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Macadam Butterfly, de Tara Lennart: « La fiction comme instantané du réel »





Le 8 Février 2019, par La Rédaction

Journaliste, Tara Lennart publie aux éditions Rue des Promenades, un premier livre. Recueil de nouvelles, « Macadam Butterfly » dresse le portrait à vif d’une époque dans toutes ses contradictions, toutes ses hésitations et aspirations à travers une galerie d’individus qui assument leur humanité. Rencontre avec une jeune auteur qui voit dans la forme courte une manière de démocratiser la littérature.


Macadam Butterfly, de Tara Lennart
Macadam Butterfly, de Tara Lennart
Vous êtes journaliste avant d’être auteur, y a-t-il une complémentarité des regards entre les deux manières d’écrire ?

Oui, même si beaucoup d’écrivains français détestent le regard journalistique dans l’écriture et le vilipendent avec hargne. Pour autant, ça ne veut pas dire qu’un bon écrivain sera un bon journaliste ou inversement, même s’il y a beaucoup d’exemples probants dans les deux sens. Mais il y a des paramètres qui se complètent, au niveau de l’équilibre regard / écriture, peut-être, au niveau du point de départ. Sauf qu’en fiction, on décide du sujet, du traitement, de l’angle. La réalité est le bac à sable de la fiction, elle la dépasse assez souvent, d’ailleurs.
 
Pourquoi avoir choisi d’écrire de la fiction et pas de la non-fiction, par exemple ?

Parce qu’il y a un côté « léger » dans la fiction qu’il n’y a pas dans la non-fiction narrative qui demande documentation, rigueur, enquête. Les livres de non-fiction se lisent comme des romans, mais s’appuient sur une rigueur journalistique absolue… Il peut aussi y avoir cet aspect dans la littérature fictionnelle, selon le sujet, mais les exigences ne sont pas souvent les mêmes. Bien sûr il faut être crédible et juste, mais là c’est souvent l’éditeur qui rappelle à l’ordre. Je vois la fiction comme un instantané du réel, un espace où un détail peut prendre une ampleur folle, où l’on choisit quoi faire émerger, aussi, quoi montrer, quoi dire. Cette histoire est vraie puisque je l’ai inventée, disait Vian, et passée la pirouette, c’est une belle définition du regard d’un écrivain. Après, je suis journaliste, fille et petite-fille de journaliste, et il va de soi qu’écrire de la non-fiction fait partie de mes projets à moyen terme…
 
Les écrivains occupent-ils une fonction sociale ou sociologique, pour vous ?

Les artistes disent tous quelque chose, donc forcément les écrivains. Qu’on les aime ou pas, qu’ils s’expriment de manière superficielle ou profonde, qu’il s’agisse d’intellectuels ou de romanciers populaires, oui, ils ont une fonction particulière dans une société. Par leurs propos, leur lectorat, leur portée, ils reflètent les tendances actuelles, les alimentent parfois. Houellebecq ou Musso répondent à des attentes, des angoisses ou des envies. Ils pointent des excès ou des manques de la société. Ils favorisent également un accès à la lecture, hélas encore trop catégorisé et stéréotypé. Beaucoup de gens ne lisent pas par manque de temps, ou par complexe : beaucoup de gens pensent aussi que les romans plus confidentiels sont réservés aux intellos. Et ça, c’est dommage… Bien sûr il y a des livres plus complexes que d’autres, mais la littérature pâtit d’une image élitiste dépassé et un peu déplacée, même si nombreux sont ceux qui l’entretiennent, dans le domaine de l’édition.
 
Vous pensez qu’écrire court permettrait de faire lire plus ? C’est pour ça que vous avez choisi ce genre ?

J’ai choisi ce genre par goût, avant tout. Je lis énormément de nouvelles, particulièrement américaines, et suis souvent époustouflée par ce que certains auteurs transmettent avec leurs textes courts. Cette recherche d’angles extrêmement particuliers, toujours différents de l’un à l’autre même si parfois les thématiques se rejoignent, il n’y a que les américains qui y parviennent. Certains textes sont des bijoux de style, d’images, de sensibilité, de justesse… Et justement, on  peut les lire entre deux portes, dans un transport en commun, et même le soir si on n’a pas trop de temps à consacrer à un roman. Avec la nouvelle, on n’a pas besoin de rentrer dans la densité et l’épaisseur d’un roman pour s’échapper et profiter d’une écriture ciselée et profonde, ou drôle et déroutante. Lire n’est pas une activité réservée aux premiers de la classe ni aux bourgeois, la nouvelle n’est pas le parent pauvre du roman, ça serait bien que la l’image de la littérature française se dépoussière un peu. Et en ce sens, la nouvelle a vraiment une place à prendre, et une place de choix.
 
On rencontre une grande diversité de profils, de situations, de milieux sociaux dans votre livre, pourquoi cette volonté ?

Parce que j’avais envie de montrer la diversité de notre société par les gens, justement. Et en décrivant des personnages confrontés à des situations très différentes, un attentat ou une panne d’ascenseur, je cherche à souligner l’humanité et les paradoxes qui se cachent en nous, ou qu’on choisit de laisser exploser. Il n’y a ni bien ni mal, il y a beaucoup de cynisme et d’humour dans mes textes, mais jamais de mépris ni de caricature. Parfois, les situations sont hors-normes, mais pas les protagonistes.
 
 

Tara Lennart
Tara Lennart
Ecrire est-il un acte politique ? 

C’est un sujet délicat, la « politique »  en ce moment, très pratique pour agiter les foules et ne surtout pas proposer de vraies réponses à des problématiques concrètes. Je suis une individualiste, aussi, donc les débats, les conflits d’idées, le collectif, la violence, la revendication… tout ça ne m’intéresse pas et me semble assez stérile. Je n’écris donc pas en me demandant si les idées véhiculées par tel ou tel personnage pourront vouloir dire ceci ou cela à l’aune de telle pensée ou tel bord. Ce qui m’intéresse, ce sont les gens, leur singularité, ce qu’ils dégagent et ce que j’ai envie d’en dire parce que ça me touche ou me dérange. Quand je vois une situation qui m’interpelle, je vois les gens qui la génèrent. Pas des produits, pas une orientation sexuelle, sociale, politique, pas un message. Mais sans doute pourrait-on aussi qualifier cette approche de politique au sens étymologique.
 
Que retenez-vous de cette époque, celle pendant laquelle vous avez écrit ces textes ? 

Sa violence et sa frénésie. Il y a une violence incroyable qui domine l’époque, que ce soit dans les actes ou dans la pensée, et parfois la bêtise exprimée sur les réseaux sociaux. C’est une perte de temps sans nom et une source d’anxiété sans fin. La violence s’exprime pour un rien, même verbalement. Et ça devient difficile de rester en dehors, de ne pas l’encourager, la perpétrer ou la subir. En ce sens, écrire permet de prendre du recul, d’être dans l’observation plus que dans la réaction, d’économiser son énergie en tant que spectateur et de chercher une matière dans tout ça à défaut d’y trouver un sens. Et au milieu de ce bruit, cette frénésie, il y a quand même des moments de beauté, des épiphanies, des petits instants précieux qui rappellent la dualité des choses. 

Macadam Butterfly - Tara Lennart - Rue des Promenades. 250 pages, 16€
 




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