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Vente Vincent Van Gogh : Benoit Landais, un expert qui a l’œil





Le 29 Septembre 2020, par Yadira Castellanos - Benoit Landais

Les Ventes Ferraton-Damien Voglaire proposent deux portraits de Vincent Van Gogh lors d’une vente d’exception le 22 octobre à Bruxelles. L’occasion pour Benoit Landais, expert de renommée internationale de Van Gogh, d’expliquer son travail et son analyse des œuvres.


Quelle est votre parcours, depuis combien de temps étudiez-vous les œuvres de Van Gogh ?
Mon parcours est atypique. On ne sait comment les choses commencent, mais, fils de conservateur de musées, j’ai dû tomber dans la potion magique assez tôt.
J’ai eu des activités variées, dont un tour du monde à la voile, l’écriture, la critique d’art et me consacre entièrement à l’œuvre et la vie de Vincent depuis trente ans maintenant.
 
Dans quelles circonstances avez-vous été sollicité pour l'expertise du Buste du berger et de Tête de paysanne de Vincent Van Gogh ?
 
Ma participation, à la fin des années 1990, à diverses polémiques sur de faux tableaux conservés aux catalogues et sur les œuvres non reconnues, m’ont valu une notoriété suffisante pour que de (très) nombreux possesseurs de « Van Gogh possibles » me sollicitent pour avis. Je suis devenu un « second opinion doctor ». Plusieurs collectionneurs ou marchands cherchent les van Gogh oubliés, comme d’autres cherchent des trésors. Ils viennent alors frapper à ma porte pour confirmation ou infirmation de leur intuition.
 
Pouvez-vous décrire les grandes étapes d'une expertise comme celle-ci ?
 
A la racine de la conviction, il y a toujours les mêmes choses. Pour qu’une œuvre puisse être un Vincent il faut qu’elle soit puissante, si l’on préfère qu’elle marque, qu’on ne puisse l’oublier facilement. Un sujet de Vincent n’est pas celui d’autres artistes, il a très tôt une place et une approche à part. Ensuite, dans les cas où nous n’avons ni provenance, ni signature, ni référence dans la correspondance de Vincent, notre meilleur informateur, il s’agit de comparer au connu, de confronter au socle fiable et d’espérer reconnaître la main. Un peintre, et singulièrement Vincent qui se distingue de tous, possède un dictionnaire de touches, celles qui lui viennent spontanément. La mémoire visuelle joue un grand rôle. En découvrant une touche, une séquence ou un ensemble, on est rapidement capable de dire : j’ai vu cela ailleurs et d’aller rechercher pour vérifier s’il s’agit bien de la même chose. Certains cas sont plus délicats que d’autres, mais aucun ne doit résister à l’examen. Les logiciels de traitement d’image offrent des possibilités considérables d’investigation, permettant la mise en évidence de similitudes indépendantes de l’œil de l’observateur.
 
Qu'est qui vous a frappé dans ces tableaux ? Ont-ils des qualités singulières ?
 
Pour les deux portraits de gens de la campagne, la réponse a été immédiate : par Vincent à Nuenen ! Pour le Berger, le rude traitement du visage, le regard étonnant aux orbites creusées, nous sommes dans ce qu’il veut faire, résumer des types caractéristiques avec une grande économie de moyens. La question n’était pas vraiment complexe. Quand une œuvre est signée avec tant d’autorité (toutes les signatures de Vincent sont différentes mais présentent des caractéristiques communes), il suffit de vérifier si la couleur exacte de la signature, parmi des millions de nuances, est présente ailleurs dans la peinture.

On écarte ainsi définitivement l’éventualité d’une signature ajoutée sur l’œuvre d’un tiers. Fabriquer une fausse signature est sans doute aisé, mais peindre un portrait qui tienne si bien n’est pas à la portée d’un faussaire. Eux ne font que singer, peignent mal, leurs produits dérivent de choses connues. La présence de couleurs complémentaires, singularité « vincentesque » quand leur mélange est à l’origine des tons neutres (les "tons rompus"), date le Berger au plus tôt de l’été 1884, quand il commence à appliquer les principes appris de Charles Blanc et hérités de Choiseul. 

