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Christophe Viellard, Les Hénokiens : « La famille, meilleur mode de transmission d’une entreprise »





Le 3 Septembre 2014, par La Rédaction


Le club des Hénokiens décerne chaque année le « prix Léonard de Vinci ». En quoi consiste-t-il ? L’édition 2014 sera-t-elle placée sous un signe particulier ?

Nous considérons que l’industrie a commencé avec Léonard de Vinci, ingénieur-technicien de génie qui donnait la priorité à l’expérience, base de la technologie sur laquelle se fonde la production.

Nous avons décidé de créer ce prix avec François Saint Bris, président de l’Association des Amis de Léonard de Vinci et du « Clos Lucé », dernière demeure de Léonard à Amboise. Il récompense une famille propriétaire et dirigeante d’une entreprise mondiale depuis au moins trois générations, pour sa capacité exceptionnelle à transmettre aux générations futures un ensemble de valeurs et de savoir-faire qui constituent un patrimoine intangible et vivant. La pérennité d’une société est dans sa créativité, ses dessins, ses produits, ses tours de main, etc. Celle d’une famille est dans sa tradition, sa foi, sa fidélité, son attachement à des valeurs humaines éternelles. Le prix Léonard de Vinci célèbre cette alliance de la famille et de l’entreprise, gage de longévité.

Ce prix a été décerné à l’entreprise Salvatore Ferragamo, de Florence, en 2011, à Otto Bock Healthcare, de Berlin, en 2012, et à Daher, de Marseille en 2013. L’année 2014 verra une entreprise japonaise être récompensée. Le résultat est encore secret, mais le prix sera remis par des personnalités de la famille de l’Empereur du Japon.

Vous êtes vous-même à la tête de Viellard Migeon & Compagnie, une entreprise dont l’origine remonte à 1679. Le groupe, présent à l’international, emploie aujourd’hui plus de 10.000 salariés. Comment expliquez-vous cette longévité et cette performance ?

Je ne suis que le président non exécutif de ce groupe qui contrôle avec deux autres familles voisines et amies, la famille Kohler et la famille Peugeot, la principale activité d’assemblage automobile et aéronautique dans laquelle nous sommes présents depuis toujours.

Les dirigeants familiaux de notre entreprise sont les héritiers responsables de la pérennité d’une aventure industrielle et financière, plusieurs fois centenaire, débutée à Lepuy Gy, au pied du Ballon d’Alsace, du temps de Mazarin, et qui se perpétue depuis 1796 à quelques kilomètres de là, dans le même département du Territoire de Belfort, dans les villages des Forges de Méziré, de Morvillars et de Grandvillars.

Viellard-Migeon et Cie, VMC, qui a débuté dans la forge et l’étirage du fil machine, a diversifié ses activités industrielles au cours des siècles et a su durant ces quarante dernières années, se transformer progressivement dans un holding financier qui s’est réinvesti, à des degrés divers, dans les activités d’origine. A côté de la gestion des propriétés immobilières et foncières locales, l’activité de « visserie-boulonnerie » débutée en 1827 dans la tréfilerie de Grandvillars, est aujourd’hui représentée par un total de participations directes et indirectes d’environ 23% dans le groupe LISI, spécialisé dans la fabrication de fixations pour l’automobile et l’aéronautique, coté à Paris, et qui emploie plus de 10 000 personnes dans le monde. L’activité de production d’hameçons, née en 1910, est représentée maintenant par une participation d’environ 35% dans le groupe « Rapala-VMC », coté à la bourse d’Helsinki, et qui emploie 3 000 personnes dans le monde. L’activité de production d’électrodes, créée en 1950, a donné naissance à « FSH Welding Group », filiale de VMC, employant environ 300 personnes et spécialisée dans la fabrication de consommables de soudure.

Notre longévité « hénokienne » s’explique avant tout par notre fidélité à toutes les techniques de transformation de notre produit d’origine - le fil machine -  à une population, à une région, à nos villages d’origine dans le Territoire de Belfort … et à une foi chrétienne comme à un ensemble de traditions novatrices toujours vivantes, dans la continuité de notre devise familiale, dictée par notre fondateur, qui est de « rester unis ». 

Y’a-t-il, en France, des freins au développement du capitalisme familial selon vous ?

En France, le pouvoir politique ne respecte pas l’entreprise. Entre « cartésianisme » et « volonté centralisatrice », la France a perdu ses cultures locales comme sa culture d’entreprise. La représentation du monde économique dans les instances politiques nationales et régionales et au Parlement, est devenue quasiment inexistante. Ce n’est malheureusement pas nouveau. L’immense majorité des hommes politiques, des fonctionnaires et des médias, ont une bien pauvre culture industrielle.

La formation du personnel confiée à une « Education Nationale » très chère et particulièrement incompétente dans ces domaines, le respect des valeurs régionales, l’apprentissage qui a été sabordé, le temps de travail, le coût du travail et la fiscalité comptent, à mon avis, parmi les principaux freins au développement économique et industriel de la France.

A la différence de l’Allemagne ou de l’Angleterre, nous avons depuis la seconde guerre mondiale progressivement tué notre culture industrielle et entrepreneuriale. Pour tenter de s’en sortir, de nombreux entrepreneurs ont dû transférer leurs activités dans des pays à bas coût de main d’œuvre. Les avantages financiers attendus se sont malheureusement payés par l’abandon de savoir-faire ancrés depuis des siècles dans des cultures industrielles locales autrefois pérennisées dans des écoles d’apprentissage d’entreprise qu’elles ont été forcées d’abandonner. A l’inverse, les sociétés membres des Hénokiens portent un message de fidélité dans la durée. Plus que toutes les autres, elles inscrivent le travail de l’homme dans la durée, avec respect et avec amour.

Après des siècles d'existence, les sociétés membres de notre association "les Hénokiens" sont la preuve toujours vivante que la famille est le meilleur mode de transmission possible d'une culture, d'un savoir, d'une ambition généreuse, d'un attachement fidèle à la terre de ses ancêtres et à ses habitants. Depuis des siècles, ces entreprises modernes qui font partie de notre histoire, sont tournées vers l'avenir et cette capacité unique et fascinante est aussi un secret familial, une culture profonde et respectable. Elles sont ainsi devenues la mémoire vivante de métiers millénaires et de patrimoines industriels d'une grande richesse qu'elles défendent dans l'intérêt général comme dans celui de toutes les sociétés familiales du monde !
 
 
 


Christophe Viellard
Christophe Viellard
En plus de ses fonctions actuelles de Président du Conseil d'Administration de Viellard Migeon et Cie, Christophe Viellard a été président de l’association des Hénokiens de 2009 à 2013*.

*Willem Van Eeghen (Van Eeghen Group à Amsterdam) remplace désormais M. Viellard à ce poste depuis le 1er janvier 2014

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