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Pierre Fayard décrypte "Douze stratégies pour séduire"





Le 4 Août 2016, par La Rédaction

« Douze stratégies pour séduire. Quand la séduction fait son cinéma » propose au lecteur un voyage dépaysant à la découverte de la séduction sur grand écran. En toile de fond, des figures emblématiques sont décortiquées et analysées stratégiquement. Entretien avec l’auteur Pierre Fayard qui, en creux, fait le portrait d’une société, parfois maladroite mais bien vivante !


Pierre Fayard
Pierre Fayard

Pierre Fayard vous êtes professeur des universités à l’Institut d’Administration des Entreprises de Poitiers où vous enseignez l’Intelligence Culturelle de la Stratégie. Pourquoi s’intéresser aux mystères de la séduction ?

Toute stratégie comporte une part de séduction, ce n’est pas un mystère, les deux domaines sont étroitement liés. Même des ennemis irréductibles en usent pour s’influencer l’un l’autre, se désinformer ou bien se perdre. La séduction est le moyen d’entrainer, autrement que par la violence, l’adhésion d’autrui quel qu’en soit l’objectif final. C’est pourquoi elle relève de la stratégie et se décline autant dans les sphères personnelles que professionnelles. Décrypter ses modèles et l’inventivité qu’elle implique est essentiel autant pour les mettre en pratique que pour s’en préserver au besoin. Dans ce livre, j’ai voulu éclairer avec humour quelques figures emblématiques cinématographiques à la lumière de la littérature traditionnelle en stratégie, et proposer des contres stratégies.

Vous avez consacré plusieurs livres au stratège Sun Tzu, auquel vous faites de nouveau référence dans cet ouvrage. En quoi la pensée stratégique chinoise est-elle pertinente pour l’analyse des relations humaines ?

Dans son traité, Sun Tzu écrit que les armes sont des instruments de mauvais augure à n’utiliser qu’en ultime recours. Il soutient qu’il est plus efficace, et plus économique surtout, de s’attaquer à l’esprit de l’adversaire qu’à ses moyens physiques. Pour lui, parvenir à ses fins par voie de séduction, ou de manipulation de toutes sortes, est de loin préférable à des confrontations coûteuses et hasardeuses. La connaissance importe plus que les armes dans la culture stratégique chinoise dont Sun Tzu est l’emblème. L’intelligence de l’autre permet d’agir sur lui en le transformant en complice sans qu’il en ait conscience. Cet ingrédient central de la connaissance s’opérationnalise dans un art ancestral de la ruse et du stratagème qui excelle dans le relationnel. Stratégiquement, la compréhension des relations humaines permet d’en tirer profit en diminuant le coût des risques liés à des oppositions ouvertes.

Vous distinguez plusieurs approches dans la séduction. Quelles sont-elles ?

Elles déclinent des procédés directs dans des figures comme Tarzan, James Bond ou le baile Flamenco, et d’autres indirects comme dans In the Mood for Love, T’as d’beaux yeux tu sais, ou le jeitinho brasileiro qui fonctionne à l’anesthésiant dont l’autre devient dépendant. Les stratégies de séduction varient en fonction de leurs rythmes et de l’évolution des positionnements dans l’espace. Entre la naissance de l’intention et la concrétisation, c’est tout une affaire de cadences, d’attraction croissante, ou, de répulsion.
La modalité directe insiste sur le séducteur, l’indirecte sur le sujet de la séduction ou encore sur le contexte. Dans ce travail de sculpture de la relation, la résistance ou les bonnes dispositions impliquent des adaptations, des freins ou des accélérations où chacun invente et apprend de l’autre. L’incertain, l’aléatoire, le hasard et le pourquoi pas règnent en maitres dans cette dynamique vivante. Nous ne sommes ni dans le domaine de la mécanique ni dans celui de sciences exactes, mais d’un art tactique et stratégique où l’avantage est rarement définitif.

Votre ouvrage insiste sur l’importance des facteurs culturels dans les rapports de séduction. Pourquoi ?

Sauf à être en mesure de dire Bond, James Bond, séduire dans l’interculturel est une aventure périlleuse où l’on a, a priori, plus de chances d’échouer que de réussir. Et puis, la diversité culturelle est beaucoup plus vaste que celle des seuls pays. Une affaire de nuances, de détails dans l’interprétation, peut tout déformer. Toute société abrite en son sein une foultitude de cultures qui codifient les distances et manières d’entrer en contact, les interdits, les hiérarchies et les valeurs… Si tu connais l’autre et que tu te connais toi-même, tu ne seras jamais défait, écrivait Sun Tzu car dès lors, on sait quand et comment s’engager, temporiser ou bien se retirer.

