Journal de l'économie

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Objets animés avez-vous donc une âme…





Le 6 Mai 2021, par Nicolas Lerègle

Nous sommes certainement à l’aube d’une révolution dans le domaine militaire. Elle n’est pas mineure, même si présentée avec un luxe de précautions pour en atténuer la portée, car elle va ringardiser tout un pan de la science-fiction qui voyait cohabiter dans un futur lointain hommes et robots dans les mêmes combats.


Objets animés avez-vous donc une âme…
Selon le comité d’éthique de la défense qui, en décembre, avait approuvé le principe du « soldat augmenté », celui-ci s’est prononcé fin avril en faveur des systèmes d’armes létaux intégrant de l’autonomie (SALIA). On ne doit pas minorer l’importance de ce « I » qui distingue une arme autonome, mais commandée et activée par l’homme du « robot tueur » qui agit de sa propre autonomie sur la base de son programme. Il ne faut pas cependant y voir une opposition éternelle dans la mesure où la France se doit de disposer d’une armée qui ne soit pas sous-équipée par rapport à de potentiels ennemis.

Toute la difficulté, typiquement française, car d’autres pays ne s’embarrassent pas de telles prévenances, est donc de faire accepter une première étape (SALIA) en attendant la seconde, à terme, d’armes complètement autonomes (SALA).

Passer du soldat augmenté, c’est-à-dire doté de technologies ou de médicaments le rendant plus performant, ce qui se fait depuis l’aube des temps, aux robots tueurs n’est pas sans conséquence sur notre rapport à la guerre et à son déroulé. Au siècle dernier avec les drones se posait la question de leurs pilotes qui, au début, confondaient quelque peu le maniement de leurs armes et un jeu vidéo dans une logique digne de la Stratégie Ender. Si on s’affranchit de l’humain dans la gestion opérationnelle du combat on se placera dans une opposition hommes/machines poussée à l’extrême qui ne sera pas sans effet sur notre rapport à l’ennemi.

Toute déshumanisation du combat est source de dérives, dès lors que se battre et neutraliser un ennemi se fait de façon désaffecter ou désincarner. Il y a dans ce constat un paradoxe effrayant.
Mener une guerre sans se doter des moyens de son ennemi c’est assurément la perdre (exemple récent du conflit dans le Haut-Karabakh), la faire avec les mêmes armes ne signifie pas pour autant gagner (Iran/Irak), disposer d’un armement supérieur c’est une chance de victoire (Hiroshima) en acceptant de franchir un cap dans les pertes infligées.

Il y a là une comptabilité morbide qui rappelle que le vainqueur a toujours raison !

Dans cette question de multiples angles de réflexion vont se développer.
Éthique, déontologie, philosophie, droit, économie et tant d’autres qui vont nous interpeller sur cette évolution inévitable convient-il de souligner.

Sans trop s’avancer, ce qui a été possible avec le nucléaire et les traités de non-prolifération ne sera certainement pas de mise pour des armes qui ne sont pas, à ce stade, vues comme de destruction massive.

Aux robots tueurs ou plutôt militaires, on peut penser que les lois de la robotique d’Asimov ne seront assurément pas programmées, elles seraient un contresens.

Bien au contraire leur but sera de neutraliser un ennemi humain et paradoxalement de laisser à des humains informaticiens le soin de neutraliser, de leur côté, les robots militaires informatisés du camp opposé. Révolution copernicienne de l’art de la guerre qui ne se voudra plus seulement asymétrique dans les équipements, mais aussi dans les “duels”.

Il y aura, peut-être, dans le futur des évolutions des “lois de la guerre” pour encadrer l’usage ou les conséquences de celui-ci de tels équipements en évitant de penser qu’ils puissent franchir la frontière entre autonomie et indépendance.

N’envisageons pas cette hypothèse digne du scénario de Terminator, mais les progrès sont si rapides en la matière.
Ajoutons qu’aux évolutions techniques se mêlent des considérations géopolitiques d’opposition entre les États-Unis, la Chine, la Russie…et peut-être l’Europe qui voient dans ces équipements une manière de marquer leurs présences, à moindre coût humain, dans des espaces éloignés de leur base nationale.

Et ne nous trompons pas il ne s’agit pas, bien au contraire, d’armes « du pauvre » que ces robots militaires. Tout laisse à penser qu’ils vont faire l’objet d’une compétition de même nature que celle qui a prévalu dans les années 80 avec la « guerre des étoiles » initiée par Reagan. Et que le gagnant de cette compétition marquera notre monde de son empreinte tant militaire que diplomatique, mais aussi technologique et économique.

Malheur au vaincu aujourd’hui (ou demain) comme hier en somme.
Bien entendu la question du droit constitue un filigrane intéressant de ces nouvelles armes.
Rester dans la logique de la responsabilité d’un individu ne semble pas applicable à des robots totalement autonomes, ce qui ne serait pas le cas pour les SALIA. Assumer que chaque conflit, qui ferait intervenir de façon massive ce type d’armes avec des dommages collatéraux importants, doit déboucher sur un tribunal de Nuremberg ne semble pas non plus une option viable.
Si nous sommes dans une approche d’armes intégrant de l’autonomie les règles actuelles de droit ont vocation à s’appliquer puisqu’il y a l’assurance d’avoir un humain derrière la console qui commande le robot.

Si nous évoquons les armes totalement autonomes, la responsabilité ne peut pas être celle de l’opérationnel, mais devra être recherchée au niveau hiérarchique supérieur soit à celui du politique qui, théoriquement, engage un conflit et autorise l’usage de tel ou tel équipement. Et ce dernier devra donc en accepter les responsabilités, ce qui peut être une forte barrière à leur usage inconsidéré.

Maintenant le choix n’existe pas vraiment de mettre en place SALA ou SALIA, c’est juste une question de moyens et non de volonté, car ces armes sont conventionnelles et ont vocation à être utilisées sur un théâtre d’opérations classique. On peut espérer qu’à défaut d’avoir une âme ces objets animés auront un programme fondé sur une IA intégrant des règles, a minima, d’éthique.
Il faut bien rêver.
 
 


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