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À Zürich, à l’écoute de la nature avec les artistes chinois





Le 27 Octobre 2020, par Christine de Langle

Le récent confinement, la peur liée à la pandémie et la menace d’un reconfinement ont transformé le regard des citadins sur la nature qui devient un refuge face aux dangers de la concentration urbaine. Depuis plus de mille ans, ce lien entre l’homme et la nature est au cœur des recherches des peintres et lettrés chinois. L’exposition du musée Rietberg à Zurich, Nostalgie de la nature - L’art chinois à l’écoute du paysage en offre un dialogue passionnant, de la peinture de paysage la plus traditionnelle à son expression contemporaine.


Musée et parc Rietberg, Zurich
Musée et parc Rietberg, Zurich
Un écrin végétal

Pour entrer dans ces paysages, quelle meilleure introduction qu’une promenade dans le parc Rietberg qui abrite le musée éponyme. Biens culturels d’importance nationale, le parc et sa villa attenante (aujourd’hui Musée Rietberg) ont été créés dès 1855 et repris à la fin du siècle par une famille industrielle de Winterthur, les Rieter. Depuis 1945, ils sont la propriété de la ville de Zurich. Avec une superficie de 7 hectares, le plus grand parc paysager de Zurich qui possède encore quelques hêtres d’origine, est l’œuvre du paysagiste Théodor Froebel et de son fils Otto. Ils sont liés à l’essor du jardin bourgeois dans le contexte de l’industrialisation et de l’émergence des villes. Leurs projets déterminent aujourd’hui encore l’apparence de Zurich, depuis les parcs sur les rives jusqu’au parc Rieter. Par temps clair, on peut apercevoir les Alpes de Glaris, ce qui donne une impression de perspective infinie.
 
Un musée récemment agrandi

Le musée est composé de plusieurs bâtiments : la Villa Wesendonck contruite pour la famille Wesendonck, la Villa Schonberg – Richard Wagner y a composé Tristan et Isolde ainsi que les Wesendonck Lieder – et une extension construite par les architectes Alfred Grazioli et Adolf Krischanitz, qui a ouvert ses portes en 2007. De couleur verte, le pavillon de verre que l’on appelle « L’émeraude » vient couronner ce nouvel édifice. Les salles abritent des expositions temporaires et la collection permanente.
Le Musée Rietberg a plus que doublé sa surface d’exposition depuis qu’a été construit le nouveau bâtiment en 2007. Pour la première fois, des œuvres d’Asie, d’Afrique, d’Amérique et d’Océanie, qui jusque-là n’avaient jamais été exposées, sont accessibles au public. Désireux de présenter les chefs-d’œuvre tels qu’en eux-mêmes, le musée a sciemment renoncé à disposer panneaux de texte, cartels détaillés, cartes géographiques ou écrans clignotants dans les salles de la collection.

 Un mécène banquier et amateur d’art

Les œuvres d’art du banquier et mécène Eduard von der Heydt constituent le fond de la collection permanente. Après la Seconde Guerre mondiale, il fait don de sa collection d’art extraeuropéen à la Ville de Zurich, tandis que sa collection européenne rejoint Wuppertal, sa ville natale. La fondation du Musée Rietberg en 1952 l’a pleinement occupé durant les dernières années de sa vie. Jusqu’à son décès, il reste un mécène et un promoteur important du Musée. Son héritage – les chefs-d’œuvre de sa collection et le concept d’« ars una », un seul art – constituent encore aujourd’hui l’identité du Musée Rietberg.

Yang Yongliang (né 1980), Phantom Landscape, daté 2010, video, 3:23 min, dslcollection, Paris, © Yang Yongliang, avec l’autorisation de Yang Yongliang Studio
Yang Yongliang (né 1980), Phantom Landscape, daté 2010, video, 3:23 min, dslcollection, Paris, © Yang Yongliang, avec l’autorisation de Yang Yongliang Studio
L’exposition «Nostalgie de la nature - L’art chinois à l’écoute du paysage»

L’originalité de l’exposition réside dans la confrontation des grands maîtres de l’art du paysage classique et moderne avec des artistes chinois contemporains. Pour la première fois en Europe 80 œuvres (peintures, photographies, installations et vidéos) dressent un panorama de l’art chinois et ouvrent un dialogue entre la tradition et la modernité. Dialogue riche qui dévoile des recherches similaires par delà les siècles et qui fait des peintres contemporains les héritiers des peintres classiques.
On y découvre Shitao, moine-peintre (1642-1707) contemporain de Nicolas Poussin, ou des peintres écrivains, tel Gao Xingjian, prix Nobel de Littérature en 2000 ou encore Lin Tianmiao (née en 1961) figure majeure de l’avant-garde.
 
