Journal de l'économie

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L’agriculture sacrifiée





Le 12 Mars 2024, par Daniel Monforte

La grogne des l’agriculteurs ces dernières semaines en Europe a mis en lumière une problématique profonde du secteur agroalimentaire. Cette crise s’articule à deux niveaux. En premier lieu elle révèle, ou plutôt nous rappelle que le secteur agricole n’est plus à même d’assurer la prospérité, voire la survie, de tous nos exploitants. Second aspect, cette crise illustre une faille majeure de notre système économique : souveraineté, autosuffisance et sécurité alimentaire ne sont plus assurées dans ce vaste ensemble en construction.


            Essayons dans un premier temps de comprendre par les différentes revendications des agriculteurs.
            La première évidence est qu’il s’agit d’un mouvement européen. Étonnamment, la colère part cette fois du nord de l’Europe, région traditionnellement soumise à l’ordre, plutôt obéissante à la parole publique et à l’autorité de l’État. Il s’agit de l’Allemagne et des Pays-Bas. Puis le mouvement gagne la très colérique France, contamine la très tranquille Suisse, puis prend l’Espagne et l’Italie. Le plus troublant, troublant parce que nouveau, étant qu’il se propage avec la même force de conviction dans l’ancienne Europe de l’Est. Roumanie et Pologne en tête, pays généralement davantage bénéficiaires que contributeurs de la construction européenne.
 
            Tout commence à la mi-janvier. Rapidement, on s’adresse directement à Bruxelles. Mille tracteurs y défilent devant le Parlement européen le jeudi 1er février alors que se tient une réunion extraordinaire du Conseil. Les causes de mécontentement sont disparates selon le pays. Voyons-les ici en détail.
 
