l’action d’influence sollicitée par un responsable public, le décret du 9 mai 2017 en se référant à l’article 18-2 de la loi du 11 octobre 2013, a déduit que ne pouvaient être considérées comme des actions de représentation d’intérêts que les communications ou interventions faites à l’initiative des représentants d’intérêts. Ainsi ne sont pas des actions de représentation d’intérêts au sens de cette réglementation et tel que le précise la HATVP dans ses lignes directrices, les communications se déroulant dans le cadre d’une audition organisée par un responsable public, de même que l’envoi d’éléments sollicités par un responsable public. 
 
L’affaire Amis de la terre contre le conseil constitutionnel en est le parfait exemple. En effet, d’après Juliette Renaud, responsable de campagne sur la Régulation des multinationales aux Amis de la Terre France : « Nos enquêtes montrent indéniablement qu’un lobbying croissant est fait auprès du Conseil constitutionnel. Dans de nombreuses décisions, il a censuré des dispositions de loi au nom de la défense de « droits et libertés » des entreprises, et au détriment de l’intérêt général. ». Cette déclaration fait suite au rapport « les sages sous influence ? Le lobbying auprès du conseil constitutionnel ». 
 
Il semblerait donc que le fait de limiter des actes d’influences aux seuls agissements des personnes privées est un élément qui permet de justifier les limites du dispositif. Cependant, peut-on réellement considérer les actes d’influence de la personne publique comme du lobbying ?  

Olivier de MAISON ROUGE
Avocat - Docteur en Droit



(1) HARBULOT C. et DELBECQUE E., « La guerre économique », Presses Universitaires de France, Coll. Que sais-je ?, 2011, p. 55
 
 
 


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