Il suffisait ensuite de rechercher si Vincent évoquait un portrait de berger. Sa correspondance évoque un unique "grand buste de berger" en octobre 1884… toile présumée disparue ! Plusieurs experts avaient attribué le tableau à Vincent, mais aucun n’avait remarqué qu’il s’agissait du berger, malgré l’évidence du chapeau cloche, de la barbe, des cheveux longs ou de la veste à boutons dorés. Ce point découvert, il ne saurait y avoir d’hésitation. Le Berger est le premier de la série de têtes de paysans que Vincent entreprend après avoir vu son ami Anton Van Rappard peindre chez lui, en une semaine, une dizaine de têtes qu’il trouvait très belles. Il nous montre quel portraitiste il est d’emblée, nulle surprise qu’il place ensuite la figure au sommet de son art.
 
 

Et s’agissant de Tête de paysanne ?
 
Pour la Tête de paysanne, inédite, j’ai envie de conseiller, plutôt que d’énumérer les arguments développés dans mon étude, d’aller voir la série de quelque soixante-dix paysannes de Nuenen, dont plus de la moitié sont des têtes, pour évaluer si oui ou non ce portrait s’inscrit dans cette recherche qui conduira aux fameux Mangeurs de pommes de terre. Cette tête est si caractéristique de cette série d’études que toute contestation apparaîtra vite bien aventureuse. Nous sommes dans du Vincent pur, de l’épure absolue.

C’est remarquablement vite brossé, dans ses couleurs sans fioritures. Certains lui ont fait grief de peindre des paysans comme des sortes de singes. Ceux-ci ne sont que les amateurs de peinture bourgeoise, lisse, policée, fardée, toilettée. Vincent s’était déclassé de manière délibérée et avait tourné le dos à ces canons. Avec un autre regard on se prend à trouver cette peinture extrêmement belle et les modèles également beaux. Le petit tableau qui soulève l’admiration se dispense d’autre certificat.    

Quels sont les principaux éléments qui en font selon vous des œuvres exécutées par Van Gogh ?
 
Sujet, touche, ambition, recherche, mais encore une fois, la démonstration devant l’œuvre elle-même est ce qui convainc. Mille questions, mille réponses précises évacuent tout doute.

Comment expliquez-vous les conclusions contraires de certaines expertises ?
 
Il s’agit d’une confusion entre opinion et expertise. Il n’y a évidemment pas d’expertise qui monterait que ces deux tableaux pourraient ne pas être de Vincent. En revanche chacun reste libre de ses opinions, comme on peut penser que la terre est plate. Il se trouve que l’on ne peut pas le monter. Vincent avait eu le bon goût de dire dans une lettre à son frère que les opinions ne changent rien à la vérité. Il est difficile de ne pas le suivre. 

Van Gogh reste-t-il un peintre à découvrir ?

Enormément de choses ont été écrites sur Vincent, le parent pauvre de cette littérature est toutefois l’art de peindre. On connaît, sa toile, ses pigments, les constructions psychologiques, les épisodes de sa vie, mais pour ce qui est de sa peinture, la recherche se concentre sur les historiques, parfois arrangés, qui sont censés être la panacée. C’est ainsi que l’on garantit des œuvres indignes, parfois montrées par de grandes institutions. Je milite pour le retour de la critique, que l’on parle enfin des œuvres elles-mêmes, pas de vieux papiers sans rapport avec l’art. Vincent parlait avec de la peinture pour dire à chaque fois une chose et la dire bien. Intéressons-nous à cela. Là se situe son immense mérite, son étonnant savoir-faire individuel.
 
 


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