  • Les taxes sur le gasoil. En Allemagne comme en France, le gasoil utilisé pour l’agriculture n’est pas soumis aux mêmes taxes que le gasoil des transports. Le gouvernement d’Olaf Scholz décide de supprimer cet avantage fiscal. Nuisible au climat, selon lui. En réalité, si l’on veut bien croire Mme Alexandra Kirsch, du groupe de réflexion « Agriculture stratégies », il s’agit surtout de trouver les moyens de boucler son budget en augmentant les recettes. Budget mis à mal depuis le sabotage de Nord Stream. Merci Madame, de nous confirmer ce dont nous avions l’intuition. L’Écologie est ici le paravent vertueux d’une opération injuste et bassement comptable.
  • La réduction des pesticides autorisés. Le Pacte vert européen, imposé depuis 2019, réduit mécaniquement la productivité. S’il est indispensable en effet de préserver la santé des agriculteurs de l’Union en réduisant leurs expositions à des produits cancérigènes, accessoirement aussi de protéger la santé des consommateurs, ce changement de paradigme doit être accompagné. Offrir aux agriculteurs des produits alternatifs pour retrouver le rendement que leur permettaient les produits désormais interdits est indispensable. Et si cela prend du temps, compenser la perte de chiffre d’affaires par des subventions indissociables du Pacte vert ne devrait pas poser question.
  • La limitation des rejets d’azote. Elle a pour effet la réduction du cheptel des éleveurs. Ce qui est un frein à leur activité et à leur chiffre d’affaires. Pour les Pays-Bas ce problème remonte à l’automne 2019. Un député de centre gauche proposa de réduire la production de moitié. En conséquence de quoi la colère n’a pas cessé depuis. En juin 2022 la ministre néerlandaise de la nature et de l’azote décide de réduire de 70 % les émissions. Cette décision était corrélée à celle de la Cour suprême des Pays-Bas de décembre 2019, de réduire les émissions de gaz à effet de serre de 25 % d’ici 2020. La décision politique est indubitablement celle de réduire la part de l’élevage dans l’économie nationale, pour des raisons purement idéologiques. Le retournement des pancartes de noms de villes vient de ce mouvement néerlandais, qui avait commencé par retourner le drapeau national.
  • La concurrence déloyale. En Roumanie ou en Pologne, et plus encore dans les pays aux confins asiatiques de l’Europe comme la Slovaquie, la Hongrie et la Bulgarie, les céréaliers sont victimes de l’afflux sur le marché du blé non régulé venant d’Ukraine. Impuissant, le ministre de l’agriculture polonais a démissionné en avril 2023. Ce qui était un aveu d’échec et d’impuissance. En novembre les céréaliers ont bloqué les points de passage du blé ukrainien. La revendication de ces agriculteurs polonais est une remise à plat complète de la Politique agricole commune. Outre l’Ukraine, les importations venant du monde entier ne respectent généralement pas les normes auxquelles ils sont soumis. Les manifestations en Pologne se poursuivaient ce mardi 27 février encore. La revendication est un retour à une politique de protection au niveau national et le retrait total du Pacte vert européen.
  • La régulation de toute la chaîne du marché intérieur, du producteur au consommateur. Comprenant donc négociants, transporteurs, transformateurs, distributeurs. En France la loi Egalim de 2018 était censée assurer une juste rétribution des producteurs. Il s’agissait d’inverser la construction du prix : partir du coût de production et non plus du prix proposé au consommateur. Insuffisante puisque survient le Pacte vert l’année suivante, le dispositif est complété par Egalim 2 le 18 octobre 2021. Mais là encore, il s’avère insuffisant. L’obligation d’un contrat écrit est exposée à dérogations. Par exemple en deçà de seuils annuels de chiffre d’affaires. Un mécanisme de révision des indicateurs de prix et du marché est mis en place, mais il dépend de la communication de ces indicateurs par les organisations interprofessionnelles. Le résultat est un alourdissement de la charge administrative. Des complications auxquelles les plus petites exploitations ne peuvent faire face. Avec un tel système, le producteur ne fixe pas ses prix lui-même. Ils demeurent soumis à une réglementation toujours plus complexe. Le dispositif mis en place dans le secteur agricole a échoué à s’imposer comme équivalent à ce qui existe dans le secteur culturel. À la loi sur le livre, par exemple, où le prix unique est censé être garanti depuis quarante ans. À l’exception culturelle française organisée pour le cinéma, lui permettant survie et prospérité malgré la concurrence féroce de Hollywood.
  • L’accompagnement de l’État dans l’adaptation au changement climatique. Les agriculteurs italiens et espagnols sont victimes d’une baisse de leur production en raison de la sécheresse inhabituelle survenue ces dernières saisons. Le choix doit être fait entre abandonner certaines régions, car devenues non cultivables, ou subventionner de nouveaux investissements d’irrigation, massifs et indispensables. Événement notable, les agriculteurs espagnols ont bloqué l’autoroute reliant les catalognes française et espagnole dans les deux sens. Notable parce qu’il s’agit de dénoncer les importations de produits hors UE, importés via la France. Autre signe d’une agriculture espagnole qui a perdu sa rentabilité, on dénonce là-bas aussi une bureaucratie et des normes devenues trop lourdes.
  • La diminution du budget de la PAC. Il a été réduit de 90 milliards d’euros en 20 ans. Cette tendance n’est pas compatible avec la demande toujours accrue de nouvelles normes, toujours plus contraignantes.
           
