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Sécurité intérieure : le droit d’accès inconditionnel de la police nationale et à la gendarmerie nationale à l’ensemble des parties communes d’un immeuble à usage d’habitation serait-il inconstitutionnel ?





Le 16 Août 2023, par Frédéric Rose-Dulcina

Par un arrêt en date 13 juin 2023, la Cour de cassation a transmis au Conseil constitutionnel une question prioritaire de constitutionnalité sur l’article L.272-1 du Code de la sécurité intérieure (dans sa version modifiée par une loi du 25 novembre 2021) qui accorde désormais aux services de police et de gendarmerie nationales un droit d’accès inconditionnel à l’ensemble des parties communes d’un immeuble à usage d’habitation (Cass. Crim., 13 juin 2023, n° 23-90.002).


Image PxHere
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La   (QPC) permet à tout justiciable de contester la constitutionnalité d’une disposition législative à l’occasion d’un procès devant une juridiction administrative ou judiciaire, lorsqu’il estime qu’un texte porte atteinte aux droits et libertés que la Constitution garantit. La QPC a été instaurée par la révision constitutionnelle du 23 juillet 2008 et précisée par la loi organique du 10 décembre 2009.

Entrée en vigueur le 1er mars 2010, elle institue ainsi un contrôle de constitutionnalité a posteriori. Il n’est pas possible de saisir directement le Conseil constitutionnel. La question prioritaire de constitutionnalité doit toujours être posée au cours d’un procès et la loi prévoit un double filtre, d’abord par le juge du fond, puis par la Cour de cassation ou le Conseil d’État selon la nature de la juridiction devant laquelle la question a été posée. Les critères pour que le Conseil constitutionnel soit ensuite saisi de la question prioritaire de constitutionnalité sont au nombre de trois : la disposition législative critiquée est applicable au litige ou à la procédure, ou constitue le fondement des poursuites ; la disposition législative critiquée n’a pas déjà été déclarée conforme à la Constitution par le Conseil constitutionnel et la question est nouvelle ou présente un caractère sérieux. Ces trois critères cumulatifs sont appréciés par la Cour de cassation ou par le Conseil d’État selon la juridiction à l’origine de la QPC.

Dans l’affaire ici commentée, la chambre criminelle de la Cour de cassation a décidé de saisir le Conseil constitutionnel d’une QPC relative à l'article L.272-1 du Code de la sécurité intérieure (1)  (modifié par l’article 20 de la loi n° 2021-1520 du 25 novembre 2021), en ce qu'il accorde à la police nationale et à la gendarmerie nationale une autorisation permanente d'accès aux parties communes des immeubles à usage d'habitation aux fins d'intervention. Cet article porte-t-il atteinte de manière disproportionnée au droit de propriété et au droit au respect de la vie privée protégés par la Constitution, notamment l'article 2 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen et l'article 34 de la Constitution en ce que cette règle aurait un caractère trop général, encourant à ce titre le grief constitutionnel d'incompétence négative dans une matière affectant les droits et libertés que la Constitution garantit ?

Les conditions de saisine du Conseil constitutionnel d’une QPC sont réunies selon la Cour de cassation puisque la disposition législative contestée est applicable à la procédure et n'a pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel. Elle présente par ailleurs un caractère sérieux, “en ce que la disposition législative contestée, dans sa version modifiée par la loi n° 2021-1520 du 25 novembre 2021, en vigueur depuis le 27 novembre 2021, accorde désormais aux services de police et de gendarmerie nationales, indépendamment du cadre juridique de leur intervention, un droit d’accès inconditionnel à l’ensemble des parties communes d’un immeuble à usage d’habitation, y compris à celles n’étant pas librement accessibles, sans l'accord des propriétaires ou de leur représentant et sans y avoir été préalablement autorisés par l'autorité judiciaire”.

En conséquence, cette disposition est susceptible de porter une atteinte excessive à la vie privée et au droit de propriété, protégés par l'article 2 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, il y a donc lieu de renvoyer la question prioritaire de constitutionnalité au Conseil constitutionnel. Le Conseil constitutionnel dispose, à compter de sa saisine, d’un délai de 3 mois pour statuer sur la constitutionnalité de l’article susvisé mis en cause (le juge constitutionnel n’a pas pour rôle de se prononcer sur le litige, mais uniquement sur la constitutionnalité de la disposition législative attaquée).

Rappelons qu’à l’origine de cette procédure, c’est la chambre de l'instruction de la Cour d'appel de Paris, qui par arrêt en date du 9 mars 2023 a transmis cette QPC dans une procédure suivie contre un citoyen des chefs, notamment, d’infractions à la législation sur les stupéfiants. La position du Conseil constitutionnel est forcément très attendue, car l’article L.272-1 du Code de la sécurité intérieure a pour objet notamment de faciliter la tâche des services de police et de gendarmerie nationales dans la lutte contre le trafic de drogues qui est une priorité nationale selon la Place Beauvau. Réponse dans quelques semaines.

[1] Article L.272-1 du Code de la sécurité intérieure : “Les propriétaires ou les exploitants d'immeubles à usage d'habitation ou leurs représentants s'assurent que les services de police et de gendarmerie nationales ainsi que les services d'incendie et de secours sont en mesure d'accéder aux parties communes de ces immeubles aux fins d'intervention. Ils peuvent accorder à la police municipale une autorisation permanente de pénétrer dans ces mêmes parties communes”.


Frédéric ROSE-DULCINA
Spécialiste en droit public et en RSE
DEA Droit public des affaires
DESS Droit de la construction et de l'urbanisme
LEX SQUARED AVOCATS


 


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