Journal de l'économie

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Où (en) est l’Intelligence Économique en France ?





Le 13 Janvier 2020, par Nicolas Lerègle

La question peut sembler incongrue. L’Intelligence Économique n’a jamais, réellement, su se faire une place dans l’univers économique français.


Où (en) est l’Intelligence Économique en France ?
D’abord parce que cette formulation mélange d’un anglicisme visant à éviter le mot « renseignement » jugé trop connoté et d’une locution française perçue comme très éloignée de cet univers n’a jamais réellement su trouver ses marques. Les économistes et entrepreneurs raisonnent en termes de concurrence généralement loyale et toujours pure et parfaite comme on l’apprenait dans les écoles de commerce. Que venait donc faire dans cet univers les services de renseignements venant brouiller les cartes d’un monde pourtant simple à comprendre se divisant entre libéraux et étatiques, entre alliés et concurrents ?

Pendant longtemps seuls les russes puis les chinois pouvaient avoir de mauvaises intentions quant aux américains et occidentaux ils étaient nécessairement des partenaires fiables et loyaux. On appliquait ainsi, commodément, une vision géopolitique à un univers distinct, celui de l’économie, en omettant de voir que la mondialisation de cette dernière a considérablement contribué à brouiller les cartes des alliances.

L’Intelligence Économique telle que certains ont souhaité l’introduire en France visait justement à rebattre ses cartes et à les retourner pour montrer la réalité des intérêts des entreprises et de leurs pays d’origine.
On ne peut pas dire « peine perdue » car certaines prises de conscience ont eu lieu mais, assurément, on ne doit pas penser que la « partie est gagnée ».

Déjà les pouvoirs publics et l’establishment politique ne savent pas quoi faire de cet objet non défini, relève-t-il du champ économique ou du domaine du renseignement ? Est-ce une discipline ou une fonction indépendante, car couvrant l’ensemble de l’environnement des entreprises, ou, au contraire, un sujet si pointu économiquement qu’il ne peut se loger qu’à Bercy ? Quels personnels seraient compétents pour s’en occuper, des fonctionnaires de la DGE de Bercy ou ceux des DGSI de l’Intérieur et DGSE de la Défense ? Faut-il y dédier un positionnement interministériel, par essence fort, au risque de froisser des susceptibilités ou en faire un service ou une sous-direction d’un ministère, quitte à lui faire perdre autant sa visibilité que son efficacité, mais sans vexer qui que ce soit dans ses prérogatives ? Rappelons-nous, summum de l’efficacité, que nous avons même eu le cas d’un service dépendant d’un ministère mais rattaché à un autre !

Le cartésianisme qui est une force philosophique devient, tout à coup, un problème quand il s’agit de questions dont les réponses reviennent à vouloir placer dans des cases rigides et prédéfinies des objets composites et de formes fluctuantes.

Les réponses, ou plutôt leur absence de constance, nous les connaissons et font que l’Intelligence Économique, baptisée aujourd’hui Service Information Stratégique et Sécurité Économique (SISSE), essaie tant bien que mal de trouver sa place.
On peut même se demander s’il n’y a pas une malédiction frappant ces sujets. On annonce la suppression de l’INHESJ qui en était à son énième changement de nom, tribulations patronymiques ne lui ayant jamais permis de trouver sa place et sa légitimité à la différence de l’IHEDN. De même pour l’Intelligence Économique qui a souvent changé de rattachement, et de formulation, pour aboutir celui actuel, au fond pas plus satisfaisant que les précédents.

Or l’Intelligence Économique est un vrai enjeu pour une économie. Cette discipline permet de lire des événements non pas comme des épiphénomènes sans autre conséquence que celle visible à un instant donné mais bien comme des manœuvres, souvent de longue haleine, visant à prendre des parts de marché, à remodeler la gouvernance d’une entreprise, à affaiblir financièrement un concurrent etc.

L’année 2019 a donné quelques exemples en la matière.
Les mésaventures, c’est un euphémisme, de Frédéric Pierucci, salarié d’Alstom pris dans ce qu’il a appelé le « piège américain » à savoir la volonté étatsunienne de prendre le contrôle de la branche « énergie »  de cette entreprise, jugée stratégique plus de l’autre côté de l’Atlantique qu’en France, doivent nous éclairer sur les réalités du monde économique mais aussi sur le niveau de compromission que certains dirigeants français sont disposés à accepter au nom de leurs intérêts personnels, bénéficiant souvent d’une complaisance de l’État incarné par des personnels issus des mêmes filières de formation et donc, par nature, plus sujets à fermer les yeux sur les errements de leurs camarades.

Le traitement réservé à Carlos Ghosn par les autorités politiques et judiciaires japonaises ne devrait pas être considéré comme un épiphénomène sans conséquence sanctionnant des faits qui, au fil des jours, apparaissent comme de moins en moins étayés. La réaction des pouvoirs politiques français n’a pas été à la hauteur de même que celle du Medef qui, sans préjuger de la réalité des accusations portées, aurait pu adopter une autre attitude que le silence. Il faut toujours mieux laver son linge sale en famille que de laisser d’autres s’en charger car le déballage n’est jamais sans conséquence.

De même l’emprisonnement de Philippe Delpal, directeur financier du fonds d’investissements opérant en Russie, Baring Vostok montre que le traitement de sujet, a priori relevant du seul monde des affaires, peut déborder sur le champ du politique et des querelles de pouvoirs internes avec des conséquences humaines graves.
Dans les années 2000 comme dans les années 1700, en Amérique, en Europe comme en Asie, l’embastillement est encore une arme efficace entre les mains régaliennes. Il est toujours utile de l’avoir en tête.

On peut espérer que 2020 puisse être une année qui verra l’Intelligence Economique remise à sa juste place à savoir une arme que beaucoup jugent très efficace, peut-être même la plus efficace dans ses composantes de veille et de sécurité économique, dans la compétition économique mondiale. Le paradoxe est que dans un monde globalisé c’est peut-être au niveau local que viendront les réponses les plus efficaces. Si la direction générale des entreprises qui chapeaute le SISSE est un peu trop obnubilée par une approche macroéconomique et baigne dans les arrangements entre amis dont on a vu les effets du coté de Belfort, on se doit de noter que les antennes régionales, les DISSE, sont, elles, en prise avec le monde réel et analysent plus rapidement les signaux faibles d’atteinte aux intérêts économiques nationaux et proposent des solutions. Aussi à la question où est l’Intelligence Économique en France ? On serait tenté de répondre… les DISSE, elles sont près de chez vous n’hésitez pas à les solliciter.
 
Nicolas Lerègle
 
 
 
 
 


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