            Les dysfonctionnements dénoncés par les producteurs sont manifestement nombreux, et disparates. La sortie de crise ne pointe pas le bout de son nez pour l’instant. Les remèdes proposés ne semblent pas toujours à la hauteur des enjeux. Pour comprendre la stratégie de l’Union, observons maintenant les réponses données à l’échelon des différents gouvernements nationaux.
            En Pologne la situation a été provisoirement débloquée en janvier. Le blé ukrainien continue de rentrer à tout-va, mais le manque à gagner est compensé par une subvention du Gouvernement. Le médicament antidouleur ne semble pas suffisant pour éliminer complètement la révolte, puisque le 24 janvier, cent soixante routes étaient encore bloquées par les agriculteurs.
            En Roumanie, même ordonnance médicale. Le ministre de l’Agriculture accorde lui aussi une subvention le 15 janvier 2024. Il s’agit cette fois d’un impôt indirect sur la consommation et le commerce. On soigne donc ici aussi les effets, sans s’attaquer à la cause du mal. Avec une telle mesure, ce ne sont plus les agriculteurs qui payent seuls les conséquences de la déloyauté, mais les consommateurs. Ce n’est que déporter le problème et le dommage collatéral sera ici de flatter l’inflation générale des prix.
            Aux Pays-Bas un nouveau parti politique d’agriculteurs, le Mouvement agriculteurs citoyen, le BBB, a fait son entrée au Sénat en mars 2023. Ce parti a été fondé en 2019, l’année du Pacte vert européen. Il est un peu tôt pour mesurer les conséquences politiques, mais si à La Haye l’offre politique nécessitait la fondation de ce nouveau parti c’est que l’on n’en attendait rien.
            En France le nouveau Premier ministre fait une déclaration qui répond immédiatement aux attentes du patron de la FNSEA, au moment du blocage de Rungis. La crise paraît à ce stade désamorcée. Le patron de la FNSEA est-il pour autant un réel défenseur des agriculteurs en difficulté dans ce conflit précis ? Arnaud Rousseau son président est un exploitant de 700 hectares, quand la moyenne de taille en France est inférieure à 100 hectares et que les subventions de la PAC sont accordées à hauteur de la taille des exploitations. Il faut savoir aussi que la FNSEA rémunère ses dirigeants à hauteur de 13 400 € mensuel moyen. Son président est aussi directeur de la société Biogaz du Multien. Il est président du groupe agroalimentaire international Avril, connu pour commercialiser les huiles Isio4, Lesieur et Puget. Avril a réalisé en 2022 un résultat net de 218 millions d’euros. Arnaud Rousseau en tant que dirigeant du groupe Avril est aussi à la tête de la société Sanders, pour le secteur de l’alimentation animale. Ainsi que président de la société d’investissement Sofiproteol, exploitant des biodiésels diester avec sa filiale Saipol. Il est aussi vice-président de la Fédération française des producteurs doléagineux et de protéagineux. Engagé en politique, il est maire de sa commune de Trocy-en-Multien, vice-président de la communauté de communes. Autrement dit M. Rousseau est un millionnaire, un industriel, qui n’a pas dû voir une motte de terre depuis un moment. Réussir sa vie professionnelle n’a pas lieu d’attirer l’opprobre, bien au contraire. Cependant est-il à ce titre le meilleur avocat possible des petits producteurs actuellement en cessation de paiement ? N’y a-t-il pas un problème de représentativité du syndicalisme agricole ? Chacun comprendra que la réponse est dans la question.
 
            Si l’on peut déceler un dénominateur commun entre les différentes causes de mécontentement énumérées plus haut, si l’on peut voir une cohérence entre elles, il apparaît clairement que la pérennité de l’agriculture de l’Union n’est pas une cause érigée au rang de priorité. Les réponses apportées montrent que de nouvelles stratégies motivent manifestement l’exécutif européen. L’UE se veut vertueuse écologiquement, budgétairement, et conforme à l’effort de guerre actuel.
            Pour répondre aux conséquences de ces nouvelles orientations, pour répondre à la grogne agricole et au mécontentement populaire, les choix politiques indiqués à l’instant comme stratégiques ne sont pas remis en cause. Bien au contraire, si le manque à gagner est compensé par un système de subventions, c’est l’aveu que la compétitivité est sacrifiée. C’est bien que l’on n’envisage pas de rétablir une pérennité du secteur agricole. Celui-ci est bel et bien sacrifié et on accompagne simplement ce sacrifice pendant la transition économique. Cette transition économique est celle de l’abandon du secteur agricole, comme il y a trente ans nous abandonnions le secteur industriel.
            Ce choix est court-termiste puisqu’il faudra nécessairement faire machine arrière à un moment ou à un autre. En attendant ce retour à la raison, l’exécutif en France poursuit sa politique d’exécution en règle du secteur agricole en promettant un chimérique prix plancher garanti au producteur. Car si prix plancher il y a dans un contexte où le marché est ouvert et les importations gardent liberté de prix, les producteurs français perdent mécaniquement toute compétitivité face aux produits importés. La parade imaginée à cela par le syndicat Confédération paysanne consistait à fixer également un prix minimum d’entrée sur le territoire des produits équivalents. Cette proposition est de logique protectionniste, ce qui est idéologiquement une solution inacceptable pour Bruxelles comme pour le président Macron. Ce dernier mentait donc effrontément sur ce sujet en faisant une proposition la semaine dernière dont il savait que, soit elle ne verrait jamais le jour, soit elle serait pour le secteur agricole français, le coup final d’un matador en costume sang et or.
            Autre dommage collatéral du mensonge présidentiel, le divorce entre gouvernants et gouvernés continue de s’aggraver en Occident, fragilisant toujours davantage ce qui subsiste de démocratie.
 