Aujourd’hui, la vie urbaine apparait néfaste et la nature, bienfaisante. Est-ce un des effets de cette vie moderne mondialisée ? « Être lié et prisonnier de la saleté et du vacarme du monde, l’être humain en a naturellement horreur. Vagabonder librement entre les sources et les rochers, il s’en réjouit naturellement », écrit le célèbre Gui Xi, peintre et théoricien du 11e siècle. Pour lui, la peinture va bien au-delà de la ressemblance, le plus important est de suggérer un effet poétique avec le pouvoir créateur de la nature. Que ce soit pour fuir les luttes de pouvoir de la cour impériale, un burn-out professionnel, la pollution environnementale ou un matérialisme effréné, la nature parait être le refuge absolu.

Gong Xian (1619–1689), Mille pics et ravines en myriades, dynastie Qing, vers 1670, rouleau vertical, encre sur papier, 62 × 102 cm, donation Charles A. Drenowatz, © Museum Rietberg, photo: Rainer Wolfsberger
Gong Xian (1619–1689), Mille pics et ravines en myriades, dynastie Qing, vers 1670, rouleau vertical, encre sur papier, 62 × 102 cm, donation Charles A. Drenowatz, © Museum Rietberg, photo: Rainer Wolfsberger
Taoïsme et Shanshui

La dynastie Ming (1368-1644) voit l’apogée de la peinture de paysage avec l’émergence de l’artiste lettré qui allie trois formes d’art, peinture, calligraphie et poésie. La pensée extrême-orientale nourrie de philosophie taoïste repose sur l’harmonie cosmique entre l’homme et la nature. L’homme par analogie est un cosmos miniature. Léonard de Vinci, en son temps, ne dit pas autre chose. La peinture de paysage n’est pas une simple représentation de la nature, elle reflète les forces du cosmos et son ordre. La peinture doit aussi être l’expression de valeurs éthiques, car dans la pensée confucéenne, le beau doit être moral.
Le paysage devient un lieu de réflexion, un modèle d’ordre social idéal. On parle de « paysage mental » ce que traduit le terme chinois Shanshui, qui désigne deux constantes du paysage chinois « montagne - eau ». Les montagnes sont ces lieux-frontières où la nature côtoie le sacré et l’eau dit la fluidité et le transitoire de toute vie humaine.
 
Le grand bouleversement du 20e siècle

Shanghai, petit village de pêcheurs au début du 20e siècle, devient un « Paris de l’Est », la grande ville cosmopolite où tous les styles se côtoient. Pendant la Révolution Culturelle (1966-1976) tout ce qui peut rappeler un environnement confucéen est dénoncé au profit du réalisme socialiste. Dans les années 80, des réformes concrétisent l’ouverture de la République populaire de Chine. Les artistes privés depuis vingt ans de l’art occidental et de leurs propres traditions culturelles y ont de nouveau accès. L’avant-garde chinoise se nourrit d’influences de l’Occident, puis la modernisation rapide du pays pousse les artistes à se tourner vers leurs racines pour les approfondir.
Aujourd’hui, la peinture millénaire Montagne Eau est la source d’inspiration de nombreux artistes confrontés à leur propre réalité.
Quand Yang Yongliang dessine la silhouette des villes de gratte-ciels contemporaines en forme de chaîne de montagnes, il replonge aux racines de la pensée chinoise et s’inscrit dans la longue tradition du paysage Shanshui, (montagne - eau), autre image de l’opposition et interdépendance Yin-Yang.
En 2007, Yao Jui-chung, jeune peintre de l’avant-garde, au bord de du burn-out, va se réfugier dans la solitude des montagnes écossaises. Il renoue avec la nature et comprend enfin les anciens préceptes chinois « regarde les montagnes et les objectifs de chacun seront évidents, regarde l’eau et tu trouveras la sérénité ». C’est le départ d’une période d’intense créativité.
Si les œuvres contemporaines exposées (1995-2016) parlent souvent de destruction de l’environnement, d’urbanisation ou de pollution, elles reflètent surtout l’aspiration à retrouver l’unité perdue de l’homme avec la nature.
 
https://rietberg.ch/fr/
 
Christine de Langle, fondatrice d’Art Majeur
www.art-majeur.eu
 


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