La drague des pick-up artists est un pur produit étasunien. Son objet est de conclure vite à l’aide de logiciels techniques et procédures bien dans le style de la manière US de faire la guerre en l’entendant comme une entreprise d’ingénierie et de logistique. L’intelligence culturelle de l’autre est fondamentale. Une exception serait ce que je qualifie de drague samouraï et qui correspond au duende (génie inspiré) du baile flamenco qui n’a que faire de l’opinion d’autrui. On a tendance à confondre sa carte culturelle, soit sa représentation des choses, avec la réalité elle-même. Or chacun en une vision particulière qui lui est propre. Ne pas le prendre en compte conduit à des méprises et à des incompréhensions assurées.

Vous insistez sur le fait, qu’au final, c’est toujours l’autre qui choisit. Est-ce à dire que ces stratégies sont vaines ?

Bien au contraire car l’objectif consiste à emporter une adhésion sans violence ni contrainte. En dehors du coup de foudre où les protagonistes fusionnent littéralement, tout est affaire de processus. Les figures de Tarzan et de Bond les réduisent à leur plus simple expression. On voudrait bien y croire, mais cela marche surtout au cinéma, sous la plume du scénariste. Le temps de la transformation est essentiel en séduction, et la stratégie s’impose pour faire en sorte que l’autre dise oui. James Bond n’en fait aucune car les femmes sont ses obligées, mais cela n’existe pas dans la vraie vie. La position du séducteur n’a jamais suffit. Séduire suppose sensibilité, inventivité et adaptabilité doublées d’un monitoring subtil pour mesurer l’évolution jusqu’à ce que Michèle Morgan les yeux noyés par l’émotion murmure à Jean Gabin statique : Embrassez-moi !

La séduction ne se limite pas aux rapports amoureux. Ces méthodes peuvent-elles s’appliquer dans la sphère professionnelle ou dans tous schémas relationnels ?

Marketing, politique, publicité, diplomatie, éducation, administration… dès lors que l’on se propose d’agir sur autrui sans le contraindre par la force, une part de séduction entre en jeu. Si les ordres suffisaient pour réguler et ordonner les rapports humains, cela se saurait. Les fleurs séduisent les abeilles pour qu’elles transportent leur pollen chez leurs semblables. Les formes, couleurs et odeurs qu’elles offrent sont celles que les abeilles aiment, rien ne leur est imposé. Comment imaginer une négociation sans séduction, ou rejet de celle-ci ? Pour bien conduire l’autre, il faut tenir compte de ce qu’il est, de ce qu’il cherche ou qu’il rejette. C’est à ce prix que des mouvements et des transformations deviennent possibles. Les nouveaux-nés intègrent assez vite l’effet contondant d’un sourire ou d’un rot sur ces géants que sont leurs parents, et ils en usent. C’est l’expérience qui leur apprend.

Séduction ou manipulation : où se trouve la limite selon vous ?

La manipulation ne dit pas son nom, elle avance à couvert dans la banalité familière d’un supposé ordre des choses. À qui profite le crime ne doit pouvoir être identifié. À l’instar de l’intoxication ou de l’influence, elle se donne à appréhender comme un fait neutre et objectif, sans acteur ni intention partisane. La séduction, au contraire, agit plutôt à visage découvert même si elle s’accompagne d’une phase d’intelligence d’autrui. Cela n’empêche aucun recours à la ruse, mais on en connaît l’origine, on sait à qui profite le crime. Séduction ou manipulation, où se trouve la limite ? Une chose est sûre, on n’est jamais plus efficacement manipulé que par soi-même, les populistes et les publicitaires excellent à en faire leur miel. Il revient à chacun d’en avoir conscience pour s’en garder. Dans le règne animal, prédateurs et proies usent de manipulation pour se séduire à coup de fausses informations car il en va de leur survie. Et puis, qui séduit qui ? Ceux qui semblent séduire ne sont-il jamais manipulés en sous-main par celles ou ceux qu’ils, ou elles, prétendent séduire ?

Douze stratégies pour séduire. Quand la séduction fait son cinéma

Qui n’a jamais rêvé de séduire à la James Bond à la simple évocation de son nom agrémenté de son prénom (My name is Bond, James Bond), ou rondement en désignant les parties prenantes nécessaires et suffisantes à l’union (Moi Tarzan, toi Jane donc…), ou par le duende d’un imparable Absolute dating flamenco ? Si derrière ces figures mythiques, les stratégies sont rarement explicites, l’ambition de ce livre est de les formaliser et d’évaluer les conditions de leur efficacité.

De la jungle profonde d’une île du Pacifique à Séville en passant par Sao Paulo et New York où Sherlock Holmes peut côtoyer Sun Tzu et Clausewitz, Hong Kong (La séduction d’ambiance) et Paris (T’as d’beaux yeux tu sais), cet essai décrypte avec humour et insolence les manœuvres qui sous-tendent douze scénarii emblématiques. En s’arrogeant de grandes marges de liberté pour les interpréter, il s’aventure à proposer des alternatives pour les contrer en s’inspirant de grands classiques asiatiques et occidentaux de la stratégie.
 

Editions VA Press / 150 pages N&B / 1ère édition (2016)
ISBN 979-10-93240-12-1
Prix net : 17,90€ TTC
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