            Allons enfin jusqu’au bout de cette logique politique. Nous avons vu que le respect des normes écologiques est demandé aux agriculteurs sur l’espace communautaire afin de réduire la part de ce secteur dans l’Économie. Cette baisse est aggravée par la concurrence déloyale. Les mêmes normes ne sont pas exigées sur les importations afin de créer les conditions de cette déloyauté. Ainsi il est clair que le Pacte vert n’est qu’un moyen politique de délocaliser une agriculture polluante, tout en exécutant corps et bien l’agriculture raisonnée. Pour au final, c’est-à-dire au niveau planétaire, un mépris total du progrès environnemental. La politique agricole européenne n’a donc actuellement pour objectif ni le respect des normes environnementales ni la pérennité de l’agriculture européenne. Elle n’a pour objectif, dans la poursuite de l’idéologie d’une économie globalisée, que la délocalisation hors d’Europe d’un secteur agricole qui restera polluant.
 
 
            Partant de ces conclusions très concrètes, voyons maintenant de quoi il est question lorsque l’on entend parler au sujet de l’alimentation, de souveraineté, de sécurité et d’autosuffisance.
 
            L’autosuffisance alimentaire est la possibilité pour un pays de subvenir aux besoins de bouche de son peuple par sa seule et propre production. Autosuffisance ne veut pas dire autarcie. Autosuffisance ne veut pas dire que l’on n’échange pas avec les autres. Si l’on n’a pas le climat par exemple pour l’exploitation de produits tropicaux, un pays autosuffisant sur l’essentiel achètera ce complément. Ce qui ne réduira que marginalement son taux d’autosuffisance alimentaire. En contrepartie de quoi il pourra vendre ce que l’écosystème auquel il est soumis pourra produire. Là réside le principe des accords de commerce bilatéraux ou internationaux, qui ne sont que la transposition au niveau international du système tacite et naturel entre individus : le don et le contre-don. Les droits de douane sont régulés en fonction de la réciprocité et de l’équilibre de la balance import-export entre deux pays ou un ensemble de pays signataires d’un accord de commerce international.
            L’autosuffisance est donc le moyen par lequel un pays s’extrait ou tente de limiter sa dépendance avec ses partenaires. L’épisode covid a brillamment illustré ce concept économique pour d’autres secteurs que l’agroalimentaire. Penser l’économie à l’échelle globale et accepter un taux très bas d’autosuffisances a été se soumettre in fine à la pénurie en période de crise. Maintenir un taux d’autosuffisance élevé est donc un des leviers par lesquels un État se met stratégiquement à l’abri d’une situation de pénurie.
 
            Réalité de toujours, mais concept économique moderne, la sécurité alimentaire. Il est défini en 1996 par la FAO. La sécurité est atteinte lorsqu’un pays s’est assuré l’accès à la nourriture pour la totalité de sa population. Cette notion ne concerne pas le moyen, qui sera indifféremment la production ou l’importation.
 
            La souveraineté alimentaire est encore un autre concept, qui se développe un peu plus tôt, à partir des années 80 du XXe siècle alors que la globalisation de l’Économie, orientée par les Américains, est en plein essor. La souveraineté alimentaire est ce qui permet à un pays d’avoir suffisamment de devises pour accéder au marché global de l’agroalimentaire. Il ne s’agit plus de produire suffisamment pour nourrir sa population, mais d’engranger de la richesse pour acheter ces denrées alimentaires. Ainsi l’accès à l’usure et aux traités internationaux de libre-échange, l’accès au marché international du financement et de l’agroalimentaire, deviennent les deux leviers fondamentaux de la souveraineté alimentaire. On va devoir s’endetter pour manger à sa faim et accepter le libre-échange. Cette notion de souveraineté alimentaire dans le monde global devient donc l’acceptation de l’interdépendance, le renoncement à un taux élevé d’autosuffisance. Ce concept est dans ces conditions un dévoiement incontestable de ce dont on pourrait comprendre intuitivement du concept de souveraineté alimentaire.
            À partir d’une crise alimentaire ou d’une pénurie, on s’aperçoit brutalement de la supercherie. Car l’Économie ne saurait se réduire à une balance des paiements. La notion de souveraineté alimentaire reprend dans la crise son sens premier, celui qu’elle n’aurait jamais dû quitter. Il s’agit pour un État de faire des choix stratégiques. Il n’est donc plus question de laisser les marchés d’un grand ensemble se réguler seuls et se contenter d’avoir les devises nécessaires pour y remplir servilement le caddie national.
 
            Après les famines de la période coloniale et les progrès du secteur agricole au XIXe siècle, l’Europe a été en situation d’autosuffisance alimentaire. Si la révolution industrielle a été possible, c’est aussi parce que des bras étaient libérés des champs. La défaite de juin 1940 remet la France, comme la majeure partie de l’Europe, en situation de pénurie, c’est-à-dire d’insécurité alimentaire. Les faibles productions sont réquisitionnées pour l’Europe nazie en construction et en effort de guerre. Les tickets de rationnement font leur apparition le 23 septembre 1940, mis en place par Vichy. Le nombre de calories par jour et par personne est réglementé. Ce système de répartition et d’accès à la nourriture pour l’ensemble de la population continue après la Libération et ne prendra fin que le 1er décembre 1949.
            Mais ce n’est pas l’autosuffisance recouvrée qui met fin à cette situation de pénurie. C’est l’accès au marché américain, rendu possible par les prêts massifs du plan Marshall, signé en avril 1948. Washington nous prête de l’argent pour acheter sa production alimentaire. C’est le début de la logique économique que l’on nommera plus tard globaliste, laquelle aboutit trente ans plus tard au dévoiement de la notion de souveraineté alimentaire. Grâce au plan Marshall, la pénurie alimentaire est éradiquée ; la sécurité alimentaire est retrouvée, mais pas l’autosuffisance, pas le libre-choix économique des différents pays européens. Le plan Marshall sauve l’Europe de la famine, mais en contrepartie organise les conditions de sa dépendance.
 
            Ainsi le concept de souveraineté alimentaire européenne, cher au discours du locataire actuel de l’Élysée, repose sur une double supercherie. La première est d’évidence : il ne saurait exister une souveraineté européenne puisque ce groupe nominal est un oxymore. L’exercice de la souveraineté ne peut s’appliquer qu’à l’échelon d’une nation souveraine. Il n’existera pas de souveraineté européenne tant que n’existera pas de nation européenne. La seconde est plus subtile : il ne peut exister de souveraineté alimentaire s’il n’y a pas liberté de choix de ce que l’on produit, de ce que l’on achète et de ce que l’on vend. Il ne peut exister de souveraineté alimentaire dès lors que les conditions de pouvoir tout acheter contraignent un pays à assassiner son propre secteur agricole.
            C’est dans cette conscience des enjeux majeurs que les différents chefs d’États membres du Marché commun décident en 1962 une politique agricole commune, ancêtre de notre PAC actuelle. Il s’agit alors d’une orientation productiviste, et non pas régulatrice. De croissance, et non pas décroissante. Il est question de sortir définitivement de la situation de dépendance alimentaire, laquelle on l’a vu, est entretenue par le plan Marshall, ancêtre de nos accords de libre-échange actuels. Les effets de cette politique sont rapides et efficaces. En moins de dix ans la France devient autosuffisante, puis excédentaire. Elle se tourne vers l’export. Pendant trente ans, elle sera le grenier de l’Europe occidentale, à l’époque où l’Ukraine est celui de l’Europe orientale. Le secteur agricole aura été l’un de ceux avec, l’automobile, l’aéronautique ou encore le nucléaire, qui permirent une balance commerciale française systématiquement excédentaire.
            La PAC existe toujours, mais elle a elle aussi été dévoyée de son essence, de sa raison d’être. Elle n’est plus productiviste, mais régulatrice. Elle a organisé les conditions du déclin, du retour à l’époque de la vassalité qu’imposait le plan Marshall. C’est la raison profonde, la cause racine de la grogne de tous les agriculteurs de l’Union.




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